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La sculptrice Anita Molinero au Musée d'art moderne de Paris : l'art d'accommoder les restes

Jusqu'au 24 juillet prochain, le Musée d'art moderne de la Ville de Paris propose la première rétrospective de la sculptrice française, Anita Molinero. Polystyrène, plastique ou béton, aucun de ces matériaux bruts ne résiste à la poésie de cette artiste. 

Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Oeuvre d'Anita Molinero au Musée d'Art Moderne de Paris  (PIERRE ANTOINE)

Devant le Musée d'art moderne de Paris, dans les bassins et les fontaines, de bien curieux monstres sortent de l'eau. On imagine un Loch Ness en plastique ou des aliens rouges feu. Si le badaud s'approche, il découvre un amoncellement de poubelles, nos poubelles, qui ponctuent chaque matin les trottoirs de nos villes.

Les sculptures d'Anita Molinero sont ainsi : on y reconnait des matériaux de récupération littéralement explosés par le feu et la machine. On devine ensuite l'influence du cinéma de science fiction, et se dessine alors la poésie de son oeuvre. 

Une sculptrice de la récup 

Vue de l'exposition d'Anita Molinero au Musée d'Art Moderne de Paris  (PIERRE ANTOINE)

Anita Molinero est une artiste française, originaire de Floirac dans la banlieue bordelaise. Diplômée de l’École supérieure des Beaux-Arts de Marseille, depuis les années 80 elle maltraite, avec habilité et amusement, les matériaux de récupération. Son premier terrain d'aventure sont les trottoirs, à la recherche des objets qu'elle va transformer. Quand certains sculpteurs travaillent le marbre, la pierre ou la terre, elle préfère le plastique et le béton. 

"Pour  le choix des matériaux" , nous explique Olivia Gaultier-Jeanroy, commissaire de l'exposition,"elle est très pragmatique, elle n'avait pas d'argent au début de sa carrière donc elle s'est tournée vers les matériaux de récupération. C'est une artiste de la débrouille par économie de moyens." 

Anita Molinero explique ainsi que le choix de la poubelle comme objet à torturer lui est venu quand elle était à Marseille : "Je suis passée dans la rue, et les gamins avaient mis le feu aux poubelles. J'ai trouvé cela magnifique."

Le résultat : de véritables sculptures. Le visiteur reconnaît à peine l'objet d'origine dans ces formes bizarres, délicates ou brutales. Chacun s'invente l'histoire de l'oeuvre. Quand une mère de famille voit un résidu de la sociéte de consommation, son fils peut y voir un chat. Il parait que ces différentes interprétations font sourire l'artiste. 

Pour parler référence, si elle refuse toute classification dans les tiroirs de l'histoire de l'art, ces objets calcinés, compressés, évoquent les nouveaux réalistes qu'étaient César ou Arman. Par humilité, "une de ses grandes qualités", nous dit Olivia Gaultier-Jeanroy, elle ne veut pas être comparée à ces artistes. 

Une décharge de la société de consommation

Vue de l'exposition d'Anita Molinero  (PIERRE ANTOINE)

"Les deux grands axes du travail d'Anita Molinero, ce sont le geste et la matière", explique Olivia Gaultier-Jeanroy. "Pour elle, sculpter c'est déformer la matière, et voir que le plastique ou le polystyrène brûlés c'est très beau." La force d'Anita Molinero est de rendre poétiques ces déchets de la société qu'elle brutalise par le feu ou la machine. 

Le PVC rouge, bleu ou vert de nos signalétiques urbaines devient joyeux, plus proche des couleurs pop que du gris des friches industrielles. Avec elle, même le beton fibré devient accueillant, transformé en banc.  

"J'espère que les gens partent de l'exposition avec un regard plus poétique sur ce qui traîne par terre, sur les poubelles, et apprennent à regarder différemment  ce que nos sociétés laissent dans les rues. Avec Anita il y a toujours une pointe de folie !" ajoute la commissaire de l'exposition. 

La misère de la rue 

Sans titre (Amiat)2015Poubelle fondue, parpaings308 x 208 x 150 cm Galerie Christophe Gaillard, Paris (Beppe Giardino)

Si la poésie des oeuvres domine, parfois la violence de la rue surgit. L'artiste se refuse à toute explication politique, mais elle sait le monde de la rue agressif et douloureux. "Les matériaux usagés (..) traduisent plus les symptômes de la misère de la rue qu'une critique de la société de consommation", écrit Anne Giffon-Selle dans le catalogue de l'exposition : "Extrudia"

Car parfois ces ordures, ces déchets, ces résidus de la société deviennent des sculptures inquiétantes. S'il n'est pas question de dénonciation (respectons le souhait de l'artiste), la violence transparait et la salle d'exposition se transforme en zone de violence urbaine.  

Vue de l'expostion d'Anita Molinero  (PIERRE ANTOINE)

Des monstres du cinéma d'horreur

Extrait du film: Extrudia 3DSous la direction artistique d’Anita Molinero et José Eon (Anita Molinero)

En parcourant cette rétrospective, le visiteur peut aussi avoir la sensation de déambuler dans des studios de cinéma désertés. Olivia Gaultier-Jeanroy nous confie la passion pour le cinéma de l'artiste : "Elle voit un film par jour et le cinéma est une source d'inspiration pour elle."  Terminator, Alien, Robocop, Mad Max... tout y passe. Du cinéma de science fiction à l'horreur. 

On reconnaît les personnages dégoulinant et déformés (les Aliens), comme les combattants surarmés et cuirassés (les Terminators) dans les sculptures exposées. Les enfants y verront les monstres joyeux de leurs BD quand les plus âgés croiront apercevoir les créatures rêvées par les transhumanistes. 

Cette oeuvre que l'artiste construit depuis 40 ans reste peu connue du grand public. Le Musée d'art moderne de Paris met en lumière la magie et le merveilleux des sculptures d'Anita Molinero, un cabinet de curiosité de science fiction inventé à partir du plus banal et du plus dérisoire. 

Exposition au Musée d'art moderne de Paris  jusqu'au 24 juillet  

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