Braque n'est-il que le Poulidor du cubisme ?
Co-inventeur du cubisme, Georges Braque est resté dans l'ombre de Picasso. Une exposition au Grand Palais permet de réévaluer les découvertes de ce chercheur d'art.
C'est en 1907 que Braque et Picasso font leurs premières expériences cubistes du côté de l'atelier du Bateau-Lavoir, dans le quartier de Montmartre à Paris, découpant en petits cubes leurs sujets sur la toile. Les deux jeunes hommes (respectivement 25 et 26 ans) se voient alors comme deux alpinistes en montagne, solidaires l'un de l'autre. Pourtant, l'histoire de l'art retiendra surtout le nom du "premier de cordée", Picasso, plus charismatique que le discret Braque (1882-1963), d'abord formé à la peinture en bâtiment. Mais cet artiste né à Argenteuil mérite mieux que cette place d'éternel second. Avant-gardiste, expérimentateur de génie, il n'a jamais cessé d'innover, comme le prouve la belle exposition que lui consacre le Grand Palais, à Paris, du 18 septembre au 6 janvier.
Inventer un monde géométrique
Ce sont des peintures de Paul Cézanne montrées à Paris en 1905 et 1907 qui vont radicalement transformer la manière de peindre de Braque. Observez ce viaduc peint dans le quartier de l'Estaque, à Marseille, où le jeune artiste séjourne pour retrouver les paysages du maître d'Aix.
Maintenant, comparez avec cette peinture de la montagne Sainte-Victoire, conservée à Philadelphie (Pennsylvanie, Etats-Unis). L'influence est manifeste : on retrouve les teintes ocre et vertes, mais surtout une manière de transformer l'espace en figures géométriques. Braque a bien retenu la leçon de Cézanne : "Tout dans la nature se modèle sur la sphère, le cône et le cylindre." Sauf que dans un premier temps, le jeune homme privilégie le cube.
Lorsqu'il se lance, avec Picasso, dans l'aventure du cubisme, il est à la source de nombreuses idées bientôt chipées par l'Espagnol. C'est lui, par exemple, qui introduit des instruments de musique dans ses compositions.
Dans la toile ci-dessus, au premier plan, on reconnaît les cordes et le manche d'une guitare. Mais bien d'autres instruments s'invitent dans ses peintures : mandoline, tenora (une sorte de clarinette)… Pourquoi ? Parce que l'artiste, mélomane, représente les objets qui s'offrent à sa vue dans son atelier. Et que les courbes de ces instruments créent un contraste intéressant avec les droites cubistes.
Des peintures sur la peinture
Au cours de ses expérimentations cubistes, pour ne pas s'encombrer d'un modèle, Braque privilégie la nature morte. Les objets immobiles se prêtent tout à fait à ses expériences plastiques : il les découpe, les superpose, les mélange. Ces essais pourraient paraître répétitifs si l'artiste ne cherchait pas constamment à se renouveler.
Ci-dessus, par exemple, il colle sur la toile un papier imitant le bois. Une première dans l'aventure cubiste – Picasso reprendra rapidement l'idée. Mais Braque s'amuse aussi à introduire des éléments de trompe-l'œil dans sa composition, en s'appuyant sur un effet de matière. Plus tard, dans des mises en abyme surprenantes, il reproduira lui-même du faux bois en peinture, créant une imitation d'imitation et perturbant encore plus le spectateur qui cherche à distinguer le vrai du faux.
Dans ses toiles, Picasso invite la politique (voir son portrait de Staline, analysé sur Le Monde), la mort (ses nombreuses scènes de corridas) ou le sexe. Braque, lui, peint en prenant la peinture elle-même pour sujet.
C'est le cas ci-dessus, avec cette nature morte réalisée dans son atelier et qui montre deux natures mortes. Braque semble nous inviter à une comparaison entre deux de ses tableaux pour nous prouver qu'avec cette carafe blanche sur fond noir, évoquant les papiers découpés de Matisse, il n'a rien perdu de sa radicalité.
Il peut même aller plus loin. Observez bien la peinture ci-dessus. Vous voyez cette forme ocre et jaune, vers la droite ? C'est la main de l'artiste qui tient des pinceaux. Et les formes oblongues qui s'étirent sur toute la hauteur de la toile ne sont autres que le haut du chevalet de l'artiste ! Braque ne fait pas que se mettre en scène dans son atelier. Il rompt aussi avec les codes tenaces de la perspective, hérités de la Renaissance : pour donner l'impression de profondeur, il superpose les éléments sur le tableau et joue avec des effets de transparence.
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