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Le design moderne d'Eileen Gray au Centre Pompidou

Le Centre Pompidou expose une grande dame du design du XXe siècle, qui était aussi une « artiste totale ». L’irlandaise Eileen Gray, femme indépendante et créatrice de génie, a vécu 70 ans en France. Paris lui rend pourtant là son premier grand hommage avec cette rétrospective (jusqu’au 20 mai 2013) qui présente ses laques, ses meubles, ses tapis, ses projets architecturaux et aussi ses peintures
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Eileen Gray - A gauche : fauteuil Transat, à droite Cabinet à tiroirs pivotants, 1926-29, meubles provenant de la maison E 1027, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne
 (Centre Pompidou / photos Jean-Claude Planchet)

Oubliée pendant de nombreuses années, Eileen Gray (1878-1976) a été redécouverte autour de 1970. Certaines de ses pièces de mobilier, comme sa table ajustable de 1926-29 ou son fauteuil bibendum, sont devenues célèbres grâce à des rééditions.
 
Elle-même n’a jamais voulu produire de séries, toutes ses pièces sont uniques. Quand elle en recommençait une, elle était légèrement différente, dans d’autres matériaux, comme le montrent ses trois "transats" exposés au Centre Pompidou.
 
Eileen Gray est née en Irlande et étudie la peinture à Londres, où elle s’initie à la laque chez un artisan de Soho. Pour échapper aux pesanteurs de la vie bourgeoise (elle ne veut pas se marier), elle vient à Paris en 1902, où elle s’installe définitivement en 1906. Elle voyage aussi, en Algérie et au Maroc, où elle apprend le tissage, et parcourt les Etats-Unis en train avec sa sœur et deux amies.

Eileen Gray : Console, 1918-1920, bois laqué de Chine poli et arraché, collection particulière
 (photo : Monsieur Christian Baraja, Studio SLB)
 
Une grande artiste de la laque
La rétrospective s’ouvre sur un portrait d’elle par son ami le peintre Wyndham Lewis, pour souligner l’influence qu’ont eue sur cette grande amatrice de littérature les peintres, poètes ou écrivains irlandais et anglais, une influence qu'on ignore souvent, souligne la commissaire de l’exposition Cloé Pitiot.
 
Eileen Gray crée des laques, se perfectionnant avec le Japonais Seizo Sugawara : des boîtes, des coupes, des plateaux et aussi des fauteuils, des tables.
 
Le couturier Jacques Doucet est séduit par son travail et lui commande des pièces comme la « Table aux chars ». Eileen Gray était une passionnée et avait un sens du détail particulièrement développé, raconte Cloé Pitiot, révélant qu’à l’intérieur du tiroir de cette table, l’écrou était entièrement sculpté dans l’ivoire.
Eileen Gray, Table ajustable, 1926-29, Mobilier provenant de la maison E 1027.
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
 (Centre Pompidou / photo :Jean-Claude Planchet)
Un grand art du détail
La commissaire souligne la « subtilité » du travail de l’artiste : « Ce n’est pas forcément le plus visible qui est le plus travaillé. »
 
On est après la Première guerre. Eileen Gray travaille pour la chanteuse Damia ("Fauteuil sirène") ou pour la modiste Madame Mathieu Lévy.
 
Elle conçoit des paravents en "briques" de bois mobiles qui pivotent dans l’espace (1918-1922) et s’inscrivent, pour Cloé Pitiot, dans la « progression logique de son travail » de la toile au paysage, en passant par les espaces, l’architecture, puis les jardins de sa dernière maison dans le sud.
 
