Exposition "1997 Fashion Big Bang" : une invitation à puiser dans l’énergie créative d’une époque décomplexée, au Palais Galliera à Paris
Le Palais Galliera consacre sa nouvelle exposition à 1997, année décisive dans l’histoire de la mode contemporaine. À la fois consécration des années 1990 et charnière vers le nouveau millénaire, cette année-là voit l’enchaînement effréné de collections, de défilés, de nominations et d’inaugurations qui dessinent l’échiquier de la mode tel qu’on le connaît aujourd’hui.
L'année 1997 pourrait être considérée comme le lancement de la mode du XXIe siècle, tant les questionnements, les modèles, les enjeux, les influences et les carrières semblent avoir influencé ces vingt-six dernières années. Mais un système aujourd'hui remis en question par les mouvements féministes, l’inclusivité, l’écologie, l’appropriation culturelle, exacerbés par la pandémie et les réseaux sociaux.
A l'exposition du Palais Galliera, le parcours chronologique en plus de 50 silhouettes est richement documenté avec des vidéos et des documents d’archive inédits. Voici un focus des moments marquants des défilés prêt-à-porter et haute couture du printemps-été 1977 à l'automne-hiver 1997-98.
Prêt-à-porter printemps-été 1997 : le corps questionné
Présentées à Paris à un jour d’intervalle, les collections de Martin Margiela et
de Comme des Garçons interrogent la création et l’esthétique du vêtement. Elles questionnent également la notion de corps idéal, alors que les débats sur la chirurgie esthétique et la controverse sur les premiers essais de clonage font rage.
Lors des shows prêt-à-porter printemps-été 1997, certains créateurs se font déjà remarquer : dès octobre 1996, Martin Margiela, célèbre pour ses détournements du vêtement, révise ses classiques et les fondements de la technique du drapé. Sa collection est fondée sur un buste de mannequin d’atelier Stockman (commun à tous les studios de création) porté en gilet et sur lequel sont épinglées des étapes de la conception du vêtement. Le créateur belge met en lumière des étapes qui, d’ordinaire, sont cachées au public. Une idée qu'il creusera la saison suivante avec de véritables toiles ou de patrons en papier portés comme de vrais vêtements.
De son côté, Comme des Garçons présente sa collection Body Meets Dress, Dress Meets Body - qui conteste les canons féminins de la beauté qui prédominent depuis l’Antiquité - et pour laquelle Rei Kawakubo place des protubérances sous des vêtements collants, fusionnant le vêtement avec le corps. Ce défilé serait né de la colère de la créatrice devant une vitrine du magasin Gap remplie de vêtements noirs trop simples : "Je maintiens que de voir des vêtements expérimentaux constitue, pour chacun, une sorte de libération mentale", expliquera-t-elle en 1998.
Haute couture printemps-été 1997 : première collection Jean Paul Gaultier
Le magazine Vogue Paris définit la haute couture printemps-été 1997 comme le "Big Bang dont Paris avait besoin pour retrouver sa place de capitale internationale de la mode" à une époque de crise économique et de forte concurrence mondiale. De 200 maisons de couture en 1946, elles ne sont plus que 15 en 1996. Pour survivre, cette industrie aurait besoin, selon la presse, d’"une contre-offensive médiatique". S'ouvre alors une ère de présentations spectaculaires, retransmises dans le monde entier, qui feront de Paris l’épicentre de la mode. Jean Paul Gaultier, John Galliano et Thierry Mugler en seront les fers de lance.
La première collection haute couture de Jean Paul Gaultier reprend les codes traditionnels : sans musique, seule la voix de la journaliste Élisabeth Quin décrit chaque passage à la manière des présentations de l’entre-deux-guerres. Vingt ans après ses débuts, le créateur emblématique du prêt-à-porter des années 1980 s’inscrit dans la tradition de la haute couture dont il renouvelle les codes. Il présentera sa dernière collection en 2020.
À la tête de sa marque depuis 1984, John Galliano est nommé D.A. de Dior en octobre 1996 et pour sa première collection, fidèle à son univers teinté de folie baroque, le couturier britannique multiplie les inspirations et les références ethnographiques ou historiques. Ce défilé lance quatorze années durant lesquelles il hissera la maison au sommet d’une créativité inégalée.
Au même moment, Thierry Mugler présente l'incroyable collection Les Insectes, la plus emblématique de sa carrière. "Ils sont à la fois fragiles, légers et caparaçonnés, tout comme la femme que j’habille", commente le couturier qui puise son inspiration dans le film Microcosmos de Claude Nuridsany et Marie Pérennou et se réfère à L’Insecte, ouvrage du naturaliste Jacques Brosse ou les créatures extraordinaires peintes par le surréaliste belge Félix Labisse.
D'autres événements marquent cette période : le sac baguette, dessiné par Silvia Venturini Fendi, présenté au défilé automne-hiver 1997-98, est considéré comme l’un des premiers it-bags de l’histoire. Qui peut oublier la naissance du concept-store colette qui réunit une boutique, une librairie, une galerie d’exposition, un restaurant, et mélange vêtements, accessoires et produits high-tech, alors introuvables à Paris. Colette deviendra "le passage obligé de la capitale" et sa fermeture fin 2017 marquera pour la presse "la fin d’une ère".
