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"Ce que la Palestine apporte au monde", une exposition émouvante à l’Institut du monde arabe qui imagine un avenir en Palestine en pleine guerre entre Israël et le Hamas

L’Institut du monde arabe donne, le temps d’une exposition, un espace de musée à la Palestine, pays sous le joug de l’occupation qui en est privé. "Ce que la Palestine apporte au monde" est un hommage culturel et intellectuel à voir absolument jusqu’au 19 novembre.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Mohamed Abusal, "Un métro à Gaza", 2011. (MOHAMED ABUSAL)

"Les musées contribuent à la construction nationale d’un État. La Palestine, peuple et territoire, n’est pas encore un État souverain et indépendant", peut-on lire au début de l’exposition Ce que la Palestine apporte au monde à l’Institut du monde arabe (IMA). La Palestine vit un nouvel épisode meurtrier pour son peuple. Depuis l'attaque du Hamas contre Israël depuis la bande de Gaza le 7 octobre, au moins 4 137 Palestiniens, principalement des civils, ont péri dans les bombardements, selon le dernier bilan du ministère de la Santé dirigé par le Hamas.

L’Institut du monde arabe fait le pari fou de construire un musée en pleine situation coloniale. Le Musée Sahab ("nuage" en arabe) est un projet qui présente une Gaza à travers les yeux des Palestiniens et du reste du monde. Privée de musée, la Palestine a rassemblé une collection solidaire composée de 400 dons d’artistes palestiniens et des cinq continents.

Depuis 2016, l’IMA abrite en ses murs la collection du futur Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine, réunie à l’initiative d’Elias Sanbar, écrivain et ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco.

Amer Nasser, "Cinema for survival" (Gaza Red Carpet Film Festival), 2015. (AMER NASSER)

Utopie d’une Gaza libérée

Les mots au début de l’exposition sont clairs. "Loin d’une chronique victimaire, l’exposition donne à voir le monde en Palestine et la Palestine au monde." Néanmoins, l’émotion règne dans tous les espaces dédiés à l’exposition. On sent la puissance des œuvres, la tristesse et l'isolement des artistes exilés partagés par leurs homologues du monde entier.

Hamed Abdalla (Egypte), "Al-Thawra" ("Révolution"), 1968 – Coll. du Musée d’art moderne et contemporain de la Palestine. (MNAMCP – NABIL BOUTROS)

Depuis la Nakba (la "catastrophe") en 1948 (début de la guerre israélo-arabe) qui désigne le départ d'entre 700 000 et 750 000 Arabes palestiniens sur les 900 000 qui vivaient dans les territoires palestiniens, et qui fuirent ou furent chassés de leurs terres, ces régions sont désormais sous contrôle israélien. Leurs descendants sont aujourd'hui plus de 5 millions et reconnus comme réfugiés palestiniens.

Des peintures françaises, syriennes, égyptiennes, espagnoles ou argentines inaugurent l’exposition, nous plongeant dans une atmosphère de révolution, de peur mais aussi de solitude. Un espace au centre de la salle principale arrive comme une respiration, une bouffée d’espoir. Intitulée Sahab, le musée des nuages, elle renferme une fresque poétique, celle d’un musée-refuge sans frontières, loin de l’isolement de Gaza.

Collectif Hawaf (Gaza), "L'atelier du nuage" – Sahab, le musée des nuages, 2023. (FRANCEINFO Y.S / IMA)

Créée par le collectif Hawaf ("marges" en arabe) et quatorze artistes invités, cette fresque est un acte de résistance qui réactive l’imagination et l’utopie. Un nuage comme une zone loin du tumulte, émancipé de toute violence. Un nuage qui pourrait redescendre dans le futur sur une Gaza libérée.

Acte de résistance

L’exposition traite de la vie quotidienne des Palestiniens en photo, en peinture, mais aussi en sculpture et en textes divers. Les Palestiniens mènent une vie profondément marquée par le déracinement et les exils. Les œuvres se réfèrent au thème de la longue marche. Une longue marche de retour pour les exilés, mais aussi pour retrouver une reconnaissance.

Julio Le Parc (Argentine), "La Longue marche du peuple palestinien", 1975. (FRANCEINFO Y.S / IMA)

Une impressionnante tornade en fils barbelés du Libanais Abdul Rahman Katanani, montre la puissance terrifiante et handicapante de la guerre, au point d’embrumer les moindres tréfonds de la pensée. Une tornade sans début et sans fin à l'image des luttes et des violences à Gaza.

