Le surréalisme chamboule Beaubourg : focus sur 5 chefs-d’œuvre d'un mouvement renversant
Pour célébrer le centenaire du mouvement, le Centre Pompidou, à Paris, consacre du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025, une grande exposition au surréalisme. C'est l'une des plus riches et des plus complètes qui ait jamais été présentée en France. Environ 500 peintures, sculptures, dessins, films, photos et documents littéraires sont réunis sur 2 200 mètres carrés dans un parcours en forme de labyrinthe. Parmi tous ces trésors, nous avons choisi cinq œuvres emblématiques du mouvement surréaliste à découvrir ou à redécouvrir absolument.
1 Le Manifeste d'André Breton
Le "Pape" du surréalisme est bien sûr à l'honneur. À l'entrée de l'exposition, un monstre nous avale. C'est un clin d'œil à la porte de L'enfer, l'un des trois cabarets qu'André Breton fréquentait avec ses amis. Ils nous accueillent d'ailleurs dans un long corridor couvert de leurs portraits. Il débouche sur une grande pièce circulaire. Au centre, comme un cœur battant, un tambour vitré abrite le manuscrit original de son célèbre Manifeste. 17 feuillets couverts d'une écriture fine et régulière. Un prêt exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France.
Ce texte fondateur paru le 15 octobre 1924 signe l'acte de naissance du mouvement. Ce n'était au départ que la préface d'un ouvrage, Poisson soluble, dans lequel André Breton expliquait ses nouvelles orientations philosophiques et esthétiques, actant sa rupture avec le groupe Dada. Le poète qui s'est très tôt intéressé à l'inconscient et à la psychanalyse postule l'existence d'un lieu inconnu de la pensée, une sorte de territoire inexploré auquel on pourrait accéder en supprimant certaines barrières mentales. Portes d'accès : l'écriture automatique, l'étude des rêves, le déchaînement de l'imagination. Ces procédés permettent de s'affranchir de la raison pour produire des images, des textes, des sons. En d'autres termes, pour Breton, l'art doit surgir des rêves, des fantasmes et du hasard. Mettre la conscience sur pause permet de faire jaillir l'inconscient.
Le Manifeste du surréalisme, influencé par Rimbaud, Marx et Freud, aura dès les années 30 une forte résonance à l'international, suscitant l'émergence de groupes d'artistes radicaux dans de multiples pays, de l'Angleterre au Mexique en passant par l'Australie, la Chine et la Belgique. Ils voulaient transformer le réel et bousculer les règles de la société en propulsant l'inconscient comme moteur de la création. Au Centre Pompidou, une projection audiovisuelle immersive à 360 degrés accompagne ce trésor manuscrit afin d'éclairer sa genèse et son sens. On entend la voix d'André Breton reconstituée grâce à un procédé d'Intelligence Artificielle par les experts de l'IRCAM.
2Salvador Dalí : Visage du grand masturbateur
Le catalan est l'un des peintres iconiques du mouvement. Derrière leur folie apparente, ses tableaux ont toujours un sens caché. Salvador Dalí sème des indices qu'il faut décrypter. Cette grande huile sur toile (110 x150 cm) datée de 1929 est une sorte d'autoportrait. Le personnage au nez planté dans le sol lui ressemble. Le peintre lui a d'ailleurs donné la forme d'un rocher bien connu dans sa région natale, près du Cap de Creus. Ses yeux clos indiquent qu'il est plongé en plein rêve. À l'arrière du crâne, une scène de sexe, reflet d'un fantasme de l'artiste. Une femme se prépare à pratiquer une fellation. Entre ses seins, le pistil dressé d'un arum renforce l'érotisme du moment. Mais l'homme placé à sa gauche reste de marbre.
Dalí avait peur des femmes et avouait avoir recours à la masturbation de façon compulsive. D'autres éléments du tableau évoquent ses angoisses : le sang qui coule sur les cuisses de l'homme, les veines sur le visage et le cou de la femme, une immense sauterelle couverte de fourmis accrochée sous le nez du grand masturbateur. Dalí, sur cette toile, exhibe à la fois le désir sexuel et la peur de ce désir qui le fait souffrir en ravivant en lui des souvenirs douloureux.
