Le trompe-l'œil, art de l'illusion, triomphe au musée Marmottan Monet : zoom sur six œuvres surprenantes
Pour fêter ses 90 ans, le musée parisien propose une exposition originale consacrée à ces leurres artistiques imaginés par des artistes facétieux. Inaugurée le 17 octobre, Le trompe-l'œil, de 1520 à nos jours s'installe jusqu'au 2 mars 2025 dans les murs du bel hôtel particulier des frères Marmottan, à Paris.
Tableaux, objets en céramiques, guéridons, sculptures, photos… Plus de 90 pièces sont réunies pour retracer l'évolution depuis le XVIe siècle de ce genre pictural hors normes, apparu dès l'Antiquité et souvent méconnu. Avec l'appui de Sylvie Carlier, directrice des collections du musée, et d'Aurélie Gavoille, attachée de conservation, nous avons analysé dans le détail cinq tableaux et une sculpture particulièrement virtuoses qui nous ont tapé dans l'œil.
Le pêle-mêle de Cristoforo Munari
Ce tableau surprenant réalisé avant 1715, un trompe-l'œil dit "de chevalet", est accroché dans la toute première salle. Il attire l'œil immédiatement en raison des objets qui s'échappent du cadre, un format découpé dit chantourné. Il y a des gravures tout en haut, un bâton qui sert d'appui au peintre au milieu, scindant la toile en deux, et une palette prête à tomber tout en bas. C'est comme un vide-poches, un désordre savamment organisé. Le peintre florentin Cristoforo Munari, fait avec humour – une constante dans l'art du trompe-l'œil – un autoportrait en forme de nature morte. Tout est faux dans son tableau, à commencer par le bois. C'est avec de l'huile, sur une toile, qu'il reproduit à la perfection ce battant de placard en bois avec deux charnières à droite et une petite clé dans la serrure à gauche. L'effet de relief est renforcé par les superpositions, l'ombre de la petite clé avec son ruban, la toile colorée au centre (intéressante mise en abyme) qui est comme effilochée sur les côtés... On se retient de toucher pour vérifier que tous ces objets n'existent pas réellement. On parlerait aujourd'hui d'effet 3D. Les bésicles, ancêtres des lunettes, en haut à droite, nous invitent à y regarder de plus près... La signature du peintre est cachée quelque part. Le trompe-l'œil joue avec la perception et les sens du visiteur qui l'observe.
Le tableau de chasse de Jean-Baptiste Oudry
Cette œuvre prêtée par le château de Fontainebleau a été réalisée en 1741 par Jean-Baptiste Oudry, le peintre officiel des chiens et des chasses de Louis XV. Il s'agit d'un trophée, des ramures de cerf en l'occurrence, prodigieusement réalistes. Ces bois qui tombent et repoussent chaque année chez les mâles sont couverts d'une sorte de velours que le peintre a magnifiquement rendu. La texture soyeuse des parties sombres et denses tranche avec le blanc de l'os. Ce contraste des couleurs crée une vibration. La représentation des ombres sur le bois donne l'impression que la ramure est sur le point de glisser de son support et de basculer. Plusieurs critiques écriront qu'ils avaient l'impression de pouvoir la saisir entre leurs mains. Là encore, la tentation d'effleurer la toile est grande. On retrouve dans cette composition le faux panneau de bois, élément incontournable du trompe-l'œil à l'époque avec les clous, et l'effet de relief favorisé, en bas, par l'étagère sur laquelle il signe sa composition. Oudry agrémente sa "tête bizarre" d'un petit cartel indiquant que l'animal a été chassé le 3 juillet 1741, du côté de Compiègne. Cette œuvre issue d'une série de cinq tableaux renforcera la réputation de virtuose d'Oudry, qui n'était déjà plus à faire.
