"Venus d'ailleurs" : histoires d'objets voyageurs qui font rêver, à la Petite galerie du Louvre
En matières précieuses comme l'ivoire ou le lapis lazuli ou des plus banals, les objets ont de tout temps circulé à travers le monde. Une petite exposition passionnante au Louvre raconte ces voyages et s'interroge sur leur sens (jusqu'au 4 juillet 2022).
Depuis toujours, les voyageurs ont rapporté des objets de lointaines contrées et ceux-ci ont circulé dans le monde sur des routes commerciales. Le Louvre présente une très jolie exposition sur les matières et les objets "venus de loin", s'interrogeant sur les sens multiples qu'on leur a accordés.
"Venus d'ailleurs, matériaux et objets voyageurs" est organisé dans le cadre du "Petit Louvre" : des expositions à visée pédagogique mais qui sont "absolument pour tout le monde", assure Philippe Malgouyres, conservateur en chef au département des objets d'art du Louvre et commissaire de l'exposition. En tout cas on en prend plein la vue et celle-ci est passionnante.
"On s'interroge sur le processus de migration des matériaux : pourquoi est-ce qu'on en a besoin ? Mais est-ce qu'on en a besoin vraiment ?", souligne Philippe Malgouyres.
Matières, du rationnel à l'imagination
D'abord, il y des matières qui peuvent être extraordinaires comme le lapis lazuli au bleu incroyable, avec un sceau ou une perle en forme de grenouille venus d'Irak. Il y a aussi le porphyre, pierre dans laquelle est sculpté un buste romain du 17e siècle. "Cette pierre rouge vient du désert égyptien, les Romains ont commencé à l'exploiter pour faire des décors, des colonnes, parce que la couleur était belle. Et ce rouge a été associé à la puissance impériale", raconte le commissaire.
Quand il n'a plus été possible de l'exploiter, le porphyre est devenu rare, et parce que c'était un matériau rare (on le récupérait tant qu'on pouvait), c'est devenu le nec plus ultra au 17e siècle. Philippe Malgouyres y voit "la contradiction entre la nécessité et le choix, entre le luxe et l'inutile, entre le rationnel et ce qui relève de l'imagination."
L'exposition n'entend pas parler d'explorateurs qui ont rapporté quelque chose qu'on ne connaissait pas. Mais "de montrer qu'il y a une part de choix qui relève de l'imagination", de montrer "qu'on a aimé surtout rêver sur ces matériaux".
Ivoire, la contrainte de la forme
Au-delà du matériau naturel lui-même, parfois extraordinaire comme la sardonyx, pierre dont on tire les camées et dans laquelle on voit déjà des dessins naturels, il y a l'utilisation qu'on en fait. L'exposition s'arrête sur le cas particulier de l'ivoire, un matériau qui impose des contraintes fortes, par sa forme arquée, sa taille et sa cavité. "On l'utilise pour son grain, pour sa beauté, mais on doit composer avec ces faits naturels", souligne Philippe Malgouyres.
Les sculpteurs, par exemple, se sont adaptés à la forme courbe de la défense d'éléphant. Pour Philippe Malgouyres, elle est même à l'origine du fameux hanchement (posture ou la hanche ressort) dans la sculpture gothique du 13e et 14e siècle. "Même des sculptures qui ne sont pas en ivoire adoptent ce caractère courbe que l'on trouvait gracieux et qui est vraiment inspiré par la forme de la défense."
On a des crucifix fabriqués par milliers par les Espagnols et les Portugais en Chine du sud sur des modèles européens, parce que, déjà, c'était moins cher de les produire là-bas, et dans lesquels on voit aussi la forme de la défense. Plus extraordinaire, un Saint Michel terrassant les démons, de la main d'un sculpteur germanique actif à Naples vers 1700, taillé extrêmement finement, suit aussi la forme de la défense, "pour montrer qu'il est fait dans un seul bloc".
Un tableau flamand réalisé en plumes par des Indiens du Mexique
On nous raconte l'histoire d'objets, pour comprendre, à partir de leur matière, de leur forme, de leur fonction, quel est leur sens. Par exemple, une aiguière en cristal est-elle surtout en cristal, surtout pour verser de l'eau ou surtout pour montrer qu'elle a appartenu à quelqu'un, se demande Philippe Malgouyre. "On essaie de sensibiliser à cette multitudes de significations qui sont très fluides entre elles."
Le plus bel exemple de l'exposition, peut-être, est un extraordinaire triptyque du musée d'Ecouen. Il a été réalisé au XVIe siècle, en plumes collées sur des panneaux de bois et assemblées comme de la mosaïque par des Indiens du Mexique, dans un séminaire créé par des franciscains. Ces religieux flamands avaient remarqué les vêtements décorés de plumes multicolores des indigènes et leur ont fait faire ces œuvres incroyables, "souvent à partir de gravures anversoises". Les plumes utilisées venaient du Honduras ou d'autres pays d'Amérique centrale.
Cette œuvre est faite "par des Indiens avec un matériau qui vient d'un autre endroit, à l'instigation de quelqu'un d'autre qui amène des éléments de sa propre culture et qui rend la chose reconnaissable", résume le commissaire, pour qui "dans l'objet exotique il y a souvent quelque chose que la culture qui va le reconnaître comme exotique reconnaît d'abord d'elle-même".
Des couverts en cristal inutilisables
On voit aussi d'étonnants couverts en cristal de roche sur une monture en or et rubis, produits pour les Portugais à Ceylan (Sri Lanka) au XVIe siècle, inutilisables compte tenu de leur fragilité. La fourchette est un couvert européen, et encore, à l'époque, elle est extrêmement nouvelle en Europe. "Ce qu'on fabrique, ce ne sont pas seulement des objets dans les matériaux de Ceylan, dans une technique qui existe à Ceylan, mais on fabrique l'objet le plus luxueux en Europe, le couvert. Et pourtant on ne peut pas s'en servir. L'objet, là, bien qu'il ait l'apparence d'être précieux, d'être exotique et d'être utilitaire, finalement rien ne rend compte de ce qu'il est parce qu'il est tout ça et peut-être autre chose en même temps."
On pourrait évoquer encore des couverts en ivoire que les Portugais faisaient produire en Sierra Leone, qui mêlent motifs africains et modèle gothique. Ou un "coui", demi-calebasse, objet des plus ordinaires dans la Caraïbe où il sert de récipient, avec une monture en argent doré et pierres précieuses réalisée en Allemagne à la fin du XVIe siècle, qui le rend extraordinaire.
Un beau voyage dans le temps et dans l'espace, à ne pas rater.
Venus d'ailleurs, matériaux et objets voyageurs
Musée du Louvre
Tous les jours sauf le mardi, 9h-18h
Tarifs : 17 € / 15 €, gratuit pour les moins de 26 ans citoyens de l'Union européenne
Du 22 septembre 2021 au 4 juillet 2022
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