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Bill Viola au Grand Palais : 40 ans de vidéo pour raconter la vie et la mort

Le Grand Palais propose la première grande exposition en France de l’œuvre de Bill Viola, un des pionniers de l’art vidéo, considéré comme un de ses plus illustres représentants. Quarante ans de travail de l’artiste américain en 20 vidéos qui parlent de la vie et de la mort.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
"The Quintet of the Astonished" (2000) de Bill Viola, au Grand Palais dans le cadre de la rétrospective de l'artiste (du 5 mars au 21 juillet 2014)
 (photo Anne Viannet / MAXPPP)

Bill Viola est obsédé par la naissance et la mort. "On comprend que nos vies sont courtes, parfois trop courtes si on n’a pas commencé son voyage", dit-il d’emblée, lors d’une présentation de son exposition au Grand Palais, la plus grande qui lui ait jamais été consacrée.

Bill Viola, Ascension, 2000, installation vidéo sonore, performeur : Josh Coxx, Bill Viola Studio, Long Beach, Etats-Unis
 (Photo Kira Perov)
 
Une quête spirituelle permanente
Il dit ne pas croire en Dieu mais il est en quête spirituelle permanente, une quête qui l’a emmené au Japon chez un maître zen ou au Ladakh (nord de l’Inde) dans des monastères bouddhistes. Et il cite pêle-mêle Ibn Arabi (penseur arabe andalou du XIIIe siècle), la mythologie grecque, Ananda Coomaraswamy, un penseur sri-lankais de l’art indien, ou le poète William Blake.
 
Son exposition est conçue comme un voyage introspectif autour de trois questions : "Qui suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je".
Bill Viola, Going Forth By Day (détail), First Light (panneau 5), installation sonore, performeurs : Weba Garretson, John Hay, collection particulière
 (Photo Kira Perov)
 
La vidéo, une sculpture du temps
L’artiste américain, âgé de 63 ans, est né à New York, a étudié la peinture et s’est très vite consacré à l’art vidéo. "Je suis né en même temps que la vidéo", proclame-t-il. Il a donc suivi l’évolution de la technique, de la cassette au numérique, et multiplié les outils (caméras de surveillance à infrarouge, caméras haute résolution, caméra militaire pour lumière lunaire) et les supports : il présente ses images sur des écrans, des voiles transparents, des écrans plasma et même sur des plaques de granite noir.
 
"C’est le temps qui rend mon travail possible, c’est avec le temps que je travaille", dit Bill Viola. Il dit aussi que, dans son travail, il "sculpte" le temps. Il insiste sur la nécessité de "prendre le temps de penser quelque chose de nouveau" et de "laisser quelque chose" pour la postérité, estimant que "la créativité existe dans tous les êtres humains".
Bill Viola, The Sleep of Reason (détail), 1988. Installation vidéo sonore, en continu. Carnegie Museum, Pittsburgh, Etats-Unis
 (Photo Kira Perov)
 
Contre la vitesse
Et le temps il aime l’étirer dans ses vidéos, y introduisant des ralentis qui appellent à la méditation : il s’insurge contre la rapidité de notre époque et le trop-plein d’informations qui nous submerge ("une pollution"), se souvenant avec émotion de la lenteur de son enfance, une époque où "l’espace était tranquille".
 
Pour parler du temps, donc, les œuvres durent entre sept et trente-cinq minutes (et le plus souvent entre 15 et 25). Il y en a vingt, pour environ sept heures au total. On ne les verra pas toutes in extenso. Et généralement, on n’arrive pas au début de l’histoire, on la prend en cours de route. Au risque de rater l’essentiel.
 
D’autant que les œuvres sont livrées sans explications, pour que chacun y trouve ce qu’il veut. Et que les œuvres de Bill Viola sont faites d’accélérations, où tout se produit et se transforme subitement alors que depuis de longues minutes, on avait l’impression qu’il ne se passait rien. Pas grave si on n’en voit que des bribes, dit Kira Perov, la femme de Bill Viola, qui travaille avec lui depuis 1979 : "Chacun y verra ce dont il a besoin", dit-elle. Certes, on peut aussi se promener dans l’exposition, voir un bout d’une vidéo, s’en aller, revenir et y découvrir autre chose. Mais on risque alors de passer à côté.
Bill Viola, The Dreamers (détail), 2013, installation vidéo sonore, performeuse : Madison Corn, Collection particulière
 (Photo Kira Perov)
L’eau, un thème récurrent
L’eau est un élément récurrent dans l’œuvre de Bill Viola. Il se dit "connecté à l’eau". Il y a immergé les sept dormeurs d’une de ses dernières œuvres ("Dreamers", 2013). C’est que l’artiste a été profondément marqué par une expérience à la limite de la mort, quand il avait six ans : il a failli se noyer et quand il s’est retrouvé au fond de l’eau, il a vu "le monde le plus merveilleux : sous l’eau, c’est extraordinaire, il n’y avait plus de pesanteur". Et quand il a été sauvé par son oncle, il ne voulait pas le suivre.
 
