Les femmes glaciales d'Helmut Newton
Le photographe de mode provocateur, mort en 2004, est à l'honneur au Grand Palais, à Paris, jusqu'au 17 juin. Au menu de ses clichés très léchés : "porno chic", luxe et croupion de poulet.
Photographe de la jet set et des nus provocants, l’inventeur du porno chic, qui prétendait ne pas être un "artiste", s’offre une exposition posthume au Grand Palais, à Paris, du 24 mars au 17 juin. Vous avez dit bling-bling ? Prudence. Derrière ses obsessions les plus visibles (le sexe, le luxe), Helmut Newton est aussi un expérimentateur infatigable et rigoureux, qui tire son inspiration de la peinture classique.
Ce dandy trash n’était pas à une contradiction près. Photographe de mode à qui l’on demandait de photographier des vêtements de marque, Helmut Newton a passé son temps à déshabiller ses modèles ! Et il est entré dans le monde des grands de la photographie par la petite porte.
Né à Berlin en 1920, Helmut Neustädter fuit l’Allemagne nazie en 1938, émigre en Australie et prend le pseudonyme d’Helmut Newton en 1946. Dans son premier studio, il gagne sa vie en réalisant des portraits et des photos de mariage. Mais c’est grâce à la mode qu’il commence à se faire un nom, notamment grâce à ses travaux pour le magazine Vogue. Sa première exposition n’a lieu qu’en 1975. C’est d’ailleurs pour qualifier l’une d’elles qu’est utilisée pour la première fois, en 1976, l’expression "porno chic".
Les décennies suivantes verront sa notoriété s’accroître : en 2000, pour ses 80 ans, une exposition monographique fait le tour du monde. L’exposition qui s'ouvre au Grand Palais est la première de cette envergure consacrée au photographe depuis sa mort brutale en 2004 (il est victime d’un accident cardiaque au volant de sa Cadillac). Elle regroupe 250 images, mais aussi des archives de presse (il a réalisé des milliers de photos de mode pour Vogue, Elle, Marie Claire…) et des images de films réunies par sa femme, June Newton (alias la photographe Alice Spring), qui a beaucoup aidé à organiser l’événement.
Un monde de dominatrices
Ce qui frappe, d’emblée, dans les photos d’Helmut Newton, c’est l’exhibition du corps féminin. Dans un studio photo, un intérieur bourgeois, en pleine rue… qu’importe, la femme est nue. Et les clichés sont souvent gentiment teinté d’un drôle de bric-à-brac SM : menottes, badine, corset.
L’artiste, qui affirmait avec provocation "adorer" la vulgarité, prétendait avoir en permanence dans son coffre de voiture des chaînes et des menottes pour ses photos. Mais aux fantasmes les plus vulgaires répond l’extrême sophistication des clichés : observez dans cette photo comme il découpe et redessine le corps féminin en l’emmaillotant façon bondage.
Newton a souvent été accusé de machisme. Mais la plupart du temps, dans ses photos, c’est la femme, omniprésente et dominatrice, qui contrôle l’univers qui l’entoure. Mieux, dans ce cliché tiré d’une série pour le magazine Stern, elle garde ses vêtements quand des bodybuilders placés autour d'elle sont dénudés et se ridiculisent en faisant les paons.
Travaillant d’abord essentiellement pour des magazines féminins, le photographe était aux premières loges pour accompagner l’émancipation féminine des années 1970. Les modèles qu’il présente sont indépendantes, actives, bref, libérées. Et, ce qui est alors révolutionnaire, elles peuvent choisir leur sexualité. Pour Yves Saint-Laurent, il shoote une femme dans un vêtement masculin, libre d’aimer une autre femme. Chez lui, finalement, l’homme n’est guère indispensable. L’artiste publiera d’ailleurs un ouvrage intitulé Un monde sans homme.
L’or et le noir
Familier de l’univers du luxe, de la mode, de la grande bourgeoisie, l’auteur fait le portrait de la jet set, du prince Albert de Monaco à Karl Lagerfeld, en passant par Elizabeth Taylor. Il photographie également nombre d’artistes. Qu’il mette Catherine Deneuve (presque) à nu...
