Les Caravage découverts sont-ils vraiment des Caravage ?
La semaine dernière, l’agence italienne Ansa affirmait que deux experts, Maurizio Bernardelli Curuz et Adriana Conconi Fedrigolli, avaient retrouvé ces œuvres dans une collection du château des Sforza à Milan. Ils auraient dirigé pendant plus de deux ans des travaux de recherches sur ces dessins et peintures qui faisaient partie du « Fonds Peterzano », du nom du peintre Simone Peterzano chez qui le jeune Caravage a fait ses débuts artistiques.
Les deux experts comparent les oeuvres du château des Sforza, des dessins de jeunesse du Caravage selon eux, à des oeuvres adultes du peintres, pour accréditer leur thèse.
Dès l’annonce de la nouvelle, la municipalité de Milan, propriétaire du château des Sforza et du Fonds Peterzano, avait invité « à la prudence » dans l’attente d’une confirmation de l’attribution des œuvres.
Les doutes de la municipalité de Milan
"Nous serions très heureux d'avoir la confirmation que c'est vrai. Les modalités sont cependant étranges. Nous n'avons été informés de rien, nous découvrons tout à la veille de la sortie d'un ebook de deux experts qui ne sont pas venus récemment au château et c'est pourquoi nous invitons à la prudence", avait déclaré Elena Conenna, porte-parole pour la culture de la mairie de Milan.
"Les dessins ont toujours été à la même place, ils ne sont pas cachés, les Fonds Peterzano est accessible à tous et de nombreux experts viennent mais d'après nos informations, ces deux experts ne sont pas venus au cours des deux dernières années visiter le Fonds", a ajouté Elena Conenna.
Dans « Il Fatto Quotidiano », qui parle de « canular », l’historien de l’art Tomaso Montanari affirme que les deux experts sont « deux illustres inconnus des études caravagesques (et du monde historico-artistique en général) ». Il reproche aux médias de s’être emparés de l’affaire et de n’avoir pas fait leur travail de vérification.
Cette vidéo est publiée sur le site de Maurizio Bernardelli Curuz et Adriana Conconi Fedrigolli, où ils font la promotion de leur "découverte"
Le site de la découverte n'est pas sérieux, selon un historien
« Est-il possible qu’aucun journaliste ne se soit demandé pourquoi une telle “découverte” n’avait pas été publiée sur un revue de référence, réputée, mais sur deux ebooks d’Amazon ? », s’interroge l’historien. Il raille le site officiel de la « découverte », qui vante « une des découvertes les plus importantes » de l’histoire de l’art, se demandant qui peut prendre au sérieux un tel site. Le site fait d’ailleurs la promotion et permet d’acheter en ligne les deux volumes e-book intitulés « Giovane Caravaggio – Le cento opere ritrovate » (Le jeune Caravage, les cent œuvres retrouvées), volume I et II.
Tomaso Montanari déplore la quasi-mort du « journalisme historico-artistique », qui se « contente désormais de servir la soupe à l’occasion des grandes expositions ».
Une attribution "indéfendable", selon un responsable du Met
Quant au conservateur en chef du cabinet des dessins du musée communal de Milan, Claudio Salsi, cité par Libération, il n’a «jamais vu ou même entendu parler» des deux experts. «Ils ne sont jamais venus examiner les collections, qui sont pourtant ouvertes ; ils se sont contentés d’une demande de communication de documents photographiques, de prototypes dont Peterzano se servait dans l’atelier. Rien ne permet de les relier au Caravage», ajoute-t-il, en jugeant «cette attribution indéfendable».
Libération cite deux autres spécialistes : «C’est de l’invention totale», selon Jean-Patrice Marandel, qui doit accueillir à Los Angeles une exposition sur le caravagisme. Et le responsable de la peinture au Met de New York, Keith Christiansen, dénonce une «opération à grand spectacle».
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