De Dürer à Toulouse-Lautrec, le Petit Palais expose sa collection d'estampes
Après Degas graveur à la Bnf, et cinq siècles de gravure au Musée Marmottan ce sont les estampes du Petit Palais qu'on peut admirer cet automne à Paris. Le musée parisien nous fait découvrir sa fabuleuse collection de feuilles de Dürer, Rembrandt, Callot, et aussi Toulouse-Lautrec ou Renoir.
"Nous sortons des réserves nos trésors, des trésors très fragiles qui ne peuvent pas être présentés en continu à la lumière, dans le parcours des collections permanentes", annonce Annick Lemoine, directrice du Petit Palais et commissaire générale de l'exposition. "Nous avons sorti les plus belles feuilles", soit "près de 200 estampes des plus grands maîtres" sur un total de 20.000. "Nous avons une collection d'une telle richesse, avec des feuilles dans un état de conservation extraordinaire, nous pouvons vous présenter un vrai panorama extrêmement riche de l'histoire de l'estampe du début du XVe siècle au début du XXe siècle."
Aux origines de la collection, Eugène Dutuit
La collection, c'est d'abord celle des frères Dutuit, donnée au tout jeune musée en 1902. Eugène Dutuit (1807-1886), dont le père a fait fortune dans la fabrication de cotonnades, se prend de passion pour l'estampe et commence à collectionner, avec son frère Auguste, dans les années 1830. Sa richesse lui permet d'acquérir les plus belles épreuves des plus grands artistes. Et ce sont 12.000 gravures anciennes de sa collection qui ont été léguées au Petit Palais.
Le début de l'exposition, sur la gravure ancienne, se concentre sur quatre grands noms de l'histoire de l'art et des techniques de l'estampe, dont Eugène Dutuit avait une collection fabuleuse. Il avait acquis la presque totalité de l'œuvre gravé d'Albrecht Dürer (1471-1528), maître de la gravure sur bois et du burin. "Comme il avait de très gros moyens, il pouvait se permettre d'acheter les pièces les plus belles. Il s'agit de tirages, contemporains de l'artiste donc extrêmement rares", souligne Anne-Charlotte Cathelineau, conservatrice en chef du patrimoine chargée des collections d'arts graphiques et co-commissaire de l'exposition.
Le Petit Palais nous offre une vingtaine de Dürer plus beaux les uns que les autres, religieux ou profanes : trois planches de L'Apocalypse dont Dutuit possédait l'intégralité des deux éditions, son étonnant Rhinocéros, un Adam et Eve d'une finesse de détail extraordinaire …
Rembrandt, graveur fétiche du collectionneur
Et il y a Rembrandt, le graveur fétiche de Dutuit, qui possédait 350 estampes de l'artiste, dont des pièces très rares comme ce tirage de la fabuleuse Pièce aux cent florins : il s'agit d'un premier état de ce chef-d'œuvre du clair-obscur tiré à seulement huit exemplaires, où Jésus guérissant les malades apparait dans un rayon de lumière.
L'exposition montre aussi une série d'autoportraits dont un très rare Rembrandt gravant. "Rembrandt aimait se représenter de façons très différentes, il a beaucoup travaillé les différentes expressions du visage. On en connait 28 d'une grande expressivité", explique Joëlle Raineau-Lehuédé, collaboratrice scientifique au département des arts graphiques et co-commissaire.
Rembrandt vendait différents "états" de ses gravures : on peut ainsi voir trois des sept états de sa Femme devant un poêle, auxquels il ajoute ou enlève des détails, accentuant les effets de clair-obscur sur le corps de la femme.
Jacques Callot, une autre star de la gravure
Dutuit possédait aussi la quasi-totalité des estampes de Jacques Callot (1592-1635), moins connu aujourd'hui mais très prisé des collectionneurs dès le XVIIe siècle pour ses scènes extrêmement vivantes, pleines de détails, comme Les Grandes Misères de la guerre, où il décrit les souffrances avec un grand réalisme. Ou l'incroyable Foire d'Impruneta qui fourmille de personnages et d'animaux (1300 au total). Plus léger, il s'attache aussi à la vie des bohémiens, aux figures de comédiens et de danseurs ou de "gueux".
Il y a enfin Goya, dont Dutuit avait aussi une belle collection, dont des tirages faits par l'artiste lui-même, des Caprices à la Tauromachie ou aux fascinants Disparates où il donne libre cours à son incroyable imagination, et des feuilles rares comme Les Ménines d'après Velazquez.
Ce qui fascinait Dutuit chez Goya, c'est son usage de l'aquatinte, qui permet de faire des dégradés. L'exposition présente d'ailleurs des panneaux pédagogiques et des vitrines d'outils qui expliquent les différentes techniques de l'estampe.
L'estampe moderne, de Toulouse-Lautrec à Odilon Redon
La deuxième partie de l'exposition est consacrée à la collection d'estampes modernes du musée. Cette collection est le fruit d'une collecte monstre : en 1908, le conservateur puis premier directeur du Petit Palais Henry Lapauze décide d'ouvrir la collection d'estampes à l'art alors contemporain, une démarche inédite à l'époque. Il lance un appel à collecte et en six mois, il recueille 3000 dons d'artistes, de collectionneurs, de proches d'artistes, d'éditeurs, de marchands. Le résultat est très hétéroclite et cela peut être plus anecdotique que les œuvres des grands anciens dont on vient de parler.
Mais on a un beau portrait de Paris fin XIXe début XXe, du Moulin-Rouge et des Folies-Bergère d'Henri de Toulouse-Lautrec aux scènes hivernales de Félix Buhot ou aux spectacles de rue d'Edgar Chahine.
"Nous sommes un musée vivant et nous avons voulu terminer l'exposition en montrant que nous suivons cette attention portée à l'estampe", souligne Annick Lemoine. Près de 1300 estampes ont ainsi rejoint les collections depuis dix ans. Dont la couverture créée par Toulouse-Lautrec pour L'Estampe originale, une luxueuse revue qui réunit des planches d'artistes. Il y représente la danseuse Jane Avril dans l'atelier de son imprimeur. Sont exposées encore une sombre et mystérieuse lithographie d'Odilon Redon (La Cellule auriculaire) pour le deuxième numéro de la même revue, des contre-épreuves de pastels de Renoir. Et dans une mise en abyme amusante une Femme au vase d'Albert Besnard est accompagnée d'une estampe d'Anders Zorn représentant ce dernier en train de travailler à cette scène de toilette.
Trésors en noir & blanc, Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec…
Petit Palais
Avenue Winston Churchill, 75008 Paris
Tous les jours sauf les lundis, le 11 novembre, le 25 décembre et le 1er janvier, 10h-18h, les vendredis et samedis jusqu'à 20h
Tarifs : 12 € / 10 €
Du 12 septembre 2023 au 14 janvier 2024
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