"La mode en mouvement" au Palais Galliera à Paris : le vestiaire sportif et la garde-robe de ville étroitement liés
Les Galeries Gabrielle Chanel - dans les caves voûtées du sous-sol du musée de la mode de Paris - accueillent l'exposition La mode en mouvement, qui fera l'objet de trois accrochages successifs. Riche de 200 œuvres, ce parcours chronologique du XVIIIe siècle à nos jours confronte la garde-robe de ville au vestiaire sportif pour mieux en saisir les transformations : ainsi, dans une vitrine, une robe de cocktail côtoie, sans complexe, une tenue de cycliste ! Un choix scénographique, un rien déroutant.
Ce dialogue questionne les notions de spécialisation du vêtement sportif, d’adaptation à la fin du XIXe siècle des tenues féminines pour la pratique physique, de la masculinisation du vêtement féminin ou de l’introduction du sportswear dans le vestiaire quotidien. Nous nous sommes intéressés à la naissance des principales activités physiques.
La pratique sportive féminine au XIXe siècle
Des années 1830 jusqu’aux années 1910, la pratique féminine d’une activité physique puis sportive se développe. Parallèlement à l’éducation physique prônée par les théories hygiénistes, les femmes de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie pratiquent l’équitation, la chasse à courre, le golf, l’escrime, le croquet ou la conduite automobile. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour la natation ou la bicyclette. S'il s’agit dans un premier temps d’adaptations du vêtement quotidien, viennent ensuite l’apparition de formes nouvelles et l’adoption par les femmes de pièces issues du vestiaire masculin.
Cavalières et amazones au XIXe siècle
L’anglomanie qui se diffuse dans la haute société française à la fin du XVIIIe siècle favorise la monte en amazone pour les cavalières, au détriment du califourchon réservé aux hommes. Au XIXe siècle, les femmes sont vêtues de déclinaisons du costume de chasse masculin. Au tournant du XIXe siècle, les robes vaporeuses claires s’associent à un spencer en drap ou en casimir (laine) avant de céder la place à une tenue plus ajustée, aux teintes sombres. Le modèle le plus commun est un ensemble formé d’une veste et d’une jupe longue de grande envergure, complété d’un haut-de-forme agrémenté d’un voile de gaze protégeant du soleil et de la poussière.
1870, les bains de mer au XIXe siècle
"À la fin du XIXe siècle, on a le développement des bains de mer. Si le développement de l'activité physique est si important en France, c'est que toute la politique sociale française va s'appuyer sur ces théories hygiénistes qui vont prôner les bains de mer" explique Marie-Laure Gutton. Dans ces stations balnéaires, hommes et femmes se baignent séparément et se changent dans des cabines roulantes tirées jusqu’à la mer par des chevaux. La décence exige un costume de bain couvrant le corps se composant d’une tunique à manches longues et d’un pantalon aux mollets, souvent en serge de laine, lin ou flanelle. Il s’accompagne d’un corset spécial en toile, plus court et peu baleiné, de bas de laine, d’espadrilles et d’un bonnet ou chapeau. À la fin du XIXe siècle, le costume de bain s’allège et se raccourcit, dégageant notamment les bras et les jambes et "le rapport au corps et à la nudité va évoluer".
Tous à bicyclette !
La pratique de la bicyclette se développe dans les années 1870. Si elle conquiert la gent masculine, les femmes elles aussi enfourchent ce symbole de liberté de mouvement mais cette activité suscite des critiques non seulement du point de vue médical mais également du point de vue de la décence. Les années 1890 voient l’apogée du débat sur le port de la culotte et du pantalon. "Cela a fait des remous dans la presse, la littérature... " indique la commissaire d'exposition. La culotte bouffante, connue sous le nom de bloomer, évoque la féministe américaine Amelia Jenks Bloomer qui revendiqua en 1851 le port du pantalon.
