Bécassine, héroïne BD et symbole (contesté) de l'exode breton
Rappelons d’abord dans quelles circonstances a été créée Bécassine. Tout est parti de La semaine de Suzette, journal pour fillettes de la bonne société, à la ligne éditoriale « bien-pensante » et édité par la maison Langereau.Un jour, un des rédacteurs oublia un jour de rendre son article.
Pour combler ce blanc, Jacqueline Rivière, la réactrice en chef, se lança dans la description des bêtises de sa domestique bretonne. Elle nomma ce personnage Bécassine avant de demander à un dessinateur, Joseph Pinchon, de lui donner un visage.
Chez les jeunes filles de la bonne société, cette nouvelle héroïne fit un tabac. La série, déclinée en vingt-cinq albums qui paraitront sous la double signature de Caumery et Pinchon entre 1913 et 1939, se vendront à 1 200 000 exemplaires !
Reportage : V. Ponsy /F. Bobin / E. Riou
Si Bécassine fait rire, la vie des jeunes filles bretonnes montées à Paris pour travailler dans les familles bourgeoises n’avait rien de particulièrement drôle. Elevées dans la ferme parentale, âgées parfois d’à peine 16 ans, elles débarquaient dans la capitale, dans un monde aux codes très différents des leurs. « Les conditions étaient rudes, ces femmes étaient sous la tutelle de leur patronne qui les épiait tout le temps. Elles étaient jour et nuit dans les murs de leur patronne » explique Marcel Le Moal, auteur d’un livre sur "L’émigration bretonne" (Ed. Coop Breizh 2013). Cet afflux de jeunes bretonnes commença à la fin du 19e, se poursuivant encore après la Libération. Elles cédèrent ensuite la place aux bonnes espagnoles et portugaises. Image d'Epinal de la jeune bretonne à Paris
Bécassine symbolisa à sa manière les difficultés de ces jeunes Bretonnes. Maîtrisant mal la langue, elle ne connaissait pas non plus les usages sociaux et encore moins les machines dites « modernes ». Malgré tout, Bécassine ne resta pas la petite « bonniche » au bas de l’échelle : bonne d’enfant à son arrivée chez la marquise de Grand’Air, elle devint gouvernante et conseillère de sa maîtresse, mangeant, sur ordre de celle-ci à sa table et non à celle des domestiques.
Pour certains, l’innocence et la naïveté de Bécassine incarnent "la vision conservatrice de l’époque, marquée par le respect des hiérarchies sociales" note Catherine Bertho Lavenir, professeur d’histoire contemporaine à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle. Une héroïne controversée
D'où certainement le mépris que suscita le personnage de Bécassine auprès des militants bretons, certains (comme Morvan Lebesque, figure du renouveau culturel breton) allant même jusqu'à la comparer au "Bon Nègre Banania ». Pour eux, son dévouement aveugle à sa patronne et sa naïveté maladroite véhiculaient une image ridicule et très péjorative des provinciaux et des Bretons en particulier.
A tel point qu'en juin 1939, sa statue de cire, installée au Musée Grévin à Paris, fut pris pour cible par un groupe de Bretons. Paulette Dubost, l'actrice qui incarna Bécassine dans le film de Pierre Caron fut menacée lors du tournage à Lannion de cette adaptation cinématographique de la BD. A sa sortie en salles en 1940, face au tollé, le film fut carrément retiré de l'affiche. Exposition "Bécassine dévoile les trésors de Loulotte"
Musée de la poupée Paris 3e
du 3 février au 26 septembre 2015
Du mardi au samedi de 13h à 18h. Fermé les jours fériés.
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