Abdul Rahman Katanani (Liban), "Tornade", 2020, fils de fer barbelé. (FRANCEINFO Y.S / IMA)

Peu de pays ont été photographiés comme la Palestine. L’exposition en est riche. Elle confronte une vision orientaliste, coloniale et stéréotypée des photos du XIXe siècle avec les artistes modernes qui rompent avec les prises de vues d’une Terre sainte et d’un "pays-vestige". L’art devient un moyen pour les Palestiniens de conquérir ou reconquérir une visibilité historique et politique. La réappropriation visuelle par les Palestiniens est une lutte contre l’invisibilité, un acte de résistance qui "passe par la force de la présence : être là, malgré tout, simplement, sans slogan", peut-on lire sur les murs de l'exposition.

Anne-Marie Filaire (France), "Kalandia en Palestine", 2004 – Don de l’artiste – Collection du Musée d’art moderne et contemporain de la Palestine. (MNAMCP / ANNE-MARIE FILAIRE / NABIL BOUTROS)

On peut découvrir des photos qui font naître une utopie dans un futur presque inaccessible, comme un métro en plein Gaza ou des parcours pour les planches de skateboard malgré leur interdiction d’importation.

L'exposition "Ce que la Palestine apporte au monde" à l'Institut du monde arabe, salle des donateurs, niveau -2. (IMA / ALICE SIDOLI)

Mur de séparation

Vivre en Palestine, c’est aussi vivre dans des zones contrôlées. Autrefois pastorales, certaines terres sont devenues des aires militaires interdites. L’artiste palestinien Hazem Harb, aujourd’hui basé à Dubaï, superpose des panneaux d’avertissement avec des photographies d’archives de ces régions dans les années 1920, avant la colonisation. Il offre une réflexion sur le contrôle de l’espace.

Hazem Harb, "Military zones" (série), 2019. (FRANCEINFO Y.S / IMA)

Une autre série de photos est frappante. Intitulée GH0809, autrement dit Gaza Houses 2008-2009, elle rassemble une série d’images présentées comme des annonces immobilières. En bas de chaque cliché, un commentaire décrit l’habitation avant sa destruction. L’artiste palestinien Taysir Batniji a réalisé cette série le lendemain de l’opération israélienne sur Gaza de décembre 2008 à janvier 2009. 1 300 Palestiniens dont 65% de civils avaient perdu la vie. Taysir Batniji leur rend hommage et constitue un important travail de mémoire, ne pouvant retourner à Gaza à cause du blocus imposé depuis 2007.

Taysir Batniji, "GH0809, Gaza Houses 2008-2009", 2009-2010. (FRANCEINFO Y.S / IMA)

"Les valises de Jean Genet"

"L’art se justifie s’il invite à la révolte active, ou à tout le moins, s’il introduit dans l’âme de l’oppresseur le doute et le malaise de sa propre injustice", disait Jean Genet en 1988. L’Institut du monde arabe lui rend hommage en lui consacrant une partie de l’exposition dédiée à la Palestine, intitulée Les valises de Jean Genet.

Dans ces valises, des notes sur le cinéma, la prison, l’écriture ou l’homosexualité, mais aussi des lettres ou des factures d’hôtel. Jean Genet remet ses valises quinze jours avant sa mort à son avocat Roland Dumas, en avril 1986. À l’intérieur, les manuscrits d’Un Captif amoureux, l’un des plus grands livres écrit par un auteur occidental sur les Palestiniens en lutte.

"Les valises de Jean Genet", l'une des parties de l'exposition "Ce que la Palestine apporte au monde" à l'Institut du monde arabe. (©IMA/Alice Sidoli)

C’est en octobre 1970 que Jean Genet rencontre pour la première fois des Palestiniens à Amman, au lendemain des combats et massacres de Septembre noir. L’exposition rend hommage à Jean Genet comme personnalité militante. Ce fut un appui pour les Noirs américains et le mouvement Black Panthers qu’il fréquente pendant deux ans en 1970, mais aussi pour les combattants palestiniens. De multiples écrits, citations ou poèmes ressortent des valises de Jean Genet, au plus grand bonheur du public.

"Ce que la Palestine apporte au monde" à voir jusqu’au 19 novembre à l'Institut du monde arabe.

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