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Marianne Mathieu, directrice scientifique du musée Marmottan Monet : "Chez nous, il n'y a rien de virtuel"

Au musée Marmottan Monet à Paris, l'exposition consacrée au peintre danois Peder Severin Krøyer est prête à accueillir le public. On n'attend que l'autorisation de rouvrir. Marianne Mathieu, la directrice scientifique du musée, revient pour nous sur une année particulière où malgré les difficultés, de nombreux projets concrets ont pu être menés à bien.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Marianne Mathieu, la directrice scientifique du Musée Marmottan Monet à la National Gallery of Australia de Canberra (6 juin 2019) (XINHUA VIA MAXPPP)

Sur le site du Musée Marmottan Monet, on est accueilli par une vidéo pleine page : "Nous pensons à vous", entend-on, sur des images qui montrent l'accrochage de l'exposition du peintre danois Peder Severin Krøyer (1851-1909), jamais montré en France. On y voit de nombreuses personnes qui s'activent, ouvrent des caisses, peignent des murs, percent... L'ouverture était prévue pour le 28 janvier. L'exposition est prête. Mais le confinement des musées continue et on devra attendre qu'ils soient autorisés à accueillir le public.

Malgré les circonstances, le musée Marmottan veut rester dans le concret. "Chez nous, il n'y a rien de virtuel" : Marianne Mathieu, la directrice scientifique du musée, y tient : "On est là, on est présents, et la problématique qui a été la nôtre depuis le début de la crise est, nonobstant la situation, comment faire que les projets adviennent coûte que coûte. Concrètement, nous nous adaptons chaque jour, échangeons sans interruption avec nos collègues des autres musées, travaillons main dans la main pour adapter et ajuster nos programmations."

"Un rapport à l'espace et au temps différent"

L'exposition Cézanne et les maîtres, rêve d'Italie qui avait commencé fin février 2020 au musée a été prolongée (elle devait se poursuivre jusqu'au 3 janvier 2021). "Nous avons compris dès le premier confinement, que notre rapport à l'espace et au temps serait très différent. Pour que cette exposition, particulièrement difficile à produire, puisqu’elle réunissait 63 œuvres pour 42 prêteurs, il nous fallait la prolonger. Nous ne pouvions renoncer à partager l’opportunité unique de découvrir des associations inédites (Cezanne dialoguant avec Tintoret, Le Greco, Poussin, Morandi ou encore Sovicci). Grâce à la solidarité entre les musées, et à la générosité des collectionneurs privés, l'exposition a, chose exceptionnelle, pu être prolongée de six mois."

Il y a eu, bien sûr, pendant le confinement, une présence sur les réseaux sociaux, avec notamment de petites vidéos, "pour rester en lien et se ressourcer à travers la peinture" : une série Rêvons avec qui explorait les œuvres de la collection, une autre, Zoomons avec, pour essayer de toucher la peinture des yeux et voir comment l'artiste la réalise. Mais surtout, "nous avons cherché à conserver une présence concrète et adaptée", assure Marianne Mathieu.

Monet à Gênes et à Shanghai

Le musée Marmottan, qui a régulièrement des expositions à l'étranger, a organisé des événements en Italie et en Chine, dès que ça a été possible. A Gênes, une formule inédite a été imaginée, tout l'été, adaptée à la distanciation sociale : "Cinq minutes avec Monet", au Palazzo Ducale, proposait un tête-à-tête de cinq minutes, seul avec un Nymphéa provenant des collections du musée, en silence, en musique ou à la lecture d'une lettre de Monet.

Impromptue aussi, imaginée pendant le confinement, une exposition exceptionnelle a été organisée du 17 septembre au 3 janvier au Bund One Art Museum de Shanghai, qui confrontait Monet à deux peintres contemporains, Vicky Colombet et Gérard Fromanger. Pour l'occasion, Impression soleil levant a fait son premier voyage en Chine, accompagné de huit autres toiles du maître de l'impressionnisme. "On a perçu que la situation en Chine évoluait différemment. On a eu de longues discussions avec le poste diplomatique et on a fait le pari ensemble d'imaginer quelque chose qui n'était possible que dans cette période de Covid", raconte Marianne Mathieu.

"L'exposition a reçu plus de 110 000 visiteurs et une visite virtuelle a été suive par 5,5 millions de personnes", raconte la directrice scientifique du musée Marmottan, qui se réjouit de l'enthousiasme et de la jeunesse du public chinois.

Peder Severin Krøyer, patrimoine national en Suède

Une autre exposition était organisée à Bologne, au Palazzo Albergati, sur Monet et les impressionnistes. Celle-ci était déjà prévue, mais elle a été prolongée, "en raison des nouvelles contraintes telles que les jauges et les risques de fermeture ". Les musées italiens, un temps fermés, ont rouvert le 1er février en semaine et l'exposition se terminera le 21.

Et puis donc, l'exposition L'heure bleue de Peder Severin Krøyer, qui était prévue pour le 28 janvier à Marmottan même, est prête à accueillir le public. Le peintre danois est peu connu en France mais ses œuvres "sont considérées comme un patrimoine national inestimable" dans son pays et en Suède. L'heure bleue, c'est un phénomène climatique particulier aux pays du Nord, une teinte et une lumière qui apparaissent à l'horizon au crépuscule. L'exposition est consacrée aux peintures de plein air réalisées par Krøyer à Skagen, tout au nord du Jutland, où une colonie d'artistes se retrouvait.

Cette exposition, comme les autres, a été rendue possible "grâce au soutien du musée de Skagen, des musées et des autorités danoises. Le parrainage de la reine Margareth II a dans ce cadre un rôle clé", souligne Marianne Mathieu. Quand la directrice scientifique du musée Marmottan et le commissaire de l'exposition Dominique Lobstein, ont voulu voir Skagen et l'heure bleue à la Saint Jean, le moment où le phénomène est le plus beau, les frontières étaient fermées, on ne pouvait pas voyager au Danemark. "Nous avons obtenu une autorisation spéciale pour ce voyage qui été jugé comme absolument nécessaire par les autorités danoises", raconte Marianne Mathieu : "Nous avons travaillé main dans la main avec le poste diplomatique, qui a accordé une extrême attention à notre projet".

"Nous vous attendons"

Et puis la collaboration avec les musées danois et suédois a été particulièrement étroite. "Pour faire venir autant de chefs-d'œuvre d'un artiste comme Peder Severin Krøyer, faire voyager ces icônes nationales, il fallait un projet d'envergure nationale. Nous l'avons construit ensemble." Marianne Mathieu évoque ce partenariat scientifique étroit qui permet de croiser les sources (Krøyer a vécu en France). Et une exposition sera organisée par le musée Marmottan en 2022 à Skagen.

Évidemment, "financièrement, c'est très compliqué", concède-t-elle : "Le musée Marmottan, propriété de l'Académie des Beaux-Arts, s'autofinance à 100% et la perte en billetterie a un impact réel. Nous pensions que 2020 serait une année de parenthèse, nous avons tout de même initié de nouveaux projets et en sommes très heureux. Nous espérons pour 2021 des ouvertures, même partielles, avant un retour vers la normale. Nous ferons le bilan plus tard mais c'est clairement difficile."

"En 2020 le musée Marmottan a non seulement pérennisé sa programmation, mais également organisé davantage d’expositions que nous n’en avions prévu, ainsi que des événements supplémentaires, grâce à un travail et à un investissement décuplés", constate Marianne Mathieu. Elle nous l'assure : "Nous vous attendons et nous sommes prêts." La difficulté, comme pour tout le monde, "c'est l'absence de visibilité".

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