Georgia O'Keeffe au Centre Pompidou : une grande figure de l'art américain a enfin sa rétrospective en France
Icône de l'art américain du XXe siècle, Georgia O'Keeffe reste méconnue en France. De ses fleurs à ses gratte-ciels ou ses paysages abstraits, toutes les facettes de son œuvre sont à découvrir au Centre Pompidou.
Connaissez-vous Georgia O'Keeffe ? Vous avez sans doute vu quelques-unes de ses fleurs ou ses paysages dans des expositions collectives. Cette figure de l'art américain du XXe siècle est pourtant très peu représentée dans les collections européennes et est peu exposée de ce côté de l'Atlantique. Le Centre Pompidou lui consacre une belle rétrospective, la première en France (jusqu'au 6 décembre 2021).
Fille d'agriculteurs modestes, Georgia O'Keeffe (1887-1886) a grandi dans les grandes plaines du Midwest qui la marquent durablement, lui donnant le goût de la nature et des grands espaces. Elle se forme à l'Art Institue of Chicago puis à l'Art Students League de New York.
"Chicago est la capitale américaine de l'art nouveau", souligne Didier Ottinger, directeur-adjoint du Musée national d'art moderne et commissaire de l'exposition. Georgia O'Keeffe "en retiendra l'inspiration marquée par sa référence à la nature", et en particulier le motif de la spirale, "l'attention au vivant et au phénomène de croissance". Dans les écoles d'art américaines, à l'époque, on ne parle pas de la création d'avant-garde européenne.
La galerie 291, lieu déterminant dans sa carrière
L'exposition s'ouvre sur une évocation de la galerie 291, un lieu déterminant pour elle, où elle entre d'abord en contact avec l'art moderne. Son fondateur Alfred Stieglitz y expose les photographes américains et il est aussi le premier à montrer Picasso, Cézanne, Matisse. Il édite également une revue, Camera Work, qui publie des essais sur ces artistes. En 1908 Georgia O'Keeffe découvre à la galerie 291 les dessins et aquarelles de Rodin.
C'est là aussi que Georgia O'Keeffe va commencer à être reconnue. "L'histoire est assez romanesque, assez extraordinaire", raconte Didier Ottinger. "Un jour elle décide de créer un art totalement indépendant de tous les modèles auxquels elle a pu être confrontée jusque-là. En quelques jours, dans un état de fièvre créatrice, elle produit une série de dessins." Un de ces fusains abstraits inspirés des formes de la nature est exposé dans cette première salle de l'exposition.
En 1916, une de ses amies les porte à la galerie 291. Alfred Stieglitz est fasciné. "Ce qu'il peut apprécier dans ces dessins, c'est qu'ils sont libres de toute influence moderne, même européenne. Il voit là une création qu'il attendait depuis toujours, une création authentiquement américaine", estime Didier Ottinger. Il les expose immédiatement, sans l'en informer, ce qui la rend furieuse. Elle lui demande de les décrocher, ce qu'il refuse. Sa carrière est lancée.
Erotisme et fleurs en gros plan
Une relation épistolaire débute alors entre Alfred Stieglitz et Georgia O'Keeffe qui gagne sa vie en enseignant en Caroline du Sud. Il l'invite à venir vivre à New York en 1918 et lui propose de subvenir à ses besoins pendant un an, pour qu'elle puisse se consacrer à son art. Commence alors entre eux une passion qui durera trente ans, jusqu'à la mort de Stieglitz.
O'Keeffe se met à peindre à l'huile le même genre de formes abstraites que dans ses dessins. Elle devient rapidement une figure scandaleuse à New York, quand Stieglitez expose en 1921 des photographies où elle pose nue. La critique se déchaîne de nouveau en 1923 quand elle montre des peintures évoquant un sexe féminin, même si elle tente de réfuter cette interprétation des ses œuvres qu'elle juge réductrice. "Néanmoins, c'est une évidence, sans avoir un esprit particulièrement mal tourné, il est clair que l'érotisme est une des clés essentielles, non seulement de cette série de tableaux mais d'une façon générale de l'oeuvre de Georgia O'Keeffe", commente Didier Ottinger.
A partir de 1924, O'Keeffe peint des fleurs, qui la rendent célèbre et sont parmi ses œuvres les plus connues. Des fleurs luxuriantes aux couleurs vives caractérisées par des cadrages en gros plan qui occupent tout l'espace de la toile. Elle produit également des paysages abstraits inspirés de ceux de Lake George, au nord de l'Etat de New York, où elle passe de longs mois dans la villégiature d'Alfred Stieglitz.
Jamais de l'abstraction pure
"Sa méthode procède d'un mouvement d'abstraction mais ce n'est jamais de l'abstraction pure", commente Didier Ottinger. "Georgia O'Keeffe est toujours, et elle l'affirme, une artiste qui a les pieds sur terre. Elle veut rester attachée à la réalité de ses sensations, de ses visions. Elle produit des œuvres qui sont une interprétation, une décantation des motifs qu'elle a sous les yeux." Même son tableau Black Abstraction, qui paraît totalement abstrait, est inspiré d'une vision en état d'anesthésie lors d'une opération chirurgicale.
Il faut voir ses étonnants buildings de New York, vus en plongée ou en contreplongée, sous des angles comparables à ceux des photographes modernes, où elle introduit des pastilles de lumière qu'on pourrait trouver sur une photographie face au soleil.
Le choc de sa vie, c'est la découverte du Nouveau-Mexique en 1929, avec ses grands espaces, son ciel et sa lumière. Dès lors, elle y passe six mois par an. Comme dans d'autres endroits, "elle a besoin de l'apprivoiser. D'abord elle se l'approprie en le représentant de façon assez réaliste, et puis elle va le métamorphoser, se l'approprier", remarque Didier Ottinger. Elle peint des reliefs qui ressemblent à des corps. Après avoir assisté à des cérémonies des Indiens Hopis, elle crée une toile abstraite inspirée des mouvements, de la musique et de ce qu'elle a ressenti.
"Chez Georgia O'Keeffe, on est du côté de l'effusion, de la sensation, de l'empathie", explique le commissaire.
Une artiste toujours en recherche
Après la mort de Stieglitz, elle entreprend des voyages et la vue depuis l'avion lui fait voir autrement la terre et le cosmos. Elle peint alors des rivières vues depuis le hublot, des ciels au-dessus des nuages. Dans les années 1950, elle peint aussi le patio de sa maison et sa porte, qu'elle simplifie à l'extrême dans une vingtaine de toiles qui paraissent, encore une fois, abstraites, et qui annoncent le minimalisme américain.
L'artiste est capable d'un grand renouveau, dans les années 1950. "C'est ce qui caractérise son œuvre et en fait une grande œuvre du XXe siècle. Elle ne se cantonne jamais à un style ou une iconographie. Elle est toujours à la recherche de nouveaux sujets et de moyens de revoir toutes les données de son œuvre", dit Didier Ottinger.
Georgia O'Keeffe est très célèbre aux Etats-Unis, elle a été la première femme exposée au Museum of Modern Art de New York dès 1929 et a connu la consécration avec une rétrospective en 1943 à Chicago, puis au même MoMA en 1946. Elle a été ignorée en Europe, comme de nombreuses artistes femmes et plus largement les artistes américains d'avant 1945. Cette exposition est l'occasion de la découvrir dans toute sa diversité.
Georgia O'Keeffe
Centre Pompidou, Paris 4e
Tous les jours sauf le mardi, 11h-21h, le jeudi jusqu'à 23h
Du 8 septembre au 6 décembre 2021
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