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Comment Gauguin et d'autres sauvages ont mis le feu à la peinture

Jusqu'au 8 avril, l'atelier Grognard, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), expose les "terribles brigands" de l'école de Pont-Aven. Des hippies avant l'heure qui ont révolutionné la peinture.

Article rédigé par Léo Pajon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Henry Moret, "Batteuses de blé", huile sur panneau, 1892, 37,5 x 50 cm. (BERNARD GALÉRON                             )

Hirsutes, menaçants, de jeunes gaillards arpentent la campagne bretonne et s’amusent à terroriser les Bigoudènes. Mais ces écoliers indisciplinés qui se retrouvent à Pont-Aven, un coin perdu du Finistère, en cette fin de XIXe siècle, ont une palette à la main : rassemblés autour d’un chef de meute, Gauguin, ils ont pour projet de changer radicalement la peinture, encore dominée à l’époque par l’impressionnisme, bien trop sage à leur goût. Du 12 janvier au 8 avril, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), l'atelier Grognard rassemble 150 peintures, gravures et dessins de ces Bretons d’adoption. Et permettent de comprendre en quoi leur mouvement a donné un coup de fouet aux arts visuels.

Débusquer une Bretagne "sauvage et primitive"

L’école de Pont-Aven regroupe en fait des Parisiens (Paul Gauguin, Paul Sérusier), un Lillois (Emile Bernard) ou encore un Alsacien (Charles Filiger). Qu’est-ce qui a poussé ces artistes à s’enterrer dans un minuscule port breton ? Réponse dans ces deux toiles d’Henry Moret (un Normand !).

Henry Moret, "Le Château de Keroman", huile sur toile, 1892, 55 x 45 cm, collection particulière. (CHRISTOPHE SORESTO)

Le château de Keroman, que l'on devine en arrière-plan dans cette œuvre, n'existe plus aujourd'hui. Il se situait près de Lorient, distant d’une cinquantaine de kilomètres de Pont-Aven. Il ne faut donc pas croire que les peintres soient restés dans cet unique village, malgré le nom qu’a pris leur groupe. La campagne bretonne tout entière est un terrain de jeu pour les peintres. Le train, depuis peu, permet de s’y rendre facilement, la vie n’y est pas chère. Et surtout, on n’y est pas influencé par les modes artistiques parisiennes.

Henry Moret, "Batteuses de blé", huile sur panneau, 1892, 37,5 x 50 cm. (BERNARD GALÉRON                             )

Plus question de célébrer la vie moderne, les machines ou les nouveaux loisirs, comme le faisaient les impressionnistes. Ici, avec ces batteuses de blé, c’est un quotidien breton rugueux, la vie aux champs, le dur labeur, qui est mis en avant. Coiffes et sabots, maisons aux toits de chaume viennent ponctuer un hymne à la ruralité. Mais ce folklore encensé par les artistes s’arrange parfois un peu avec la réalité ; les peintres ne représenteront par exemple jamais le chemin de fer, trop moderne à leur goût, mais qui passe pourtant à quelques kilomètres de Pont-Aven !

Ne plus peindre le réel, mais l’émotion

Dans une lettre de 1888 à son ami Emile Schuffenecker, Gauguin écrit : "Ne copiez pas trop d’après nature. L’art est une abstraction : tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qu’au résultat." Résultat de ces conseils ? Cette forêt d’un rouge incandescent :

Paul Sérusier, "Le Bois rouge", huile sur carton, 1895, 120 x 60 cm, collection particulière. (C&J GORCE  DROITS RÉSERVÉS  )

Evidemment, on pourrait penser que ces couleurs sont celles, naturelles, de la végétation automnale. Mais les troncs, rouge sang, le sol, qui semble être une flaque d’hémoglobine, ont une portée symbolique et rappellent les décors des contes et des vieilles légendes celtiques. A l’arrière-plan, les sous-bois à peine esquissés contribuent à faire planer sur la toile une atmosphère mystérieuse, inquiétante.

Paul Gauguin, "Fête Gloanec", huile sur bois, 1888, 38 x 53 cm. (ORLÉANS, MUSÉE DES BEAUX-ARTS, CLICHÉ FRANÇOIS LAUGINIE)

On retrouve ce rouge éclatant dans une des toiles majeures de l’exposition : Fête Gloanec, de Gauguin. Regardez bien en bas à droite. Peinte en 1888 pour la patronne de l’auberge dans laquelle il réside, Marie-Jeanne Gloanec, cette toile a la particularité de ne pas être signée Gauguin mais "Madeleine Bernard". Pour que cette œuvre révolutionnaire soit bien acceptée, le peintre voulait faire croire qu’il s’agissait de celle d’une débutante ! L’une des innovations les plus visibles de cette nature morte, ce sont justement les couleurs, totalement arbitraires, utilisées pour la réaliser. Le peintre n’est plus l’esclave du réel, il cherche d’abord à communiquer une émotion à travers ce qu’il représente.

Des Japonais dans le Finistère

L’image ci-dessous rappellera peut-être quelque chose aux fidèles des chroniques expos de francetv info.

Emile Bernard, "Le Repos sur la falaise", huile sur toile, 1890, 108 x 45 cm, collection particulière. (BERNARD GALÉRON)

Emile Bernard utilise pour cette peinture des astuces repérées chez Hiroshige et d’autres créateurs d’estampes japonaises. Le format vertical, la diagonale qui scinde le tableau en deux, l’aplatissement de la perspective qui superpose deux plans distincts : toutes les recettes utilisées par le peintre sont calquées sur celles des maîtres orientaux, à la différence qu’Emile Bernard ne peint pas le mont Fuji mais un paysage de Saint-Briac, près de Saint-Malo…

Emile Bernard, "La Femme aux oies", bois gravé aquarellé, 1890, 12,5 x 16,5 cm, collection particulière. (BERNARD GALÉRON)

Le même artiste, comme ses confrères, a recours à des techniques artisanales. Ici, par exemple, il utilise la gravure sur bois (en y ajoutant quelques touches d’aquarelle). Une pratique révolutionnaire car, à l’époque, il n’était pas question de mêler les arts dits mineurs (gravure, poterie…) aux arts majeurs (peinture, sculpture…). Ce ne sera pas le seul artiste à célébrer le mélange des genres. Gauguin lui-même réalisera des vases ou encore une jardinière !

Infos pratiques

"Les peintres de Pont-Aven autour de Gauguin"

Du 12 janvier au 8 avril

Atelier Grognard, 6, avenue du Château de Malmaison, 92500 Rueil-Malmaison

Tél. : 01 41 39 06 96

Tous les jours de 13h30 à 19 heures.

2,50 euros / 5 euros.

A lire :

Le catalogue de l’exposition, Les peintres de Pont-Aven autour de Gauguin, collectif, éditions Corlet, 130 p., 19 euros.

L'ouvrage a le mérite de revenir en détail sur la plupart des 150 œuvres de l’exposition, et de présenter quelques petits bijoux que vous ne verrez pas à Rueil-Malmaison (notamment La Vision du Sermon, de Gauguin, qui n’a pas quitté la National Gallery d’Edimbourg, au Royaume-Uni, où il est conservé).

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