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Balade énigmatique en milieu urbain

Le LAM de Villeneuve-d’Ascq célèbre la ville dans tous ses mystères avec une exposition de plus de 200 œuvres, dont celles de  Brassaï, Magritte et Dora Maar.

Article rédigé par Pierre Morestin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
"La Bande du Grand Albert" (vers 1931-1932), de Brassaï. Epreuve gélatino-argentique, 29 x 23 cm. (ESTATE BRASSAÏ / RMN, PARIS, 2012)

EXPOS - Buildings vertigineux, bolides insaisissables, vitrines aux mannequins décapités... laissez-vous tenter par une étrange balade dans la ville moderne. Les guides ont pour noms Brassaï, Magritte, Dora Maar. Le circuit passe par Berlin, Paris, New York, via plus de 200 œuvres (photos, peintures, collages, films). Et c'est au LAM de Villeneuve-d'Ascq, près de Lille (Nord), qu'il faut se rendre, du 29 septembre au 13 janvier, pour cette exposition intitulée La ville magique.

La ville, c'est ce nouveau personnage qui appraît dans l'entre-deux guerres, célébré par toutes les avant-gardes artistiques, en peinture, en photo, au cinéma. C’est elle, par exemple, la vraie star du film de Fritz Lang, Métropolis, un long métrage qu’il réalise après avoir été secoué, en 1924, par les gratte-ciels new-yorkais. On retrouve dans l’exposition des séquences de ce film et de nombreux autres.

Vertige des gratte-ciels

Pour comprendre la fascination des artistes, il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Le citadin évolue alors dans des espaces qui ont subi une incroyable métamorphose. Les villes ne se lisent plus seulement à l’horizontale, mais à la verticale, ponctuées de bâtiments d’une hauteur vertigineuse, jamais vue jusqu’alors. La plupart des grands gratte-ciels new-yorkais datent ainsi de la toute fin du XIXe siècle.

"City Night" (1926) de Georgia O’Keeffe. Huile sur toile, 121,9 x 76,2 cm. (VISUAL RESOURCES STAFF / MINNEAPOLIS INSTITUTE OF ARTS)
 

C’est cette démesure que traduit Georgia O’Keeffe dans cette toile réalisée alors qu’elle séjourne dans le quartier de Wall Street, à New York. La peintre américaine est plus habituée à peindre la nature que la ville. Elle livre ici une œuvre étonnante, quasi abstraite, composée de lourdes masses géométriques. Où sommes-nous ? Comment "lire" ce tableau ? Impossible de le dire avant de repérer, en bas, ce rond lumineux, une lune, seul repère spatial de la toile.

"Drizzle on 40th Street, New York" (1933), de Edward Steichen, Photographie, 20 x 25 cm. Collection Leslie, Judith & Gabrielle Schreyer, New York (Etats-Unis). ( ESTATE OF EDWARD STEICHEN, 2012)

Autre révolution urbaine : l’apparition et la propagation de l’électricité. Néons, lampadaires, zèbrent l’obscurité, ponctuent la nuit d’étranges halos. Quand en plus les éléments s’en mêlent, comme la bruine, dans cette photographie d’Edward Steichen, les traits des rues se brouillent, et donnent naissance à des visions fantastiques.

Inquiétante étrangeté

A Paris, pendant plus de trente ans, un photographe a arpenté les rues et capté les moindres recoins de la capitale. Il s’agit d’Eugène Atget. D’abord considéré comme un tâcheron, tout juste bon à multiplier les photos d’archives, son travail a été reconnu par ses pairs peu de temps avant sa mort.

"Magasin, avenue des Gobelins" (1925), d'Eugène Atget. Aristotype, 22,4 x 17,3 cm.  (CHARLES WALBRIDGE / MINNEAPOLIS INSTITUTE OF ARTS)

Les surréalistes ont largement contribué à cette reconnaissance tardive. On comprend pourquoi en voyant ce cliché. Dans cette image tout en reflets montrant la vitrine d’un magasin de vêtements pour homme, les mannequins semblent faire corps avec le bâtiment situé de l’autre côté de la rue. Et au premier plan, apparaît un homme… décapité.

 

"Barcelone, vers 1932", de Dora Maar. Epreuve gélatino-argentique, 23,2 x 28,6 cm. (CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, SERVICE DE LA DOCUMENTATION PHOTOGRAPHIQUE DU MNAM / ADAGP PARIS,  2012)

Dora Maar a peut-être été influencée par cette vision fantastique quand elle photographie cette femme-tronc figée dans un mur, à Barcelone. A l’époque, en 1932, la jeune femme n’est pas encore l’amante de Picasso (elle le rencontre trois ans plus tard), mais elle réalise déjà de nombreux clichés dans la mouvance surréaliste. Grotesque, cruel, ce cliché d’une femme-objet à qui l’on a tranché les membres (et qui fait penser à l'œuvre d'un autre surréaliste), semble avoir été pris lors d’une promenade en ville et se prête à toutes les interprétations.

"L'Eloge de la dialectique" (1937), de René Magritte. Gouache sur papier, 37 x 30,2 cm. ( MIXED MEDIA / ADAGP  PARIS, 2012.)

La question qui se pose aux femmes, et aux hommes, on le voit, est de trouver leur place dans ce dédale de ruelles et de buildings impersonnels. Un autre surréaliste, Magritte, imagine une maison, qui une fois ses fenêtres ouvertes révèle… une autre maison. Dans cette inquiétante mise en abyme, l’homme a tout simplement disparu.

Film noir

Enfin, il ne faut pas oublier que la ville devient aussi le territoire de chasse du détective, le labyrinthe du film à suspens, le terrain de jeu privilégié du film noir.

 

"La Bande du Grand Albert" (vers 1931-1932), de Brassaï,. Epreuve gélatino-argentique, 29 x 23 cm. ( ESTATE BRASSAÏ / RMN, PARIS, 2012.)

On retrouve chez Brassaï, un photographe français d’origine hongroise, surnommé "l’œil de la nuit", cette fascination pour les ombres démesurées, les effets de clair-obscur utilisés depuis longtemps par les peintres pour dramatiser une scène. Ici, la "Bande du grand Albert" (de vrais truands qui posent pour la photo) se change elle-même en un rassemblement d’ombres aux visages gommés par une lumière éblouissante. La ville révèle autant qu’elle dissimule.

 

Informations pratiques

La ville magique
Du 29 septembre 2012 au 13 janvier 2013
LAM
1, allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq

• Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures
10 euros (plein tarif), 7 euros (tarif réduit)
Tél. : 03 20 19 68 88

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