De Canaletto au carnaval, promenade dans la Venise du XVIIIe siècle au Grand Palais
Venise au XVIIIe siècle, c'est toute une atmosphère qu'ont voulu recréer pour le public du Grand Palais la commissaire de l'exposition, Catherine Loisel, et sa scénographe, Macha Makeïeff. Il s'agissait, pour celle-ci, de faire vivre "des sensations différentes et une vraie traversée". Et c'est assez réussi. Contrairement à certaines expositions où la scénographie trop appuyée finit par sembler artificielle, superflue, elle sert ici le propos de façon très appropriée.
Il y a la peinture, bien sûr, mais il s'agissait aussi d'évoquer le luxe des palais, les jeux, le spectacle et la musique omniprésents dans une ville qui va vers la décadence mais brille encore de tous ses feux.
"Tout le monde croit connaître Venise mais la ville est beaucoup plus mystérieuse qu'on l'imagine. L'exposition est conçue un peu comme une initiation à une Venise secrète et effervescente. On dit toujours que le XVIIIe siècle vénitien est une période de décadence et j'ose espérer qu'à la fin de la visite, vous penserez le contraire", dit Catherine Loisel.
Les "vedute", de Canaletto à Francesco Guardi
Le parcours commence et finit en peinture, avec les fameuses "vedute" (vues), inventées par Gianantonio Canal, dit Canaletto (1697-1768). La première salle présente une série de ses panoramas de la ville, où les verticales des palais et des immeubles viennent croiser l'horizontalité de l'eau. Si on les regarde bien, ces paysages urbains fourmillent de détails extrêmement vivants du quotidien de la cité. Alors qu'une mère houspille son petit enfant qui est au sol, une femme se penche d'une terrasse pour regarder la scène, un homme taille une pierre, à la fenêtre, une femme file la laine, une autre secoue son balai. On discute dehors par petits groupes ou on file sur l'eau. Il peint les palais et les nobles en costumes et aussi des quartiers plus populaires et leurs mendiants.L'exposition se terminera avec les "vedute" de Francesco Guardi (1712-1793), un peu plus tard dans le siècle. Sa touche plus vibrante que celle de Canaletto, ses nocturnes, ses ciels plus tourmentés, son récit de "L'incendie San Marcuola" en 1789, annoncent la fin de la République indépendante de Venise qui existait depuis le Moyen-Âge et où le système d'élections complexes au sein de l'aristocratie permettait d'éviter une dérive autocratique. La République se saborde en 1797, alors que l'armée de Napoléon Bonaparte arrive sur la lagune.
Gianbattista Tiepolo, fil rouge de l'exposition
Dès l'entrée de l'exposition, on est accueilli par un monumental portrait en toge rouge du "Procurateur Daniele IV Dolfin", plus haut magistrat de Venise après le doge, qui pose le contexte politique. Il a été réalisé par le peintre Gianbattista Tiepolo (1696-1770), le plus important peintre de décors italien du siècle, "fil rouge dans le choix des œuvres puisqu'il nous accompagne jusqu'à la dernière moitié du siècle", souligne Catherine Loisel. Il y a aussi une vraie toge en soie rouge, une grande maquette de palais en bois…Ambiance musicale, ensuite, avec une partition de Vivaldi, des instruments, des évocations musicales. Car la musique est partout à Venise, où on forme des orphelines ou des jeunes filles pauvres dans les "ospedali", pour qu'elles deviennent des musiciennes accomplies, et où on vient de toute l'Europe pour entendre des opéras. Un théâtre de marionnettes comme ceux qu'on trouvait sur les places ou dans les palais est reconstitué.
Le spectacle et les jeux de hasard
Depuis le siècle précédent, déjà, de partout en Europe, on vient à Venise pour ses divertissements, notamment pour le carnaval qui dure des mois à l'époque. Le spectacle est partout dans la rue. Giandomenico Tiepolo, fils de Giambattista Tiepolo, se fait une spécialité des scènes de spectacles vénitiennes, un genre qu'il a inventé lors d'un long séjour en Espagne avec son père. A son retour, il décore même la maison familiale de fresques dont une, consacrée à Polichinelle, est présentée au Grand Palais.On va aussi à Venise pour ses jeux de hasard. Une peinture de Francesco Guardi décrit l'ambiance effervescente du "Ridotto", un casino géré par l'Etat qui était installé dans un appartement où on se rendait masqué et où on pouvait rencontrer des prostituées, des usuriers, où des intrigues se nouaient.
Les Anglais, grands amateurs de peinture vénitienne
Les étrangers repartent parfois avec des artistes vénitiens dans leurs valises, comme l'ambassadeur d'Angleterre Charles Montagu, qui emmène Gianantonio Pellegrini et Marco Ricci. Ceux-ci décorent théâtres et demeures. Marco Ricci invente le thème de la peinture de répétitions musicales.Autre personnage clé des échanges entre l'Angleterre et Venise, le consul Joseph Smith commande des œuvres à des artistes vénitiens qu'il fait vendre à Londres par son frère. Il collectionne de nombreuses peintures de Canaletto qu'il revend au roi George III à cause d'un revers de fortune, faisant ainsi entrer un ensemble important du peintre dans les collections royales. Joseph Smith fait même venir Canaletto à Londres où il peint la Tamise et le pont de Westminster.
Rosalba Carriera à Paris, les Tiepolo à Madrid
En France, c'est le financier et mécène Pierre Crozat qui invite la pastelliste Rosalba Carriera à Paris. Elle vient avec son beau-frère Gianantonio Pellegrini qui travaille au décor de la Banque royale en 1720-21. Un décor détruit depuis mais dont il reste des études. Tout un réseau se constitue autour de Watteau, Sebastiano Ricci, Marco Ricci, François Boucher, Rosalba Carriera, qui s'écrivent, s'échangent des dessins.A Madrid, c'est Giambattista Tiepolo qui est invité par le roi à décorer la salle du trône du palais royal en 1762. Il y reste jusqu'à sa mort avec ses deux fils. Il avait déjà travaillé avec Giandomenico et Lorenzo à Wurtzbourg, en Autriche.
Le luxe des palais
Des objets décoratifs évoquent le luxe des palais : une porte peinte, une commode aux décors floraux, un fabuleux reliquaire en forme de miroir couvert de fleurs en verre de Murano.Un espace "numérique" imaginé par Macha Makeïeff propose une projection d'images de l'eau qui vient heurter les marches ou baigne une grille, des portes en bois attaquées par l'humidité au son du clapotis. Il s'agissait de "retrouver le côté organique et la poétique de cette ville qui se délite", explique-t-elle. "Je voulais que le public ait un moment de sas où il découvre les perceptions qu'on a à Venise, parce que ce qui m'importe, ce sont les sensations du visiteur." Et des robes en papier dégringolent du plafond au-dessus du grand escalier.
Les tableaux de Giandomenico Tiepolo traduisaient l'ambiance enfiévrée du carnaval sur les places de Venise, où tout est spectacle, y compris l'exercice de l'arracheur de dents. Un spectacle qui s'invite en vrai dans l'exposition, à l'occasion de concerts et de pièces de théâtre donnés lors des nocturnes, les mercredis de 19h à 22h (sauf les 26 septembre, 26 décembre et 2 janvier) et le week-end du 12-13 janvier dans la journée.
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