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Combinaison antibombe : happening artistique en Irak pour donner l'alerte

Engoncé dans une imposante combinaison antibombe, un Irakien salue de la main un groupe d'enfants ébahis avant de s'attabler à la terrasse d'un café de Bagdad où des hommes sirotent leur thé.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Temps de lecture : 4min
La combinaison antibombe de l'artiste irakien Hussein Adil
 (Ahmad Al-Rubaye/AFp)

Comme de plus en plus d'artistes, Hussein Adil, 20 ans, silhouette svelte et cheveux bouclés, entend dénoncer à travers son travail la violence dans laquelle il a grandi. Ce jour-là, il n'y a ni bombes dans la rue Rachid, ni protection en kevlar dans cette combinaison noire, pensée et conçue par Hussein pour mettre en scène l'un de ses amis. "Nous l'avons fabriquée car il n'y a pas beaucoup de combinaisons antibombe en Irak, alors que nous devons être le pays qui en a le plus besoin", explique-t-il.

  (Ahmad Al-Rubaye/AFp)


En souvenir du journaliste Ammar al-Shahbander, victime d'un attentat à la voiture piégée

L'idée de ce "happening" lui est venue l'an dernier, lorsqu'un attentat à la voiture piégée a tué son proche ami le journaliste Ammar al-Shahbander. Hussein se dirigeait vers un café du quartier de Karrada à Bagdad avec Ammar et deux autres amis, lorsqu'il a reçu un appel important sur son téléphone portable. "Je leur ai dit de continuer, que je les rejoindrai dans cinq minutes", se souvient-il.

C'est alors que quelques instants plus tard il a entendu l'explosion. Après avoir cherché ses compagnons pendant des heures, il a retrouvé l'un d'eux à l'hôpital, blessé à la tête, et a appris la mort de Ammar.

Prémonition

Deux semaines plus tard, le jeune homme rêvait qu'une bombe explosait près d'une place dans le centre de la capitale. A son réveil, il a immédiatement appelé ses amis et son père pour les avertir.

Une explosion a ébranlé cet endroit précis un peu plus tard le même jour. "Mes amis m'ont demandé comment j'avais su, c'était un sentiment très étrange", confie Hussein, expliquant que c'est à partir de ce moment-là qu'il a voulu chercher des manières d'exprimer son angoisse à travers l'art.
 
Bagdad a été la cible de centaines d'attentats à la voiture piégée ces dernières années, parfois plusieurs par jour. Des dizaines de milliers de civils ont été tués dans des attentats, tandis
que de nombreux habitants vivent avec un profond traumatisme, qui ressurgit avec le retour de la violence.    

Happening individuel    

Hussein a alors imaginé une performance lors de laquelle son ami Muslim s'adonnerait à ses activités quotidiennes dans la ville, vêtu de sa combinaison antibombe. "Je me suis dit, pourquoi n'existe-t-il pas de tenues de ce genre pour nous protéger? D'autres initiatives n'ont pas porté leurs fruits, alors j'ai opté pour des solutions à l'échelle individuelle", raconte l'artiste.

Le charme décrépi des arcades ornées et les théâtres abandonnés de la rue Rachid fournissent une toile de fond étrange à la silhouette sombre, qui déambule nonchalamment dans cet équipement factice.

En voyant Muslim marcher péniblement, la tête enfoncée dans un casque balistique derrière une visière transparente, les passants semblent tantôt amusés, tantôt alarmés. "Je suppose qu'ils ont leurs raisons pour proposer ce genre d'art mais personnellement, je ne vois pas ce que ça va changer à ce que notre pays endure", lance Abou Ibrahim, un commerçant.

"Où en sommes-nous arrivés ?"

Accompagné par Hussein, Muslim fait le tour du quartier pour échanger avec les passants, commander un thé dans un café ou se renseigner sur les tarifs d'un tailleur. Après que deux personnes l'ont aidé à s'extraire de sa combinaison, Muslim livre ses réflexions.

"Je savais que ce n'était pas une vraie combinaison (...) mais à un moment donné, j'ai senti qu'elle me protégeait et j'ai commencé à imaginer tout ce que je pouvais faire", dit-il. "Je pouvais ressentir le regard des gens sur moi, ceux qui riaient, restaient perplexes ou semblaient vouloir l'essayer."

Hussein Adil prévoit de renouveler sa performance dans plusieurs endroits de la capitale et de conclure l'expérience par une exposition photographique. "Je voulais montrer au public où nous en sommes arrivés (...) et faire germer cette question dans leurs esprits: et si nous ressemblions tous à cela?"   


(A Bagdad : Jean-Marc Mojon)

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