... ou qu'il immortalise Dali aux portes de la mort (le peintre photographié en 1986 décède trois ans plus tard), il cherche à aller au plus profond des êtres, à les révéler au naturel.
Dandy, amoureux des belles choses et des choses chères, Helmut Newton n’est pourtant pas tendre avec le monde de l’argent. Il fait cohabiter les bijoux les plus éclatants… avec un croupion de poulet. Comme pour renvoyer l’élite à sa vulgarité et à sa vanité. On pense, en voyant ses photos, à la série Luxury, réalisée par l’anglais Martin Parr, qui passe les millionnaires au vitriol.
Autre source d’inspiration : l’univers de la nuit, du polar et des thrillers. Pour une photo de l’édition anglaise de Vogue, réalisée en 1967, il parodie même une des scènes mythiques du film La mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock. Etonnante transposition qui l’amène à lancer un mannequin endimanché dans une course folle avec un aéroplane.
Des photos composées comme des tableaux
Comment Helmut Newton a-t-il trouvé le temps (et l’argent) pour réaliser son œuvre ? Il volait quelques heures aux séances de travail consacrées au magazine pour ses projets personnels ! Comme le révèle un documentaire réalisé par sa femme, son mode opératoire est souvent le même. Il choisit, pour ses prises de vue, des sites qu’il connaît et qui sont tout près de chez lui (de sa résidence Saint-Roman à Monte-Carlo ou du château Marmont à Hollywood), car, explique-t-il, il trouve les lieux qu’il connaît intimement "plus mystérieux que les sites inconnus ou exotiques". Puis il passe de longues heures à travailler sur la lumière et la composition de l’image.
Conscientes ou non, ses photos regorgent de références à la peinture classique. Exemple ? Ce modèle presque nu (remarquez les talons) se contemplant pourrait être un clin d’œil à la Vénus au miroir (ou La toilette de Vénus), peinte par l’Espagnol Vélasquez en 1660. On y retrouve le même procédé, malin, qui permet de révéler la beauté du modèle à la fois de dos et de face.
Autre référence au peintre espagnol, cette image, découpée comme les célèbres Ménines. Miroir, ouverture sur l’extérieur (sur le côté droit), présence de l’artiste… tout y est. Sauf que ce n’est pas une naine qui nous fixe du regard, à droite, mais sa femme, June. L’image crée une mise en abyme. Qui est représentée finalement ? Le modèle ? L’artiste ? Ou est-ce nous, voyeur de la scène, dans la ligne de mire du photographe qui sommes pris pour cibles ?
Un expérimentateur débridé
Il est étonnant qu’un travail aussi ébouriffant soit né, la plupart du temps, dans le cadre d’exercices de styles contraignants liés à la photo de mode. C’est que l’artiste s’ingénie, justement, à mélanger les genres. Ses clichés pour la haute couture ressemblent parfois à de la photo de vacances, de la photo de charme ou de la photo volée ! "Une bonne photographie de mode doit ressembler à tout sauf à une photographie de mode", résumait-il.
Sur la forme, cet expérimentateur débridé tente presque tout. Il est l’un des premiers à présenter des polaroïds comme des œuvres à part entière. Il sature ses couleurs, tente des cadrages aventureux, se fait remarquer par ses photos de très grands formats (comme l’Américain Richard Avedon)… et passe même un talon aiguille aux rayons X !
• Pratique
Helmut Newton
24 mars au 17 juin
Grand Palais, Paris 8e
Entrée avenue Winston Churchill
Métro Franklin Roosevelt (ligne
• Ouvert tous les jours de 10h à 22h, sauf mardi
Tarifs : 8 euros / 11 euros
Tél. : 01 44 13 17 17
• A lire
Helmut Newton, collectif, éd. RMN, 256 p., 35 euros.
Petit, mais costaud. Le catalogue de l’exposition fait la part belle aux clichés de l’artiste, superbement reproduits. Peu de textes l'habillent, mais ils suffisent à pénétrer de manière intelligente dans l’univers sulfureux du photographe. A l’introduction synthétique de Jérôme Neutres, co-commissaire de l’exposition, s’ajoutent (et cela est rare) des textes d’écrivains : Pascal Bruckner et José Alvarez.
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