Une femme pleine de relief
Une seule femme dans ce monde d'illusion : Anne Vallayer-Coster, peintre renommée à la cour de Marie-Antoinette qui excelle dans le trompe-l'œil de bas-relief. En 1770, à l'âge de 26 ans, elle est reçue à l'Académie royale de peinture et de sculpture, une rareté pour une femme de son temps. La découverte des sites archéologiques d'Herculanum et de Pompéi en Italie a remis l'héritage antique au goût du jour, favorisant le développement du style néoclassique. Ce tableau de petit format est un faux bas-relief représentant des enfants jouant avec une panthère. La scène est animée par ces bambins joufflus qui essaient de grimper sur l'animal. L'effet de relief est saisissant, amplifié par le brillant éclairagiste de l'exposition. La peintre a utilisé ce que l'on appelle une grisaille, un camaïeu de bleus, de bruns et de blancs qui permet de sculpter chaque détail, notamment les bras et les mollets potelés des enfants. Elle renforce cet "effet 3D" en peignant autour de cette scène un faux cadre en bois noir, plus vrai que nature qui n'apparaît pas sur la photo.
La partie de cache-cache de Jean-Étienne Liotard
Ce peintre genevois a réalisé une quinzaine de trompe-l'œil au XVIIIe siècle dont ce portrait amusant et partiel de Marie-Thérèse d'Autriche, souveraine qu'il a plusieurs fois rencontrée. Il la représente cette fois-ci à moitié, en dessinant sur un vrai panneau de bois une fausse planche qui semble pouvoir coulisser vers la droite pour masquer entièrement le visage de l'impératrice. On n'a qu'une envie : tirer cette fausse porte vers la gauche pour admirer l'intégralité de son portrait. Un petit médaillon fixé sur la planche accentue ce sentiment de réalité en donnant une troisième épaisseur, factice évidemment, au tableau.
Une Joconde qui déchire signée Henri Cadiou
Faisons un grand saut dans le temps avec cette œuvre qui fait beaucoup réagir les visiteurs de l'exposition, tentés d'enlever les scotchs pour découvrir Monna Lisa dans toute sa splendeur. Après la Seconde Guerre mondiale, le peintre Henri Cadiou fonde un mouvement baptisé Trompe-l'œil/réalité avec des artistes comme Pierre Ducorneau et Jacques Poirier, également présentés dans l'exposition. Le groupe critique l'art contemporain qui explose à l'époque avec Lucio Fontana, Pierre Soulages ou encore Yves Klein. Cadiou écrit ceci : "Notre temps a besoin d'une beauté rigoureuse, authentique, sans concession." Pour lui, l'art contemporain, en raison de sa facilité d'exécution, a attiré "une foule d'oisifs" et risque de conduire à une stérilité artistique. En 1981, il emballe la Joconde dans un paquet-cadeau qu'il déchire partiellement. Ce trompe-l'œil intitulé La Déchirure est en soi un morceau de bravoure puisque l'artiste emploie deux techniques : l'huile pour représenter Mona Lisa et l'aquarelle pour le papier d'emballage, le faux scotch et la carte de visite sur laquelle l'artiste, fine mouche, a laissé son adresse, 9 cité Fleurie dans le 13e arrondissement, lieu de ralliement du groupe Trompe-l'oeil/réalité.
Jade de Daniel Firman
En apercevant cette femme de dos, la tête appuyée contre un mur, dans un recoin de l'exposition, nous sommes nombreux à nous interroger. Qui est-elle ? Est-ce qu'elle pleure ? Est-ce qu'elle boude ? Est-ce qu'elle se concentre ? Même les gardiens du lieu se sont fait piéger par l'inconnue au pull rayé. Cette sculpture hyperréaliste (terme que le sculpteur récuse, nous dit-on) de Daniel Firman, un artiste né à Bron en 1966, s'appelle Jade. Il l'a réalisée avec de la résine peinte, de l'acier, de vrais vêtements et une perruque. La jeune femme intrigue. On voudrait la voir de face, enlever ce chandail qui masque son visage et percer son secret, ce qui est impossible. C'est un nouveau clin d'œil extrêmement réussi à l'histoire du trompe-l'œil, un mystère artistique qui se perpétue siècle après siècle.
"Le trompe-l'œil, de 1520 à nos jours" au musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, à Paris, jusqu'au 2 mars 2025, du mardi au dimanche de 10 à 18h. Plein tarif à 14 euros et tarif réduit à 9 euros
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