Barthélémy Toguo au Quai Branly : l'œuvre empathique et multiforme d'un artiste camerounais qui nous parle du monde
Barthélémy Toguo, artiste à l'écoute des douleurs des hommes et des grands problèmes qui menacent le monde, utilise tous les médiums pour exprimer la souffrance et dénoncer les injustices. A découvrir au musée du Quai Branly (jusqu'au 5 décembre).
Le musée du Quai Branly expose l'œuvre multiforme de l'artiste camerounais Barthélémy Toguo qui, de l'aquarelle à l'installation en passant par la vidéo, la sculpture et la photographie se fait le témoin de la souffrance de l'humanité mais aussi de solidarité et d'espoir.
Né en 1967 au Cameroun, Barthélémy Toguo a exposé dans le monde entier, des Etats-Unis à l'Europe et à l'Afrique du Sud. Il a participé à la Biennale de Venise en 2015 et fait partie en 2016 des finalistes du prix Marcel Duchamp.
Pour l'exposition du Quai Branly, il a laissé la commissaire, Christiane Falgayrettes-Leveau, directrice de la Fondation Dapper, fouiller dans son œuvre qu'il semble parfois redécouvrir. "C'est la première fois qu'un regard si particulier est porté sur mon travail", estime l'artiste, dont une cinquantaine d'oeuvres sont exposées. Elles dialoguent avec quelques pièces d'art africain, dont il ne s'inspire pas mais qui peuvent avoir des résonances avec ses propres créations. Les références sont "inconscientes, pas revendiquées", selon la commissaire.
Corps morcelés et déformés
Le parcours s'ouvre sur la question du corps, lieu d'expression des souffrances humaines, personnelles et collectives, avec des aquarelles souvent rouge sang ou brun terre, qui présentent des corps morcelés, déformés, des bras tentaculaires. Les clous sont omniprésents dans ces œuvres, évoquant la douleur. Ils peuvent faire penser à la Crucifixion et aussi aux statuettes de l'art kongo souvent fichés de pointes. Les bouches souvent grandes ouvertes évoquent un cri de douleur. "Il n'y a pas de 'je' chez Barthélémy Toguo même s'il peut illustrer des thématiques individuelles, c'est vraiment le 'nous' qui prime", souligne Christiane Falgayrettes-Leveau.
A l'aquarelle encore, Barthélémy Toguo peint des têtes mi-humaines mi-animales qui font penser à des diables et évoquent aussi des masques africains. Pourtant c'est par tout un détour qu'il est venu à la sculpture sur bois. Il a commencé ses études à l'école des Beaux-Arts d'Abidjan où l'enseignement était des plus académiques. Il a abordé la sculpture par le modelage : "Il fallait copier les grands maîtres, on faisait des copies de copies du Louvre", s'amuse-t-il. C'est grâce à un artiste allemand, Klaus Simon, que l'Institut Goethe avait fait venir à l'école, qu'il s'est initié à la taille du bois. Deux magnifiques bronzes fondus à Paris en 2010 témoignent de cette autre facette de son œuvre : L'Origine du monde, un bassin de femmes en équilibre sur un socle en forme de tête, et The Lover, une poitrine posée sur un ventre de femme enceinte.
"Bleu Toguo"
Après Abidjan, Barthélémy Toguo a étudié à Grenoble et Dusseldorf, où il a découvert l'art contemporain, l'installation, la photographie. C'est donc une multitude de médiums qu'il utilise, en particulier dans ses œuvres qui interrogent les problèmes du monde. Faisant référence à Camus, pour qui l'art "est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégié des souffrances et des joies communes", l'artiste veut exprimer "un message" : "Et à chaque fois je me demande quel médium je dois utiliser pour mieux m'exprimer", dit-il.
Il a choisi la peinture pour évoquer le problème de l'accès à l'eau dans une œuvre conçue spécialement pour l'exposition, Water Matters : il a imaginé un homme "qui donne", généreux, à plusieurs bras, entre deux calebasses sur une grande toile peinte dans un bleu qui a pris son nom, le "bleu Toguo", créé pour lui par la Manufacture de Sèvres, quand il a réalisé en 2017 une céramique dans la station de métro Château Rouge. Devant la peinture sont disposées des dizaines de bouteilles remplies d'eau.
L'exil des migrants
Pour le drame des migrants, il a choisi de créer une installation, Road to Exile, une grande barque en bois qui croule sous les ballots en wax et qu'on imagine chavirer à tout instant. Elle vogue sur une mer de bouteilles en plastique. A l'avant, une pauvre petite lanterne rouge souligne encore la précarité de l'expédition. "J'ai voulu mettre le spectateur devant une œuvre d'art qui lui fait imaginer ce que ressentent ceux qui partent dans ces conditions difficiles. Ce voyage vers l'exil, certains ne savent même pas s'ils ont y arriver. Beaucoup en meurent."
Une autre installation, Strange Fruit, baptisée d'après la célèbre chanson chantée par Billie Hollyday, parle du lynchage des Noirs aux Etats-Unis et plus largement du drame de la traite et de l'esclavage. Dans une atmophère crépusculaire, des pochettes de disque avec des dessins de têtes pendent aux branches d'un arbre. A ses pieds se tiennent des corbeaux et des chiens comme ceux qui poursuivaient les fugitifs, à côté d'une corde suspendue, "pour évoquer l'ambiance de l'époque".
Vaincre le virus
Barthélémy Toguo utilise aussi la photographie, de façon tragicomique, pour mettre en scènes des présidents africains "qui passent leur temps à faire des discours, mais rien ne change". Ou encore la céramique, avec Vaincre le virus, une série de vases qu'il a fait fabriquer en Chine, car seuls les Chinois savent réaliser des pièces aussi grandes. Il les a peintes en s'inspirant d'images scientifiques recueillies à l'Institut Pasteur, pour nous parler des épidémies qui menacent le monde, sida et Ebola à l'époque.
Barthélémy Toguo ne fait pas qu'évoquer les problèmes du monde, c'est également un homme engagé : au Cameroun, il a créé Bandjoun Station, un centre d'art qui est aussi une résidence d'artistes et un projet écologique et social agricole.
C'est à un beau voyage qu'il nous convie au Quai Branly, dans la diversité de l'expression artistique et l'universalité des problèmes humains. A ne pas manquer.
Désir d'humanité, les univers de Barthélémy Toguo
Musée du Quai Branly
Tous les jours sauf lundi de 10h30 à 19h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h
37 quai Branly et 218 rue de l'Université, 75007 Paris
Jusqu'au 5 décembre 2021
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