Étienne Dinet, l’amoureux de l’Algérie de la fin du XIXe siècle, au cœur d’une exposition à l’Institut du monde arabe
Étienne Dinet tombe amoureux de l’Algérie par hasard en 1884, grâce à un ami de son frère. C’est l’un des seuls peintres orientalistes qui échappe au reproche d’exotisme et de regard colonial. Peintre réaliste, ce Français quitte Paris à l’époque de la gloire. "Étienne Dinet quitte cette ville monde au moment où tout le monde fait carrière, Foujita, Modigliani, Picasso", raconte Mario Choueiry, le commissaire de l’exposition Étienne Dinet, passions algériennes.
Jusqu’au 9 juin, l’Institut du monde arabe montre environ 70 œuvres du peintre, pas forcément connues du grand public, de nombreuses toiles provenant de collections privées. Divisée en trois parties, l’exposition s’attache à représenter les thèmes de prédilection de l’œuvre de Dinet, l’amour, la vie du désert et l’islam. Peintre réaliste réfutant les représentations factices d’un Orient fantasmé, Étienne Dinet a pleinement embrassé la culture algérienne pour l’adopter définitivement.
Scènes de la vie courante
Étienne Dinet décide de s’installer en Algérie en pleine période de domination française. En 1904, il élit domicile dans l’oasis de Bou-Saâda. Depuis la terrasse de sa maison, il contemple à loisir les activités des locaux du village. Surnommée "cité du bonheur", Bou-Saâda est un sanctuaire naturel dans lequel Étienne Dinet peint des scènes de la vie courante.
Grâce à son ami Sliman Ben Ibrahim à qui il s’est attaché depuis 1888, Dinet "fait poser ses modèles sur sa terrasse, dans la rue ou près d’une rivière", explique Mario Choueiry.
Étienne Dinet peint ce qu’il voit. "C’est documenté par les photos d’époque, ses écrits, ses déclarations et les témoins oculaires autour de lui qui permettent de démontrer ce réalisme", précise le commissaire.
Dans l’un des tableaux, intitulé Le Printemps des cœurs (1904), on aperçoit un homme qui a dépensé tout son argent auprès de quatre femmes. Il vient faire l’aumône en réclamant un peu de ce qu’il a dépensé.
"En arrivant en Algérie, Étienne Dinet peint les personnages de loin. Il s’approche de plus en plus près d’eux, au fur et à mesure du temps. Il fait ressortir leur personnalité", détaille Mario Choueiry.
Dinet peint les trois âges de la vie en essayant d’être le plus fidèle possible à la réalité. "Il n’y a pas d’Orient fantasmé, de harem qu’il n’a pas vu. Le moindre caillou, la moindre couleur de tissu ou de bijoux, en argent et pas en or, il les a vus en vrai", assure le commissaire de l’exposition.
Une Algérie à moitié réaliste
Même si Étienne Dinet échappe aux reproches d’exotisme et de regard colonial, sa peinture demeure stylisée. L'artiste représente une Algérie belle, voluptueuse et heureuse. Les visages des personnes représentées sont beaux, souriants, leurs vêtements sont colorés au milieu d’une nature luxuriante et fleurie. Les parures des femmes brillent pendant leurs baignades.
Pas de peinture avec de la souffrance, de la tristesse, de la pauvreté, même s'il "a pu faire des tableaux difficiles, plus rares, qu’on ne retrouve pas dans l’exposition", précise tout de même Mario Choueiry.
Étienne Dinet peint alors que le Code de l'indigénat est adopté en 1881. Il sépare la société algérienne en deux : les citoyens, de souche métropolitaine, et les sujets. Les sujets français, soumis au Code de l'indigénat, sont privés de la majeure partie de leurs libertés et de leurs droits politiques. Ils vivent dans la misère.
Sur les toiles de Dinet, pas de scènes d’horreur ou de guerre, alors que les révoltes sont sévèrement réprimées par les colons. On peut donc aussi questionner la posture du peintre. Il représente un certain réel, une Algérie réduite aux moments de bonheur.
Même s’il s’affranchit des moments noirs de l’occupation française, Étienne Dinet manifeste tout de même publiquement son rejet de la politique française. Il dit être "forcé de vivre au milieu de cette immonde pourriture coloniale".
Pendant la Première Guerre mondiale, il dessine les stèles des tombes pour les combattants musulmans morts au combat, insistant pour que les rites musulmans soient respectés. Il milite aussi pour la création de la Grande Mosquée de Paris.
Conversion à l’islam
Étienne Dinet adopte la foi musulmane en se convertissant en 1913. Il écrit la première biographie française du prophète Mahomet, en hommage aux musulmans morts pour la France pendant la guerre de 1914-1918.
Dans ses peintures, l'artiste représente des scènes de prière et de piété avec des hommes vêtus de turbans et de burnous immaculés dans le désert. Étienne Dinet considère ces scènes religieuses comme "le couronnement" de son œuvre. "Par elles, je voudrais faire partager à tous mon émotion", écrivait-il.
Dinet assume sa posture religieuse et non scientifique dans sa biographie de Mahomet. Il critique ainsi les précédentes études publiées en Europe sur le prophète, les considérant "inspirées par une islamophobie difficilement conciliable avec la science, et peu digne de notre époque".
Allant à l’encontre des Sorbonnards qui le traitent de bigot, Dinet représente le musulman intrinsèquement lié à la vie du désert. Il s’attache à reproduire visuellement une vie musulmane la plus proche de la réalité dans le désert du Sahara.
Étienne Dinet a également illustré le plus ancien et le plus précieux monument de la littérature arabe, Le Roman d’Antar. Il raconte l’épopée du Bédouin Antar au tournant des VIe et VIIe siècles, avant la prédication de l’islam. Poète guerrier intrépide, survivant à de nombreuses épreuves, Antar est un exemple moral réussissant à s’élever au premier rang parmi les hommes. L’exposition montre les gouaches préparatoires du livre et retrace son importance pour Étienne Dinet.
Alors qu'il est devenu un peintre incontournable, "les cadres du FNL vont naturaliser Dinet comme maître de la peinture algérienne. Sa conversion à l’islam joue comme un pare-feu", explique le commissaire Mario Choueiry. Il occupe encore une place de choix chez les collectionneurs, avec des œuvres cotées dans le marché de l’art.
L'exposition "Étienne Dinet, passions algériennes" à voir à l'Institut du monde arabe jusqu'au 9 juin 2024.
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