Le marché français vent debout contre l'adoption d'une TVA sur les œuvres d'art par l'Union européenne
Artistes, galeristes et marchands d'art sont vent debout contre une directive européenne sur la TVA, qui risque de "mettre en péril" le marché de l'art en France et ses acteurs, selon plusieurs d'entre eux, interrogés par l'AFP. Très technique, la directive a été adoptée à l'unanimité par les 27 Etats membres de l'UE en avril 2022. Si elle était transposée sans modification dans le droit français, elle reviendrait à rendre inapplicable le régime spécial de TVA à 5,5% des œuvres d'art, multipliant par près de quatre la TVA des artistes vivants et celle visant l'importation des œuvres non-communautaires.
Sollicité par l'AFP, le ministère de l'économie s'est dit "conscient de leurs inquiétudes" et a annoncé que plusieurs de leurs représentants seraient reçus vendredi par Gabriel Attal, ministre délégué aux comptes publics. "Cette première réunion d'une phase de consultations" vise à "les informer du calendrier et des différentes options à l'étude", selon Bercy.
Une tribune de 120 artistes
Dans une tribune publiée mercredi dans Le Monde, un collectif de plus de 120 artistes plasticiens, parmi lesquels Gérard Garouste, Orlan, Daniel Buren, Sophie Calle, JR, Annette Messager, Jean-Michel Othoniel ou Zineb Sedira, disent "donner l'alarme" concernant cette directive qui représente "une menace pour la scène artistique française".
"C'est en effet tout un écosystème qui est en péril dont participent les institutions, le marché et nous, les artistes" car "dans un système mondialisé où nos œuvres se vendent au même prix à Paris, Bruxelles, Londres, Hong Kong ou New York, la multiplication de cette TVA par quatre découragerait tout achat d'œuvres en France, et par là même leur circulation et au final leur présence en Europe et en France", ajoutent-ils.
"Balle dans le pied"
Cette directive "aboutira à un assèchement du patrimoine et à une réduction de l'offre culturelle à l'heure où Paris avait retrouvé son importance sur le marché de l'art international et la toute première place en Europe", préviennent-ils. Si la France reste au quatrième rang mondial derrière les Etats-Unis, la Chine et le Royaume-Uni, avec seulement 7% du total cumulé des ventes, elle représente "environ la moitié du marché de l'art au sein de l'UE", rappelle Franck Prazan, qui dirige Applicat-Prazan, l'une des principales galeries d'art moderne française, spécialisée dans les années 50.
"Cette directive, c'est de facto la mort du système de la marge. Soit on multiplie par près de quatre la charge d'acquisition des œuvres, soit on fait supporter une hausse de 20% à la revente. Dans les deux cas, le marché s'effondre", résume-t-il. Il dénonce "une barrière douanière artificielle autour de l'UE qui équivaut à tirer une balle dans le pied de la France, beaucoup plus concernée que tous les autres pays de l'UE".
"Engagements fermes"
Même constat pour la galeriste Nathalie Obaldia, qui parle d'une directive "catastrophique". "Elle risque de mettre en danger toute la scène artistique française, des artistes aux galeries en passant par les fournisseurs et tous ceux qui l'accompagnent et la soutiennent", dit-elle. Marion Papillon, présidente du comité professionnel des galeries d'art, qui en représente plus de 300, "regrette que les professionnels du secteur n'aient pas été consultés en amont" et attend "des engagements fermes" de la part du gouvernement.
"Environ 120 000 emplois, directs ou indirects, au total sont concernés", selon Benoît Sapiro, à la tête de la galerie Le Minotaure et vice-président du comité des galeries. "Si elle est appliquée comme telle, la directive détournera les acteurs vers d'autres pays et placera la France dans une situation très défavorable, à un moment où elle est devenue la porte d'entrée du marché en Europe depuis le Brexit", souligne-t-il.
"Avec le risque que les grandes galeries internationales qui se sont installées récemment à Paris repartent, tout comme la grande foire d'art contemporain Art Basel, leader mondial du secteur, qui vient d'arriver" dans la capitale française. "Cette décision serait fatale pour le marché de l'art français, qui connaît actuellement une renaissance. L'augmentation de la TVA y mettrait un terme brutal", tranche le galeriste international Thaddaeus Ropac, propriétaire de galeries à Londres, Paris, Salzbourg et Séoul.
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