Exposition inédite sur l'histoire de "l'art nucléaire" au Musée d'art moderne de Paris

Quelque 250 peintures, dessins, photographies, vidéos, films et installations peu connus du grand public sont présentés dans l'exposition "L'âge atomique, les artistes à l'épreuve de l'histoire".
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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"La Bombe" de Salvador Dali, présentée au Musée d'art moderne de Paris. (MUSEO REINA SOFIA)

Quoi de plus éloigné en apparence de l'art que le nucléaire ? Pourtant, dès les premières découvertes scientifiques sur l'atome à l'usage de la bombe atomique, le thème a inspiré quantité d'artistes, sujets d'une exposition inédite au Musée d'art moderne de Paris à partir de vendredi 11 octobre et jusqu'au 9 février 2025. "C'est une grande lacune dans l'histoire de l'art et nous avons voulu la combler, en montrant l'ambivalence du nucléaire et la façon dont les artistes l'ont perçu à travers le temps", explique Maria Stavrinaki, professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Lausanne et commissaire de l'exposition.

Quelque 250 peintures, dessins, photographies, vidéos, films et installations peu connues du grand public sont présentés, dans le contexte où ils ont été créés, en relation avec d'innombrables documents. Parmi eux, plusieurs sont inédits et proviennent du laboratoire américain de Los Alamos, que dirigea J. Robert Oppenheimer, père de la bombe atomique, ainsi que des musées japonais d'Hiroshima et de Nagasaki, présentés aux côtés d'un étonnant film du cinéaste ukrainien Vladimir Shevchenko, réalisé juste après l'accident nucléaire de l'ex-centrale soviétique de Tchernobyl en 1986, ce qui lui a été fatal.

"Miss atomique"

Intitulé L'Âge atomique, les artistes à l'épreuve de l'histoire, le parcours est conçu en sections thématiques liant intimement art, science et politique. Il débute à l'aube du XXe siècle avec les premières découvertes scientifiques sur l'atome et la radioactivité, bouleversant le rapport à la matière. On y découvre notamment la "danse du radium", interprétée en 1911 par l'Américaine Loïe Fuller pour Marie et Pierre Curie, vêtue d'immenses ailes ou manches de soie recouvertes d'une matière phosphorescente.

"Certains artistes optent alors pour l'abstraction mystique, comme le Russe Vassily Kandinsky ou la Suédoise Hilma af Klint, d'autres pour l'art conceptuel tel Marcel Duchamp", dont plusieurs expérimentations sont retracées, expliquent les commissaires. "L'invention de la bombe atomique et son utilisation au Japon par les États-Unis en août 1945 marquent un point de bascule de l'histoire moderne de l'atome, inaugurant 'l'âge atomique'", poursuivent les spécialistes.

"Late Stage of Baker" de Charles Bittinger, 1946, exposée au Musée d'art moderne de Paris. (NAVY ART COLLECTION)

L'atome destructeur devient un champ d'expérimentation pour nombre d'artistes avec "l'omniprésence de l'image du champignon atomique qui inscrit la réalité du nucléaire dans la propagande, la consommation et le spectacle", ajoutent-elles.

Des documents d'archive retracent les exploits d'une "miss atomique", concours de beauté organisé pour soutenir les essais nucléaires dans le désert du Nevada, tandis qu'un célèbre maillot de bain est baptisé "bikini", du nom d'un atoll du Pacifique où est réalisé un essai américain.

"Colonialisme nucléaire" et féminisme

Aux côtés d'œuvres de Francis Bacon, Salvador Dali, Lucio Fontana, Gary Hill, Asger Jorn, Yves Klein, Sigmar Polke, Jackson Pollock ou Thomas Schütte, sont exposés d'émouvants dessins de survivants d'Hiroshima et de Nagasaki, considérés comme une œuvre de mémoire collective, ainsi que des photos inédites après l'explosion des bombes baptisées "Little Boy" et "Fat Man".

Dès la fin des années 1960, se profile une conscience écologique accrue avec la menace persistante que représente l'énergie nucléaire pour le vivant dans son ensemble. L'exposition met en lumière des collectifs autochtones aux États-Unis, en Afrique ou dans le Pacifique qui se révoltent contre ce qu'ils appellent le "colonialisme nucléaire" : les essais nucléaires et le travail d'extraction de l'uranium par leurs populations. Photos et œuvres d'art témoignent aussi de l'héritage toxique de ces activités en Algérie et en Polynésie, sur la côte ouest des États-Unis ou en Afrique du Sud.

Autre volet marquant : le féminisme écologique et antimilitariste des années 1960 autour du nucléaire et son militantisme, à la lisière de l'art et de l'activisme. En 1977, la peintre Hélène de Beauvoir, sœur de la romancière et philosophe Simone de Beauvoir, crée les Mortifères, toile exposée aux côtés d'une robe d'ampoules électriques multicolores de la Japonaise Atsuko Tanaka ou de gouaches de Nancy Spero, dénonçant les effets dévastateurs de la radioactivité sur les organes reproducteurs féminins.

L'exposition s'achève par des œuvres évoquant un hiver nucléaire dystopique et des dessins de la Française Natacha Nisic, inspirée de la catastrophe de la centrale japonaise de Fukushima en 2011, nous rappelant que "l'âge atomique" est notre présent.

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