Un lampadaire à pied noir et orange géométrique laqué surmonté d’une longue tige déploie des lignes très modernes.
Eileen Gray, Paravent en briques, 1919-1922, bois laqué noir, Collection particulière, courtesy Galerie Vallois, Paris
 (photo : Vallois-Paris-Arnaud Carpentier)
 
Vers la modernité, avec la galerie Jean Désert

Dans les années 1920, Eileen Gray a une galerie à Paris, la galerie Jean Désert, baptisée peut-être en hommage à ses voyages au Maghreb. Entourée des meilleurs artisans, elle dessine des meubles et des tapis aux motifs géométriques abstraits pour de riches clients, artistes, aristocrates, banquiers. On peut voir les esquisses des tapis et des échantillons, puis les pièces finales.

L’artiste en a assez de la laque et expérimente de nouveaux matériaux. En 1929, elle conçoit un « divan courbe » en tubes d’acier chromé et tissu enduit de PVC noir.
 
Un grand meuble d’architecte en sycomore déploie des volées de tiroirs dont certains sont cachés, d’autres s’ouvrent sur l’angle. « Eileen Gray aimait bien tout ce qui était secret et dans tous ses meubles, on a de petites astuces », raconte la commissaire.
 
« Il n’y a jamais un travail symétrique, elle travaille à la fois les angles droits et les arrondis », précise-t-elle.
Eileen Gray, Fauteuil Bibendum, vers 1930, collection privée (mobilier provenant de la collection de Mme Tachard)
 (photo : Monsieur Christian Baraja, Studio SLB)
 
Son célèbre aménagement de la « Chambre à coucher boudoir pour Monte-Carlo », en 1923, est éreinté par la critique française mais remarqué à l’étranger, notamment aux Pays-Bas où elle va exposer et échanger avec les artistes du mouvement De Stijl.
 
La villa E 1027, un chantier emblématique
Le grand projet d’Eileen Gray est la villa E 1027, travail à quatre mains avec son ami l’architecte roumain Jean Badovici, au-dessus de la baie de Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes). Cette maison-paquebot accrochée au rocher face à la mer est conçue pour un homme seul qui aime faire du sport et recevoir ses amis.
 
Pour Cloé Pitiot, c’est une « maison manifeste de la modernité dans la lignée des maisons corbuséennes ». Eileen Gray travaille dans un « esprit de mobilité du mobilier », sur la « rentabilité de l’espace et sur l’espace minimum ». Sa célèbre « table ajustable » peut monter ou descendre selon l’usage qu’on veut en faire.
Villa E 1027, Eileen Gray et Jean Badovici, vue du salon, photographie rehaussée au pochoir, 1929, Eileen Gray, Jean Badovici, "E 1027. Maison au bord de mer", L'Architecture vivante, n° spécial, Paris, Ed. Albert Morancé, automne-hiver 1929
 (-c)
 
Plus tard, en 1931, Eileen Gray conçoit sa propre maison sur les hauteurs de Menton, « Tempe a Pailla », qu’elle dessine entièrement seule. Elle ressemble à la villa E 1027 mais en plus sobre, avec plus d’intimité. La styliste crée un meuble multi-usages, « siège escabeau porte-serviette », des rangements-tourniquets au plafond… La maison est pillée pendant la guerre. L’artiste passe des années à la restaurer avant de la vendre.
 
A 76 ans, elle aménage une bastide, au sud de Saint-Tropez. Lou Pérou sera son dernier refuge estival dont elle aménage le jardin et les terrasses. L’intérieur est d’une grande sobriété. Cette femme qui aurait pu être riche était une piètre femme d’affaires et a toujours vécu modestement.
Berenice Abbott, Portrait d'Eilee Gray, Paris, 1926
 (Berenice Abbott / Commerce Graphics)
 
Une part de mystère demeure autour du personnage, passionnée de magie noire, qui s'est intéressée au bouddhisme. L’artiste a fait disparaître tout ce qui concernait sa vie privée. Elle a continué à peindre toute sa vie et l’exposition se termine sur ses peintures et ses photos.

Eileen Gray, Centre Pompidou, galerie 2 niveau 6, Paris 4e
Tous les jours sauf mardi, 11h-21h, nocturne le jeudi jusqu'à 23h
Tarifs : 13 € / 10 €
jusqu'au 20 mai
 

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