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Canaletto, la Venise du XVIIIe comme si vous y étiez

Giovanni Antonio Canal est l'un des rares peintres vénitiens à être passé à la postérité. Deux expositions parisiennes reviennent sur son œuvre d'une étonnante précision.

Article rédigé par Pierre Morestin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
"La place Saint-Marc, vers l'Est", de Canaletto (1723). Huile sur toile. 141,5 x 204,5 cm. Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza. (MUSEO THYSSEN-BORNEMISZA, MADRID)

EXPOS - Attention à l’orgie de peinture vénitienne ! A Paris, deux expositions mettent en ce moment Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768) à l’honneur. L'une se déroule au musée Jacquemart-André (du 14 septembre au 14 janvier), l'autre au musée Maillol (du 19 septembre au 10 février). Gondoles, scènes de carnaval… si on les regarde trop rapidement, les toiles de Canaletto peuvent passer pour une lassante succession de clichés.

C’est que ce Vénitien d’origine cherchait d’abord à flatter le goût de ses clients, surtout de richissimes aristocrates britanniques qui réalisaient le Grand Tour, un voyage en Europe destiné à parfaire l’éducation des plus aisés et qui passait immanquablement par l’Italie. Il fallait donc montrer les sites touristiques les plus appréciés et les fêtes les plus pittoresques.

"Le doge part pour le Lido à bord du Bucintoro, le jour de l’Ascension", de Canaletto (1775-1780). Plume, encre brune, aquarelle grise et blanc de céruse (oxydé) sur trace de crayon. 39 x 55 cm. Londres, The British Museum. (THE BRITISH MUSEUM)

Ici, par exemple, il représente le doge, le plus important responsable politique de Venise, dans son embarcation officielle, le Bucentaure, qui se rend au Lido, de l'autre côté de la lagune. Traditionnellement, chaque année, le doge jette un anneau dans la lagune en symbole des épousailles de la ville et de la mer. Mais si l’artiste s’était simplement contenté de peindre le folklore vénitien, il ne serait pas resté dans les mémoires.

Décorateur et metteur en scène

Canaletto a reçu une formation de "scénographe", c’est-à-dire de peintre de décors. Il a notamment été chargé, à ses débuts, de travailler pour les opéras de Scarlatti et de Vivaldi. Après un voyage à Rome, le jeune artiste change d’orientation. Il décide de devenir peintre de "vedute", des scènes de rue panoramiques. Mais sa formation initiale va lui servir. Il ne s’appuie pas seulement sur la maîtrise de la perspective qu’il a acquise pour réaliser des décors en trompe-l’œil. Il met les bâtiments en scène.

 

"Le Campo Santi Giovanni e Paolo", de Canaletto (1738-1739). Huile sur toile. 46,4 x 78,1 cm. Londres, The Royal Collection. (HM QUEEN ELIZABETH II 2012)

Regardez comme dans cette peinture, par exemple, il exalte la majesté de l’église gothique en ayant soin de l’entourer de passants minuscules. Mieux, grâce au traitement très géométrique des ombres, qui créent deux lignes obliques parallèles, il rend les bâtiments encore plus imposants.

Une Venise vivante

Cette peinture "habitée" n’est pas une exception dans l’œuvre de Canaletto. Ses toiles sont de petits théâtres où se jouent des scènes banales, charmantes ou comiques.

"La Scala dei Giganti", de Canaletto (1755-1756). Huile sur toile. 175,2 x 139,5 cm.  (COLLECTION OF THE DUKE OF NORTHUMBERLAND)

Cette peinture, qui montre l’escalier permettant d'accéder au palais ducal, est ainsi l'occasion d’observer les Vénitiens qui s’agitent sous le regard des statues de Neptune et de Mars. Ici, une famille près d’un petit chien (animal qu’on retrouve fréquemment chez Canaletto) ; là des notables en pleine discussion ; à droite, un homme caché derrière un pilier… La scène, réaliste, pleine de vie, fourmille de détails. Parfois, le peintre ajoute une touche de trivialité. Dans ce tableau, en bas à gauche, vous pourrez remarquer une femme courant relever son enfant… qui se soulage à même le sol.

