Exposition Néandertal au musée de l'Homme : les coulisses d'un montage
Aux pieds de la Tour Eiffel, le Musée de l'Homme propose un voyage au coeur de la préhistoire. 350.000 ans avant notre ère, en Europe et en Asie, vivait "Homo neanderthalensis", l'homme de Néandertal. Cette espèce humaine a perduré des millénaires, croisé l'Homo sapiens avant de disparaître pour des raisons encore inexpliquées il y a 30.000 ans. Son nom vient d'une calotte crânienne découverte en 1856 en Allemagne dans la vallée (thal) de Neander, près de Düsseldorf. Ce fossile est l'une des pièces phares de l'exposition inaugurée le 28 mars. Au total, 260 objets sont exposés : deux tiers de specimens archéologiques (fossiles, moulages, outils) et un tiers d'objets d'art. Il a fallu deux ans pour les réunir.
Reportage : V. Gaget / Y. Bodin / G. Sabin / A. Dupont / A. Fajon / S. Lacombe
Code secret et voyage en sous-sol
Le musée de l'Homme nous a ouvert ses coulisses. Deux mois avant le début de l'exposition, Liliana Huet, gestionnaire des collections anthropologiques, nous conduit dans la salle des coffres, un lieu sécurisé au sous-sol de l'établissement. Il faut un code secret et une clé pour ouvrir les grandes armoires en métal. Elles renferment toutes sortes d'ossements : des squelettes entiers ou partiels ou encore des crânes. Ils sont conservés dans des boîtes conçues spécifiquement avec des matériaux neutres, des écrins qui les protègent. "Ce sont des choses précieuses et surtout irremplaçables. Alors on met les moyens nécessaires pour bien les garder" explique Liliana Huet.
Elle ouvre un coffret portant la mention "Ferrassie 1". A l'intérieur, un crâne fossile complet en parfait état : celui d'un homme d'une quarantaine d'années trouvé en 1912 en Dordogne. C'est l'une des plus belles pièces des collections du musée. Il a été restauré en prévision de l'exposition dans les ateliers, situés eux-aussi en sous-sol.
Retrouver la couleur des os
Le musée a engagé trois restauratrices indépendantes pour préparer les fossiles. Elles travaillent notamment sur le squelette de l'homme baptisé Ferrassie 1. Lors des fouilles en 1912, certains os ont été brisés, notamment les côtes. Les restaurateurs du XXe siècle ont recollé les morceaux et bouché les parties manquantes avec de la cire. Ces réparations ont mal vieilli. "Mon travail", explique Marie Dumas, l'une des restauratrices, "est de consolider les bouchages, de redessiner les volumes, d'enlever les parties trop foncées, pour redonner à l'os une lisibilité". Il ne s'agit pas de masquer la restauration qui doit rester visible mais de la rendre plus discrète.Sa consoeur Anne Liégey travaille de son côté sur de petits fragments d'os. "Il y a des amas de terre et avec le temps, certaines résines sont devenues plus foncées. Elles masquent la couleur de la surface de l'os" dit-elle. Avec un scalpel, elle gratte minutieusement la surface et nettoie l'os. Il retrouve ainsi sa juste couleur pour l'exposition. Anne Liégey répète qu'il s'agit d'une restauration-conservation. L'exposition terminée, ces ossements retourneront dans leurs coffrets et seront à nouveau à la disposition des chercheurs.
Le bison doit montrer patte blanche
Un mois plus tard, nous assistons à un déménagement spectaculaire. Dix-sept animaux naturalisés, venus du Museum d'Histoire Naturelle, arrivent en camion sur la place du Trocadéro. Un renne, un auroch, un renard polaire... et un gros bison. Avant d'être autorisé à monter dans les étages, il doit montrer patte blanche. Aurélie Verguin, gestionnaire de la collection inspecte la fourrure de l'animal. "Je vérifie qu'il n'y a pas de mites. Elles peuvent grignoter tout ce qui est kératine, poils, cornes, sabots. Il y en a souvent dans les musées, alors il faut bien contrôler avant d'introduire l'animal. Ce sont de petites bêtes très coriaces". Avant de voyager, les animaux sont désinfestés.
Notre bison passe le contrôle haut la main. Direction le deuxième étage. Huit hommes spécialisés dans le transport des oeuvres d'art le portent dans les grands escaliers. L'animal est installé dans la première salle du musée : une pièce spectaculaire qui reconstitue l'environnement de l'homme de Néandertal.
Il faudra une journée entière pour placer tous les animaux et encore trois semaines pour installer le reste des objets.La mauvaise réputation
L'homme de Néandertal vivait de la chasse et de la cueuillette. On sait qu'il cuisait ses aliments grâce aux micro-résidus retrouvés dans le tartre dentaire des fossiles. Plusieurs bustes montrent qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'homme de Néandertal était représenté comme une brute, un être bestial. Commissaire de l'exposition, Marylène Patou-Mathis explique qu'on lui donnait les traits d'un singe. "C'est la période où l'on va classer et hiérarchiser les races. On va faire une échelle avec tout en bas les inférieurs, proches des singes, et tout en haut, l'homme blanc".Certains savants travaillaient avec des artistes pour présenter leur vision des néandertaliens. Les bustes exposés traduisent l'état des connaissances mais aussi les convictions scientifiques de ceux qui commandaient ces oeuvres.
Kinga, Madame Néandertal des temps modernes
On sait aujourd'hui grâce à l'analyse de restes d'ADN de quelques individus fossiles que les humains actuels, lorsque leurs ancêtres ne sont pas exclusivement africains, ont hérité de 1 à 4% du génome de l'homme de Néandertal. Lui et l'homme moderne se sont métissés entre - 80.000 et - 60.000 ans probablement au Proche-Orient. Avec cette découverte, Néandertal quitte définitivement son statut bestial et devient membre de la famille humaine.
L'exposition l'affirme avec humour grâce à la statue de Kinga : une Madame Néandertal moderne et souriante, symbole du nouveau regard porté sur son espèce.
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