Sur les routes
Au tournant du XXe siècle se développe un nouveau mode de transport, l’automobile. Dépourvue de toit, elle impose des tenues adaptées protégeant du froid, du vent et de la poussière : épais manteaux et gants en fourrure de racoon, chèvre ou chat sauvage, cache-poussière en toile de lin ou de coton. Du côté des accessoires fleurissent les chapeaux pourvus de voile, les casquettes munies ou non d’un couvre-nuque amovible, les casques "emboîtants" ou les voiles enveloppants garnis d’une fenêtre en mica. Pour protéger les yeux, des lunettes, prenant la forme d’un masque, en cuir, soie, ou bordées de fourrure s’attachant au moyen d’élastiques et d’agrafes.
La chaussure, accessoire de performance
Les souliers ont été, au XIXe siècle, les premiers éléments de la tenue à s’adapter techniquement au sport, répondant à des problématiques telles que le poids de la chaussure ou l’accroche sur des terrains boueux et glissants. L’une des innovations est l’utilisation du caoutchouc pour la fabrication des semelles : souples et légères, elles sont appréciées pour la pratique du lawn-tennis. Les grands magasins offrent une grande diversité de modèles dédiés à l’activité sportive de loisir, souliers ou bottines, pour le tennis, le cyclisme ou la chasse.
Le succès de la maille dans les années 1920
"La mode actuelle doit se conformer à la mentalité sport. Elle doit répondre aux exigences de notre vie active", proclame Lucien Lelong dans Vogue en 1925. Affranchie des contraintes, la mode des Années folles reflète l’appétit d’une décennie éprise de modernité, de mouvement, de vitesse et de liberté. Le sport est dans l’air du temps et l’influence du vestiaire masculin manifeste. Une nouvelle silhouette, jeune et androgyne, apparaît. Les robes raccourcissent. Initiée par Chanel dès 1916, l’utilisation du jersey - auparavant réservé à la bonneterie - suscite un engouement. Composé d’une jupe et d’un confortable et souple sweater en maille, l’ensemble sport, stimule la créativité de toutes les maisons de couture. "En 1925, Jean Patou ouvre Le Coin des Sports, un enseigne sportswear" précise-t-elle.
Le sport dans l’entre-deux-guerres
Les années 1920-1930 marquent un tournant dans la pratique du sport. La démocratisation de celle-ci se confirme pour les femmes. Les fédérations unisport définissent l’équipement et la tenue vestimentaire de chaque discipline. Cette évolution impacte le vêtement qui raccourcit. Les joueuses adoptent, sur les terrains et les pistes d’athlétisme, le maillot et le short. Sur les courts de tennis, Suzanne Lenglen, vainqueure à 20 ans du tournoi de Wimbledon, "opte pour une robe plus courte permettant plus de liberté de mouvement et deviendra l’emblème d’une mode simple née de sa collaboration avec le couturier Jean Patou".
Le golf, alliance du confort et de l’élégance
Sport d’élite, le golf trouve son origine en Écosse avant de se développer à travers l’Europe au XIXe siècle. Ses tenues sont empruntées au vestiaire quotidien, soumises aux conventions de la société plutôt qu’à la pratique sportive. Les matières sont résistantes et chaudes, à l’instar du drap de laine. Elles sont colorées. "Au début du XXe siècle, son expansion se traduit par l’émergence de vêtements spécifiques masculins : norfolk, veste à grandes poches et plis d’aisance dans le dos et les knickerbockers, culotte bouffante resserrée sous le genou. Le tweed, apprécié pour son étanchéité et son confort, est aussi à l’honneur" indique, encore, la commissaire d'exposition. Dans les années 1920, les couturiers Jean Patou ou Jane Regny, proposent aux femmes des sweaters en maille et des jupes plissées pour le golf. L’ensemble masculin en lainage s’agrémente d’accessoires : cravate, pochette et bas aux motifs géométriques et colorés.
Exposition "La mode en mouvement" au Palais Galliera, musée de la Mode de Paris. 10, avenue Pierre Ier de Serbie. 75016 Paris, jusqu'au 15 mars 2024. Du mardi au dimanche de 10h à 18h et les jeudis jusqu’à 21h. Musée fermé les lundis, le 1er mai, le 25 décembre et le 1er janvier.
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