Au musée du Louvre, le tableau "Scènes des massacres de Scio" d'Eugène Delacroix s'offre une cure de jouvence
Plusieurs couches de vernis jauni par le temps ont été enlevées, révélant toute la splendeur de la palette du maître français.
Dans une salle rouge accueillant les chefs-d'œuvre de l'école romantique française, une grande toile a retrouvé sa place aux côtés de l'Officier de chasseurs à cheval de Géricault. Il s'agit de Scènes des massacres de Scio, d'Eugène Delacroix, une huile sur toile représentant les Grecs vaincus après une bataille face à l'armée turque. Les couleurs sont flamboyantes, les blancs lumineux. La toile détonne parmi ses congénères plus sombres. Ce grand tableau s'est récemment offert une cure de jouvence : plusieurs couches de vernis qui jaunissaient la toile ont été enlevées, redonnant à l'oeuvre tout son éclat.
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Avant et après restauration. Eugène Delacroix, Scènes des massacres de Scio. 1824. Salon de 1824. Huile sur toile. 419 × 354 cm. Musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Stéphane Maréchalle / Adrien Didierjean
C'est à la suite d'une grande exposition consacrée à Eugène Delacroix en 2018 que l'idée d'un nettoyage fait son chemin. L'événement offre l'occasion au musée d'effectuer des recherches sur le peintre et de "se réintérésser à la matérialité de ses œuvres", raconte Côme Fabre, conservateur spécialiste des peintures françaises du XIXe siècle au Louvre. "On s'est rendu compte à quel point de nombreuses toiles étaient couvertes d'un vernis qui déformait la palette de l'artiste", indique-t-il.
Scènes des massacres de Scio, une toile mesurant quatre mètres sur trois et datée de 1824, est la première peinture de Delacroix qui profite de ce projet. "Nous avons commencé par les Massacres de Scio car cette œuvre se situe au début de la carrière de Delacroix. D'autre part, c'est un tableau peu abîmé car il a été acquis par l'Etat juste après sa présentation au Salon de 1824", explique le conservateur. La toile ne demandait donc pas une restauration lourde.
Un passage au laboratoire
Avant d'être confié aux restaurateurs, le tableau passe par la case "laboratoire" où il est analysé aux infrarouges et rayons X. "C'est une sorte de dossier médical", compare la restauratrice Cinzia Pasquali, qui a travaillé sur l'œuvre. Une étape essentielle pour "bien comprendre la peinture avant de la manipuler", précise-t-elle. Une recherche en archive complète ces analyses. Elle permet de retracer l'histoire du tableau, ses restaurations antérieures, ses déplacements et les manipulations qu'ils impliquent.
On sait notamment qu'au milieu du XXe siècle le tableau Scènes des massacres de Scio a été évacué du Louvre "pour protéger le tableau des bombardements", retrace Côme Fabre. Cette manipulation serait à l'origine d'une déchirure située sur le coin inférieur gauche de la toile, près de la signature. Un dégât aujourd'hui invisible grâce au talent des restaurateurs.
Une palette "exceptionnelle"
Sorti du laboratoire, le tableau peut alors être nettoyé. Un travail de précision qui a mobilisé trois restaurateurs pendant quatre mois. Avec un mélange de solvants, les différentes couches de vernis sont ôtées sans que la couche picturale originale ne soit altérée. "Ce nettoyage a révélé la palette exceptionnelle de Delacroix", s'émerveille Cinzia Pasquali. Notamment "sa façon de travailler avec des touches de couleur pure juste apposées".
C'est en s'approchant que l'on peut admirer la technique du peintre, particulièrement sur les chairs des personnages. Elles sont réalisées avec des petits points de couleurs différentes. De loin, l'œil fait une synthèse, et nous renvoie une couleur unie "lumineuse et chatoyante", analyse la restauratrice.
Delacroix est un génie de la couleur – on le savait déjà - mais le nettoyage de cette peinture révèle sa technique dans toute son intelligence.
Cinzia Pasquali, restauratriceà franceinfo
Une fois nettoyé, le tableau est reverni. Des couleurs ont été ajoutées sur l'ancienne déchirure pour retrouver "une lisibilité d'ensemble", explique Cinzia Pasquali.
Et maintenant, à qui le tour ?
Au Louvre, des "dizaines" de toiles sont restaurées chaque année, avance Côme Fabre. Mais la toile Scènes des massacres de Scio se distingue par sa célébrité et surtout sa taille, ce qui a demandé une logistique particulière lors de la restauration.
D'autres tableaux suivront, nous explique Sébastien Allard, directeur du département peinture du Louvre. "On s'est lancés avec l'idée d'une campagne sur plusieurs années, qui nous permettra d'avancer petit à petit sur ces grands formats", développe-t-il. Le tout est orchestré avec un souci de cohérence : "dans un musée, les tableaux vivent les uns en rapport avec les autres. Quand on commence à alléger le vernis d'une toile, les autres, à côté, peuvent paraître un peu jaunes …", souffle Sébastien Allard. Après Delacroix, un autre tableau célèbre retrouvera bientôt sa salle d'exposition au terme d'une restauration : La belle jardinière de Raphaël.
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