3L'Ange du foyer de Max Ernst
Pour illustrer l'affiche de l'exposition, le Centre Pompidou a choisi cette toile exceptionnelle prêtée par un collectionneur privé. Sous-titrée Le triomphe du surréalisme, elle représente une chimère, créature "inimaginable" qui fascinait les artistes du mouvement. Ce géant furieux qui semble tout écraser sur son passage a été peint par Max Ernst en 1937, l'année du bombardement de Guernica et après la défaite des Républicains en Espagne. Le titre est ironique. Ce n'est pas un ange mais un démon que l'artiste d'origine allemande représente. Il occupe tout l'espace et saute, terrifiant, en écartant les bras et les jambes. Son corps est enveloppé de tissus colorés qui se déchirent comme des lambeaux de peau. Sa tête effrayante est composée d'un grand bec d'oiseau avec des dents de carnassier. La créature semble hurler de rage. Sur sa droite, un personnage plus petit, une sorte de phasme, semble vouloir la retenir.
Ernst représente la bête franquiste qui écrase ceux qui lui résistent. Les efforts du phasme ne suffiront pas à l'arrêter comme les franquistes s'imposeront en dépit de la résistance des Brigades Internationales et de la mobilisation des artistes antifascistes. Le peintre expliquera plus tard : "C'était l'impression que j'avais à l'époque de ce qui allait bien pouvoir arriver dans le monde, et en cela j'ai eu raison". Max Ernst sera interné au camp des Milles près d'Aix-en-Provence en 1939. Pour les nazis, il était l'un des symboles de l'art dit "dégénéré". Il s'évadera en 1940 et parviendra à gagner l'Espagne puis les Etats-Unis en 1941.
4 Une femme surréaliste : Dora Maar
L'exposition accorde une place de choix aux nombreuses femmes qui ont pris part au mouvement : Leonora Carrington, Dorothea Tanning, Remedios Varo, Ithell Colquhoun ou encore Leonor Fini (cette dernière est à découvrir actuellement à la galerie Minsky à Paris). Dora Maar est la plus connue, malheureusement plus pour sa relation avec Picasso que pour la qualité de son travail de photographe et de peintre. Cette composition sans titre date de 1934, deux ans avant sa rencontre avec le Minotaure.
Dora Maar aime marier les contrastes pour créer des œuvres hybrides. Ici, la rencontre sur une plage d'un coquillage en forme d'escargot et d'une main féminine aux ongles peints. Le regard est d'abord attiré par cet objet bizarre puis, au second plan, par un ciel semé de nuages menaçants. L'ensemble crée une atmosphère étrange et vaguement inquiétante. La main symbolise sans doute l'outil qui permet à Dora Maar de s'exprimer. Elle sort de sa coquille comme une femme qui s'émancipe. L'artiste aimait la mise en scène et utilisait des trucages. Ses photomontages, comme le fameux Portrait d'Ubu en 1936 également présenté dans l'exposition, sont des œuvres très recherchées. Pour les surréalistes, les images composites (collages, surimpressions) permettaient de sublimer le réel et de pénétrer dans le monde mystérieux du merveilleux.
5 Les valeurs personnelles du belge René Magritte
Les toiles de Magritte sont tellement énigmatiques qu’elles lui ont valu un surnom : le peintre des rébus. Il est le plus cérébral, le plus conceptuel des artistes surréalistes. Jamais il ne donne le sens de ses étranges juxtapositions, nous laissant avec nos questions. Ses tableaux, comme des exercices de méditation, invitent à tout "déconstruire" selon l’expression à la mode. Cette toile commencée à la fin de l'année 1951 est considérée comme l'un de ses chefs-d’œuvre.
Dans une chambre tapissée d'un ciel nuageux, il dresse un peigne géant sur un lit minuscule et place une énorme savonnette devant une armoire à glace sur laquelle il pose un blaireau également surdimensionné. Le titre du tableau, Les valeurs personnelles, nous invite à la même introspection. Si l'on y réfléchit bien, quels sont les objets que nous devons considérer comme importants ? Sans doute, les plus communs. Dans une lettre à son représentant aux Etats-Unis, Alexander Iolas, Magritte expliquait qu'il avait longuement travaillé sur cette nature morte, "au moins deux mois", jusqu'à atteindre "un certain état de grâce". Il disait que les objets ordinaires le fascinaient.
Mort en 1967 à Bruxelles, le peintre au chapeau rond a continué à beaucoup influencer la publicité et l'art moderne. Et la dissolution officielle du surréalisme deux ans plus tard n'a pas marqué la fin de son pouvoir d'attraction. En 2024, ce magnifique centenaire inspire toujours très largement l'art contemporain, le cinéma, la mode ou la bande dessinée.
Surréalisme, l'exposition du centenaire (1924-2024)
Du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025
Centre Pompidou Galerie 1, niveau 6
Commissariat : Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d'art moderne
Marie Sarré, attachée de conservation au service des collections modernes du Centre Pompidou
Site internet : www.centrepompidou.fr
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