La vidéo qui ouvre l’exposition, et aussi une de ses premières, est directement liée à cette expérience. Dans "The Reflecting Pool" (le bassin miroir, 1977-79), un homme arrive au bord d’un bassin, immergé dans la verdure. Il saute et son corps se fige en l’air. Mais son reflet a disparu. Puis il réapparaît alors que la figure se dissout progressivement… Tout le temps que dure la vidéo, on entend de l’eau qui s’écoule.
 
Car le son est un élément important dans les vidéos de Bill Viola, qui en même temps que la peinture a étudié la musique électronique.
Bill Viola, Walking on the Edge, 2012, vidéo couleurs en haute-définition sur écran plasma, performeurs, Kwesi Dei, Darrow Igus, Bill Viola Studio, Long Beach, Etats-Unis
 (Photo Kira Perov)
 
Le désert et les grands espaces
Bill Viola, new-yorkais d’origine, s’est installé en Californie, dont il aime les grands espaces. Il a filmé les déserts et ses mirages, produisant peut-être ainsi ses œuvres les plus fortes. Chott el-Djerid (1980) fait apparaître des silhouettes fantomatiques et mouvantes de petits personnages ou de bâtiments dans de grandes étendues blanches. Dans une autre salle, deux œuvres se font face. Elles ont le même cadre : un désert sur fond de montagne. Des personnages y marchent sans avancer s’éloignant lentement ou se rencontrant.
 
Autre élément récurrent, le feu. Dans "The Sleep of Reason" (1988), une femme dort sur l’écran d’un téléviseur, posé sur une commode. De temps en temps, des flammes dévorent pendant quelques secondes les trois murs de la salle, dans un vacarme effrayant, évoquant comme un cauchemar de la dormeuse, quand ce ne sont pas des flashes de vagues ou des chouettes. La référence à Goya est explicite : il s’inspire d’une gravure de la série des "Caprices" ("Le sommeil de la raison produit des monstres").
Bill Viola, Fire Woman, 2005, Projection vidéo couleurs haute définition, performeuse : Robin Bonaccorsi, collection particulière
 (Kira Perov)
Hommages aux maîtres de la peinture
Car, au passage, Bill Viola pense aux maîtres du passé, flamands ou italiens quand il travaille. "The Quintet of the Astonished" (2000), est inspiré par "Le Couronnement d’épines de Jérôme Bosch". Cinq personnages groupés, impassibles au départ, se mettent, très progressivement et très lentement, à exprimer des émotions.
 
Le feu, encore, accueille littéralement le visiteur dans la grande salle qui abrite l’œuvre la plus monumentale et la plus ambitieuse de l’exposition. On doit traverser les flammes puisqu’elles sont projetées sur la porte, pour voir "Going Forth by Day" (2002). Cinq tableaux de 35’ s’y déroulent en même temps, sur les murs de la salle. Le titre fait référence au Livre des morts des anciens Egyptiens ("Livre pour sortir au jour"). Là, l’œuvre se veut inspirée des fresques de Giotto pour la chapelle des Scrovegni à Padoue et entend "explorer les thèmes de l’existence humaine : l’individualité, la société, la mort, la renaissance".
Bill Viola, Going Forth By Day (détail), The Deluge (panneau 3), installation vidéo sonore, collection particulière
 (Photo Kira Perov)
 
Un artiste en quête d’émotion
Un lent défilé ininterrompu de personnages très divers parcourt une forêt sur le plus long mur ("The Path"). Sur un autre pan de mur, devant un bâtiment blanc, des tas de personnages courent, vaquant à leurs occupations. Tout d’un coup, un déluge traverse l’édifice et c’est la panique ("The Deluge"). Un autre tableau évoque le passage vers l’au-delà : un vieil homme meurt dans son lit, alors que sa femme l’attend au bord d’un lac où un bateau va les emmener avec leurs meubles.
 
Pour Bill Viola, "Le véritable lieu de l’œuvre est dans l’esprit et le cœur de la personne qui l’a vue". Il entend, donc, faire appel à vos émotions. Ca marche ou ça ne marche pas. On est, avouons-le, moins convaincu par les deux dernières œuvres citées, comme par le diptyque "Man Searching for Immortality / Woman Searching for Eternity" (2013). Certes, nous savons tous que nous allons mourir et ça nous angoisse. Mais cet homme et cette femme âgés et nus qui se scrutent le corps avec une lampe torche pour vérifier qu’ils ne sont pas malades nous donneraient plutôt envie de rire. Peut-être s'agit-il de se moquer de nous-même et de nos peurs.
Bill Viola, Catherine's Room (détail) 2001, polyptique vidéo, Bill Viola Studio, Long Beach, Etats-Unis, performeuse : Weba Garretson
 (Photo Kira Perov)
Bill Viola, Grand Palais, entrée Champs-Elysées, Paris 8e
tous les jours sauf le mardi, le 1er mai et le 14 juillet
du mercredi au samedi de 10h à 22h
dimanche et lundi de 10h à 20h
tarifs : 13€, 9€ (gratuit pour les moins de 16 ans)
Du 5 mars au 21 juillet 2014

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