Invasion de monstres à la Gaîté Lyrique
L’exposition "Pictoplasma", à Paris, grouille de créatures bizarroïdes, contemporaines ou antiques. Visite guidée.
Velus, ventrus, fourchus… les monstres ont enfoncé la porte de la Gaîté lyrique, à Paris, et s’y blottiront jusqu’au 31 décembre pour l’exposition "Pictoplasma", ponctuée de spectacles et de conférences. Sculptures en bois, en métal et peluches déroutantes font ami-ami avec d’étranges créations numériques pour cet événement qui réunit une vingtaine d’artistes contemporains. Ces créatures bizarroïdes ne datent pas d’hier… mais pourquoi pullulent-elles dans l’art ?
Ils sont partout !
Ce qui étonne en effet dans cette exposition, c’est l’incroyable profusion d’êtres plus curieux les uns que les autres. La Toulousaine Amandine Urruty joue sur ce foisonnement, créant au crayon de couleur d’impressionnantes accumulations de chiens-oiseaux, crapauds-serpents et autres bizarreries fluorescentes qui s’entremêlent.
En fait, le phénomène n’est pas nouveau, les monstres squattaient déjà en nombre les œuvres antiques. Des êtres hybrides (femmes ailées, sphinx, griffons…) ont ainsi été retrouvés sur les fresques de la Maison dorée, la Domus Aurea construite en 64 après J.-C. Ce sont d’ailleurs ces fresques qui influenceront le bien nommé style "grotesque", jouant sur des imbrications de chimères et autres motifs décoratifs.
Les monstres sont partout. Ils franchissent allégrement les frontières, fourmillant dans les œuvres du Néerlandais Jérôme Bosch et de l’Italien Léonard de Vinci (XVe siècle) ou les gravures de l’Espagnol Francisco Goya (XVIIIe)… sans parler des innombrables créatures fantastiques qui peuplent les estampes du Japonais Hokusai (XIXe).
Une infinité de personnages, une beauté unique
Pourquoi ce grouillement ? Le monstrueux, le laid, n’existe que par rapport au beau, qui, lui, est unique, défini par des canons contraignants. Dès le Ve siècle avant J.-C., le sculpteur grec Polyclète rédigeait Le Canon, un traité établissant les rapports numériques idéaux de l’anatomie. Le monstre, personnage hors-norme, est un jeu pour l’artiste, qui peut grâce à lui échapper aux normes et enfin tout se permettre.
Regardez cet enchevêtrement de vers en laine tricoté par la plasticienne allemande Nina Braun. On y retrouve toutes les caractéristiques du monstre : jeu sur la démesure, sur la profusion des membres et de l’hybridation (des vers… en laine !).
Gilbert Lascault, auteur d’un livre sur le sujet, Le Monstre dans l’art occidental, l’explique simplement : la création d’un monstre procède d’un écart par rapport au quotidien, au banal. S’il y a tant de monstres dans l’art, c’est ainsi parce que leur création n’a de limites que celles de l’imaginaire.Tout est possible. Prenez, comme l’Américain Joshua Ben Longo, un sympathique caniche. Ôtez les yeux, grossissez les dents et l’anus… vous obtiendrez un être de cauchemar (néanmoins exposable).
Des êtres malléables
Autre explication de cette invasion : le monstre est flexible. Au Moyen-Age, s’incrustant dans les enluminures des plus beaux ouvrages, il peut se glisser partout, dans les marges les plus étroites.
Le monstre est donc aussi une forme qu’on allonge, rapetisse à l’envie pour pouvoir aboutir à une représentation qui occupe harmonieusement l'espace de l'œuvre. Observez le travail de Motomichi Nakamura, graphiste d’origine japonaise. Ce long serpent pustuleux est prétexte à inventer une forme souple, simple, avec un choix resserré de couleurs… et au final assez belle !
Le monstre se prête également facilement à l’épure. Un avantage, notamment pour réaliser des films d’animation. Moins compliqués à faire vivre à l’écran, ces créatures digitales ont un impact graphique d’autant plus fort que leurs traits se limitent à l’essentiel. Exemple dans le travail du Français Yves Geleyn.
Ils profitent de l’art sacré et des mythes
L’art crée des monstres également parce qu’il a longtemps illustré l’histoire religieuse, qui en est peuplée. Les anges, humanoïdes ailés, sont des monstres. Le diable lui-même, parfois représenté sous les traits d’un dragon ou d’une créature hybride entre le bouc et l’homme, est un monstre. Sans parler des démons enfumés de l'Enfer.
Et les mythes ou les contes populaires sont également peuplés de créatures bizarres qui ont la vie dure et qui continuent d’être représentés. Exemple, dans l’expo, cette performance de Jazson Forrest et Jean Nipon consacrée au yéti, qui appartient au folklore de la région himalayenne.
La réinvention du monstre gentil
Ce qui étonne dans l’exposition, c’est également l’omniprésence de bestioles à l’air doux, benêt, limite bébête. En fait, malgré leur mauvaise réputation, les monstres n’ont jamais été seulement méchants. Dès l’Antiquité, Achille et Jason se voient prodiguer des conseils par un centaure, Chiron, sage parmi les sages.
Aujourd’hui, dans une société qui a du mal à accepter la différence, l'anormalité, le monstre mignon permet peut-être simplement de prendre une bouffée d’art frais !
Pratique :
Pictoplasma, post digital monsters
3 bis rue Papin, 75003 Paris
Du 7 au 31 décembre
3 euros / 5 euros
A lire :
Monstres, merveilles et créatures fantastiques, collectif, chez Hazan, 27 euros, 336 pages. Bien illustré, dodu, l’ouvrage fait le tour des créatures enfantées par le sommeil de la raison : monstres mythologiques, démons, freaks… jusqu’aux monstres politiques issus des caricatures !
Le Monstre dans l’art occidental, de Gilbert Lascault, éd. Klincksieck, 31 euros, 468 pages. Touffu, bien écrit, l’ouvrage de ce critique d’art permet d’aller plus loin et de comprendre le secret de la longévité des monstres.
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