Paysages plus vrais que nature

En 1882, dans son Guide de l’amateur au musée du Louvre, l’écrivain français Théophile Gautier conseillait à ceux qui n’ont pas eu la chance de se rendre à Venise de s’arrêter devant une toile de Canaletto : "La réalité ne vous en apprendra pas davantage, toute l’illusion est complète", explique-t-il.

"La place Saint-Marc, vers l'Est", de Canaletto (1723). Huile sur toile. 141,5 x 204,5 cm. Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza. (MUSEO THYSSEN-BORNEMISZA, MADRID)

Même en comparant avec des photographies récentes de la plus célèbre place de Venise, on reste bluffé par la précision des peintures du maître. Mais il faut savoir que Canaletto, comme nombre de ses rivaux de l’époque, avait un truc. Il utilisait une camera obscura. Cette "chambre noire" consiste en une boîte percée d’un trou, par lequel pénètre les rayons lumineux, et qui forme sur le côté opposé une image renversée. L’appareil d’optique accompagnait Canaletto dans toutes ses pérégrinations à travers Venise et lui permettait de consigner dans ses nombreux carnets de dessin la forme exacte des bâtiments. Il s’appuyait aussi sur des croquis pris sur le vif, sans camera obscura, pour enrichir ses compositions.

Le chaos selon Guardi

Pour comprendre ce qui fait la particularité de Canaletto, on peut comparer ses toiles à l’un des autres rares peintres de vedute qui soit sorti de l’oubli, Francesco Guardi (1712-1793), redécouvert au temps des impressionnistes.

"Le Grand Canal avec l'entrée au Cannaregio", de Francesco Guardi (vers 1760-1764). Huile sur toile. 72,5 x 120 cm. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek. (BPK, BERLIN, DIST. RMN – IMAGE BSTGS – SAMMLUNG HYPOVEREINSBANK, MEMBER OF UNICREDIT)

 

"Le Grand Canal et l'entrée au Cannaregio", de Canaletto. Huile sur toile. 46 x 78,4 cm. Londres, The Royal Collection. (HM QUEEN ELIZABETH II 2012)

Guardi joue sur les effets climatiques (ciel chargé, eau presque noire), sa palette est plus sombre, sa touche très vive joue avec la matière peinte (ce qui a pour effet de dissoudre les formes). En comparaison, les peintures de Canaletto paraissent particulièrement sereines avec leurs ciels presque toujours bleus. Chaos contre harmonie. C’est peut-être la raison pour laquelle Canaletto plaisait autant à ses clients étrangers… et pour laquelle Guardi, pourtant talentueux, est mort pauvre et oublié.

Quelle exposition choisir ?

Pour les érudits

L’exposition présentée au musée Jacquemart-André met en parallèle les principaux vedutisti (peintres de vedute), établissant notamment des comparaisons entre Canaletto et Francesco Guardi.

Canaletto-Guardi : les deux maîtres de Venise
Du 14 septembre 2012 au 14 janvier 2013 
Musée Jacquemart-André
158, boulevard Haussmann, Paris 8e

• Tous les jours de 10 heures à 18 heures. Nocturnes tous les lundis et samedis, jusqu'à 21 heures
Tarifs : 13 euros (plein tarif) / 11,50 euros (tarif réduit)
Tél. : 01 45 62 11 59

Pour tous

L’exposition du musée Maillol, centrée exclusivement sur Canaletto, détaille sa méthode de travail. Et présente notamment un modèle de camera obscura que les visiteurs peuvent tester. Si vous voulez voir Canaletto avec vos enfants, choisissez celle-ci.

Canaletto à Venise
Du 19 septembre 2012 au 10 février 2013
Musée Maillol
61, rue de Grenelle, Paris 7e

• Tous les jours de 10 h 30 à 19 heures, sauf vendredi de 10 h 30 à 21 h 30
Tarifs : 11 euros (plein tarif) / 9 euros (tarif réduit)
Tél. : 01 42 22 59 58

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