"Art nouveau, les métamorphoses du bijou de 1880 à 1914" à l'École des arts joailliers : regard sur une période faste de la création bijoutière
À travers près de 100 pièces, l'exposition Art nouveau, les métamorphoses du bijou de 1880 à 1914 montre comment la création joaillière autour de 1900 a joué un rôle déterminant dans l'évolution du goût et des styles. Elle souligne l'inventivité des artistes de cette époque dont les créations ne sauraient se réduire au seul style Art nouveau. "L'exposition entend illustrer et démontrer l'hypothèse, celle de la place centrale et singulière du bijou dans l'évolution profonde que connaît l'esthétique au tournant du XIXe siècle", souligne la commissaire d'exposition Rossella Froissart.
La joaillerie, un vecteur important de l'expérimentation
L'exposition intègre le bijou français des décennies 1880-1914 dans un discours historique plus large. À partir des années 1880, l'esthétique connaît une profonde évolution. Un imaginaire nouveau féconde les sphères de l'art. À la fin du siècle, ce mouvement converge en France vers l'Art nouveau dans un souffle créateur qui vivifie le travail des ateliers. Le bijou participe alors du regard émerveillé porté sur la nature et sur ses phénomènes. "L'exposition débute dans le contexte des années 1880 qui connaissent une profonde évolution liée au renouvellement de l'imaginaire et de ses expressions et qui est enrichi par la diffusion des connaissances scientifiques", souligne Lise Macdonald, la présidente de l'École des arts joailliers.
L'objet précieux se prête à toutes sortes d'expérimentations autorisant les combinaisons les plus variées et les fantaisies les plus évocatrices. Des artistes comme René Lalique, Georges Fouquet, Élisabeth Bonté, Victor Prouvé, Jean Dampt, Jules Desbois, Edward Colonna ou Eugène Grasset s'emparent d'un art dont le premier ressort de l'invention est la matière. D'un point de vue technique, la caractéristique majeure est le mélange subtil entre pierres, métaux et matériaux de valeur différente. Broches, peignes, pendentifs ou bagues sont déclinés dans une diversité de thèmes, relus souvent au prisme d'un onirisme fantastique. Puis, au début des années 1910, les artistes se tournent vers une esthétique inspirée par la géométrie, mais l'héritage de l'Art nouveau est acquis, ouvrant l'art du bijou à la modernité.
De nouveaux répertoires visuels
Cette évolution repose aussi bien sur l'utilisation de matières inusitées que sur l'adoption de nouveaux répertoires visuels. "Le bijou ne se contente pas de reprendre des styles expérimentés par les autres arts, il les devance et les inspire. Ce mouvement essaie cette représentation de la nature dans le contexte scientifique de l'époque qui va connaître un travail poussé et audacieux autour des métaux et des pierres. Ce sont des combinaisons de matières qui sont extrêmement variées et des compositions qui révèlent des fantaisies oniriques. Elles donnent forme à des silhouettes féminines, à des fleurs, à des insectes ou à des arabesques qui font partie du vocabulaire visuel des créations de cette époque", explique Lise Macdonald. "Au début des années 1910, les répertoires évoluent vers une construction géométrique, voire abstraite", ajoute-t-elle, "tout en gardant l'héritage de l'Art nouveau, c'est-à-dire le décloisonnement des arts, le contact avec la science et l'assimilation du vivant".
Entre 1880 et 1914, il y a un extraordinaire essor du bijou en France. "La réflexion sur la représentation de la vie prend un sens original pour des artistes, des artisans, des fabricants dont le premier ressort est le travail de la matière. La dernière décennie du XIXe siècle, la recherche d'un nouveau langage artistique, bénéficie de conditions favorables au point de vue de l'organisation des métiers et aussi de la mise en œuvre des matières peu usitées jusque-là. Le métier se structure, la formation s'appuie sur les écoles et, en 1864, est fondée la Chambre syndicale de la bijouterie, de la joaillerie et de l'orfèvrerie", souligne, de son côté, Rossella Froissart.
Natures féeriques, éclosions, abstractions
Le parcours de l'exposition montre trois aspects de l'imaginaire mis en œuvre par les artistes : Natures féeriques, Éclosions et Abstractions. Pour le premier thème, si les styles du passé ne sont pas oubliés, le symbolisme, qui apparaît dans les années 1880, les réenchante. Monstres et créatures hybrides peuplent un univers fantasmatique à l'instar de cette broche Sphinx de René Lalique ou de l'ornement de corsage Serpent de mer ailé de Georges Fouquet.
Pour le second, Éclosions, l'essor de la botanique, entre autres, incite les artistes à associer la plante à la fluidité de la sève, signifiée par la courbe et l'entrelacs. Associés au monde végétal, reptiles, insectes, batraciens sont le symbole d'une prolifération apparemment désordonnée et parfois monstrueuse. Ainsi chez René Lalique, une femme naît d'une tige et étire ses ailes de libellule, des créatures s'épanouissent en floraisons. Par son art de l'émail, Lucien Hirtz donne, lui, vie à une forêt crépusculaire dont la luminosité diaphane orne la broche pour la maison Boucheron présentée ci-dessous.
Enfin, pour le dernier thème, Abstractions, nombreux sont les créateurs qui, s'éloignant de l'imitation d'images reconnaissables, proposent des bijoux composés par le seul enchevêtrement de lignes. En témoigne, par exemple, ce pendentif Algues de 1900.
Un ouvrage complète l'exposition Un art nouveau. Métamorphoses du bijou. 1880-1914. Illustré de 250 documents, sous la direction de Rossella Froissart, il est coédité par Norma Éditions/L'École des arts joailliers.
Exposition "Art nouveau, les métamorphoses du bijou de 1880 à 1914" jusqu'au 30 septembre 2023. École des arts joailliers, 31 rue Danielle Casanova, 75001 Paris. Du mardi au samedi de 12h à 19h, nocturne jusqu'à 20h le jeudi. Entrée gratuite sur réservation.
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