Puis Walter Van Beirendonck et Jean Paul Gaultier s'illustrent dans la musique et le cinéma. Le premier crée les costumes du groupe U2 pour sa tournée PopMart Tour. Le créateur anversois - à la fantaisie débridée et aux collections aux dimensions politiques, écologiques et sociales - est l’un des premiers à questionner les conventions et la notion de virilité mais ses créations sont davantage associées aux Club Kids, boîtes de nuit underground des années 1990, qu’à un groupe de rock. Jean Paul Gaultier, lui, crée les costumes du film Le Cinquième Élément de Luc Besson, projeté en ouverture du Festival de Cannes. Il lui vaudra une nomination aux César en 1998.
Haute couture automne-hiver 1997-98 : mort de Gianni Versace
Gianni Versace fait partie des prescripteurs de la mode des années 1980. Avec un sens du spectaculaire, il imagine des imprimés brodés et des robes provocantes, à l’asymétrie et au graphisme assumés que portent les mannequins les plus convoités. Depuis 1990, il défile pour la haute couture dans la piscine du Ritz, dont le décor néoclassique fait écho aux méandres et à la tête de Méduse, emblèmes de sa marque. Neuf jours après son défilé, il est assassiné à Miami.
Parmi les événements marquants de cet été-là, il y les dix ans de la maison Christian Lacroix. Artisan d’une mode baroque, il est considéré comme le précurseur de l’opulence qui refait surface en 1997, après plusieurs années dominées par un style minimaliste. En août, Jean-Charles de Castelbajac - célèbre depuis la fin des années 1970 pour son prêt-à-porter ludique et ses couleurs primaires - habille le pape Jean Paul II et le clergé lors des Journées mondiales de la jeunesse à Paris.
En septembre, Alexander McQueen habille Björk sur la couverture de son album Homogenic. Fidèle au goût de la fin des années 1990 pour le multiculturalisme, elle porte une robe inspirée d’un kimono japonais, un collier proche de ceux portés par les cultures Ndebele (Afrique du Sud) et birmanes ainsi qu’une coiffure sculptée rappelant celles des tribus amérindiennes Hopi et Tewa. Ce brassage culturel fait écho à sa collection Eclect Dissect qu’Alexander McQueen présente pour Givenchy deux mois auparavant, où il mélange les références au XIXe siècle, aux costumes et accessoires issus de cultures des cinq continents. Ses silhouettes effrayantes se hérissent de cornes, de serres ou d’ossements dont des crânes de rapaces.
Prêt-à-porter printemps-été 1998 : Olivier Theyskens, Hedi Slimane, Stella McCartney
Le phénomène de mondialisation s’accélère et de jeunes directeurs artistiques alors peu connus émergent, seuls ou à la tête de grandes maisons : Hedi Slimane, Stella McCartney, Nicolas Ghesquière, Olivier Theyskens… Des noms qui façonnent encore la mode actuelle.
À Milan, Donatella Versace succède à son frère et présente une première collection vue par la presse comme le commencement d’une "ère nouvelle". Le goût de l’époque pour le passé se traduit par l’avènement d’un romantisme noir, voire gothique, qui imprègne les premières collections d’Olivier Theyskens, de Véronique Branquinho et de Josephus Thimister, nouvelle génération de créateurs formés en Belgique. Stella McCartney présente sa première collection pour Chloé et confirme le succès des jeunes talents britanniques. Seul directeur artistique français nommé en 1997, Nicolas Ghesquière crée la surprise avec son premier défilé pour Balenciaga composé de silhouettes monacales.
En octobre, Olivier Theyskens crée une collection au romantisme noir inspirée de la mode de la fin du XIXe siècle. Il participe au Barclay Catwalk, regroupant les créateurs belges émergents lors d’un défilé en août 1997 et y fait défiler ses silhouettes corsetées. Il présentera son premier défilé officiel en mars 1998. Madonna contribue à lancer sa carrière en portant, en couverture du magazine Spin, le corset de cou qui orne l’une des deux silhouettes présentées dans l’exposition, au début de l’année 1998. Elle apparaîtra ensuite dans une de ses robes au festival de Sanremo en Italie, où elle présentera son single Frozen, dont l’esthétique ténébreuse correspond aux silhouettes de Theyskens.
En octobre, à 25 ans, Stella McCartney, fille du chanteur des Beatles, succède à Karl Lagerfeld à la tête de Chloé. Pour sa première collection, la créatrice utilise des cotonnades et du lin, matières délaissées dans les années 1990. Elle base sa création sur la légèreté, les références à la mode et la lingerie du milieu du XXe siècle. Végétarienne, elle bannit le cuir et la fourrure des collections Chloé. Ce mélange de candeur et de sensualité ne cessera de séduire les jeunes générations et de renforcer l’image de la maison parisienne à la fin des années 1990. En 2001, elle quitte Chloé pour lancer sa marque.
Exposition "1997. Fashion Big Bang", jusqu'au 16 juillet 2023. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. 10, avenue Pierre Ier de Serbie. 75016 Paris.
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