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Vidéo Le Louvre lance une souscription publique pour un tableau de Chardin : "Sinon il partira vers un important musée américain", justifie la présidente du musée

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Article rédigé par franceinfo
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Le processus de sortie du territoire est encore bloqué pour 30 mois, explique Laurence des Cars qui parle d'une "petite course contre la montre". Tous les dons, même de quelques euros, sont bienvenus.

"C'est un merveilleux tableau, un chef-d'œuvre absolu de la peinture française", a vanté mercredi 8 novembre sur franceinfo Laurence des Cars, présidente-directrice du Musée du Louvre. Le Panier de fraises des bois, du peintre français Chardin a été vendu aux enchères à Drouot pour plus de 24 millions d'euros. "Nous avons bloqué le processus de sortie du territoire pour 30 mois encore. Il y a une petite course contre la montre", a-t-elle expliqué. Pour que le chef-d'œuvre de la peinture du XVIIIe siècle reste sur le territoire français, le musée en appelle à la générosité des Français. "On donne ce que l'on veut, ce que l'on peut si on est sensible au patrimoine. Même quelques euros. Il n'y a pas de petits dons", a encouragé Laurence des Cars. Les deux tiers de la somme ont été rassemblés, mais un dernier effort est demandé aux Français pour que le tableau de Chardin intègre les collections du Louvre. "Sinon, il partira vers un important musée américain qui s'était porté acquéreur au moment de la vente", a-t-elle expliqué.

franceinfo : Pouvez-vous nous décrire ce tableau ?

Laurence des Cars : C'est un petit tableau, mais c'est un merveilleux tableau, un chef-d'œuvre absolu de la peinture française. Il a été exposé pour la première fois au Louvre. C'était à l'exposition des artistes contemporains de l'époque, ce qu'on appelait "le Salon" en 1761. C'est un petit panier de fraises, sans doute des fraises des bois. Il y a un débat sur la nature des fraises. Puis, un verre d'eau, quelques œillets. C'est vraiment au fond la beauté des petits riens.

"C'est l'infinie grâce du talent de Chardin que de vous faire rêver devant ce panier de fraises."

Laurence des Cars, présidente-directrice du Musée du Louvre

à franceinfo

C'est un tableau sensuel, délicat, extrêmement élégant, géométrique dans sa composition, et au fond, presque pré-moderne. C'est un tableau qui a été beaucoup regardé au XIXe siècle par la génération de Manet, des impressionnistes. C'est comme un fil continu entre le XVIIIe et le XIXe siècle. C'est vraiment quelque chose qui est au cœur d'une sensibilité française de la peinture. Manet lui a rendu hommage, comme Renoir, comme Fantin-Latour. On retrouve, comme par hasard, dans les années 1860, beaucoup de petits paniers de fraises parce que ces artistes ont regardé le tableau de Chardin. C'était une référence.

Qui est propriétaire de ce tableau ?

Le tableau est resté dans une famille de collectionneurs qui le possédait au XIXe siècle. C'est la famille Eudoxe Marcille. Ils font partie de ces gens qui ont redécouvert et ont aimé la peinture du XVIIIe au XIXe siècle, alors que ce n'était pas tout à fait à la mode. Ce sont les descendants de la famille Marcille qui ont le tableau aujourd'hui. Le tableau est passé en vente, il y a un an et demi, à Drouot. Nous avons souhaité le classer "Trésor national". Nous avons bloqué le processus de sortie du territoire pour 30 mois encore. Il y a une petite course contre la montre. Nous avons décidé de faire de ce tableau l'opération "Tous mécènes". C'est une opération annuelle au Louvre, un appel au mécénat, à la générosité des Français. Nous avons reçu le soutien exceptionnel du groupe LVMH pour cette acquisition.

"C'est pratiquement maintenant plus de deux tiers de la somme qui sont d'ores et déjà arrivés. Il faut 24 300 000 euros et des poussières [au total]."

Laurence des Cars

à franceinfo

C'est un chiffre conséquent, mais c'est le chiffre au marteau. C'est ce qui permettra de garder ce tableau en France dans les collections du Louvre. Sinon, il partira vers un important musée américain qui s'était porté acquéreur au moment de la vente.

Tout le monde peut donner ?

On donne ce que l'on veut, ce que l'on peut si on est sensible au patrimoine. Même quelques euros. Il n'y a pas de petits dons. Ce qui est important, c'est de se rassembler. L'art nous rassemble, le patrimoine nous rassemble. C'est un merveilleux tableau d'un très grand artiste français. Ce sont les collections nationales. Ce n'est pas des collections parisiennes, ce sont des collections qui sont destinées à rayonner aussi sur l'ensemble du territoire. Ça ira par exemple au Louvre-Lens, mais sans doute au-delà dans d'autres musées en région. Le Louvre n'est pas un musée parisien, c'est un musée national qui doit partager ses collections.

Si on veut donner, même quelques euros, comment fait-on ?

On va sur le site tousmécènes.fr. Tout est expliqué. Ça donne d'ailleurs droit à une déduction fiscale, plus de 60%. C'est une opération de partage, de sensibilisation aussi, à ce qu'est une politique d'acquisition pour l'enrichissement des collections nationales.

Le Louvre a acquis un tableau de Cimabue, peintre florentin du XIIIe siècle. Ce tableau aurait pu terminer dans une poubelle. Racontez-nous son histoire ?

C'est une histoire extraordinaire. Il y a un peu plus de quatre ans, à l'occasion d'un déménagement dans une maison du côté de Senlis (Oise). La famille, propriétaire de cette œuvre, considérait ce tableau comme une icône sans grand intérêt et qui aurait pu effectivement finir à la poubelle. Il a été heureusement expertisé et identifié comme l'un des très rarissimes tableaux de la main de Cimabue. On en connaît une dizaine dans le monde aujourd'hui, dont celui-ci. Le Louvre a la chance de posséder de lui un très grand tableau de très grandes dimensions, une Maestà, Une Vierge en majesté. Cela a été un événement immédiat avec une vente aux enchères à nouveau, un peu dans le même schéma que le Chardin. Le ministre de la Culture de l'époque avait décidé de classer l'œuvre aussi trésor national. Il nous a fallu quatre ans pour assembler effectivement la somme qui est à peu près équivalente à celui du Chardin. Nous sommes exactement dans le même type de prix : 24 millions.

Vous avez un budget chaque année pour acheter des tableaux ?

20% de la billetterie est affectée statutairement aux acquisitions. Ce sont à peu près 12 millions par an. Ce sont des sommes importantes. J'ai mobilisé une partie de l'argent de la licence de marque du Louvre Abou Dhabi : 15 millions ont été mobilisés pour cette acquisition, mais aussi notre budget propre d'acquisition. Les Amis du Louvre ont été aussi au rendez-vous, et un couple de mécènes américains, Harry et Linda Fath. Je veux les saluer. Ils ont été très généreux en donnant un million de dollars pour cette acquisition.

Peut-on voir ce tableau aujourd'hui ?

Il va rentrer immédiatement en restauration. C'est un petit panneau, mais il sera présenté avec la grande Maestà dans une exposition événement début 2025. Vous allez tout comprendre de la révolution, des débuts de la pré-Renaissance, de la peinture italienne.

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