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Matisse, le meilleur du meilleur au Centre Pompidou

Le maître a repris, durant toute sa carrière, les mêmes thèmes. L’exposition "Paires et séries" donne à comprendre cette quête de perfection à travers une soixantaine de chefs d’œuvre parfois quasi identiques.

Article rédigé par Pierre Morestin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Henri Matisse, "Nature morte au magnolia", Nice, Hôtel Régina, août-octobre 1941. (SUCCESSION H. MATISSE)

Matisse est l'un des grands peintres qui ont marqué le XXe siècle. Pourquoi ? Comment ? L’exposition présentée au Centre Pompidou jusqu'au 18 juin, consacrée aux paires et séries de l’artiste, donne des éléments de réponse en présentant une soixantaine de toiles. Parmi elles, plusieurs chefs d’œuvre réunis pour l’occasion et parfois quasiment identiques. "Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage", conseillait le poète Nicolas Boileau aux écrivains. Matisse, lui, reprend inlassablement les mêmes thèmes dans une recherche de perfection qui confine parfois à l’obsession.

D’Henri Matisse (1869-1954), on connaît en général au moins trois ou quatre œuvres : ses papiers découpés, par exemple, ou La Danse. Eh bien saviez-vous que ce tableau, conservé au musée de l’Hermitage, à Saint-Pétersbourg (Russie), a des petits frères ? Une étude poussée de l’œuvre est conservée au MoMa, à New York. Et surtout, la farandole des danseurs nus apparaît comme élément de décor dans de nombreuses toiles réalisées par la suite, comme celle-ci.

Henri Matisse, "Capucines à La Danse I", Issy-les-Moulineaux, printemps-début été 1912. (SUCCESSION H. MATISSE)

Certes, le principe des séries de peintures reprenant un même thème n’est pas nouveau. Il n’y a qu’à penser aux dizaines de Nymphéas réalisées par Monet. Mais ce qui surprend chez Matisse, c’est la profusion de ce type d’exercices et leur subtilité. Lorsqu’on se penche sur le travail du peintre, on s’aperçoit qu’il a produit des toiles parfois presque semblables.

Presque. La nuance est importante, car il ne réalise pas de simples copies : en changeant de cadre ou de point de vue, en supprimant des détails, il cherche à bonifier ses œuvres, et parfois à leur donner un sens nouveau. Un travail de longue haleine, même si les apparences sont trompeuses. Entre les deux tableaux ci-dessous, qui visent à résumer à leur plus simple expression la forme et les motifs d’une blouse blanche, il y a plus de sept mois de travail et de nombreuses ébauches immortalisées par des photos. L’œuvre qui paraît la plus simple est parfois celle qui prend le plus de temps à réaliser !

(A gauche) Henri Matisse, "La Blouse roumaine", Nice, Hôtel Régina, novembre 1939-avril 1940. (A droite) Henri Matisse, "Le Rêve", Nice, Hôtel Régina, 1940. (SUCCESSION H. MATISSE)

Mettre tout à plat

C’est vers 1906 que, pour la première fois, Matisse commence à réaliser de manière méthodique des paires de grands tableaux reprenant les mêmes motifs. L’un des exemples les plus marquants ? Le Luxe I et II.

(A gauche) Henri Matisse, "Le Luxe I", Collioure, été 1907. (A droite) Henri Matisse, "Le Luxe II", Paris, hiver 1907. (SUCCESSION H. MATISSE)

Prenez le temps d’observer les toiles. Une idole monumentale (Vénus ?) à qui l’on tend des fleurs en offrande, un paysage idyllique (la côte de Collioure ou le golf de Saint-Tropez)… Matisse reprend un sujet qu’il affectionne : le bonheur de vivre. La différence entre les deux œuvres ? La première est traitée en volume et présente des dégradés de couleur dont la technique rappelle Cézanne, que Matisse admirait.

La seconde toile, quant à elle, est traitée en aplats, des couches de couleur uniformes. Pourquoi ce double regard ? Entre ces deux réalisations, Matisse a voyagé en Toscane, où il a beaucoup observé les artistes de la Renaissance italienne. Il a ainsi pu réinterpréter son œuvre en s’inspirant des fresques dépouillées de Giotto. La technique qu’il choisit, la détrempe, est d’ailleurs souvent utilisée pour des peintures murales. Et remarquez que dans la toile de Matisse, la perspective a disparu : tous les éléments semblent être "posés" sur un même plan vertical. Or, si Giotto est l’un des premiers artistes italiens à utiliser la perspective, sa technique est encore balbutiante.

Répondre à ses adversaires

Autre paire d’œuvres particulièrement intéressante, ces deux visions de Notre-Dame de Paris.

(A gauche) Henri Matisse, "Notre-Dame", Paris, quai Saint-Michel, printemps 1914. (A droite) Henri Matisse, "Vue de Notre-Dame", Paris, quai Saint-Michel, printemps 1914. (SUCCESSION H. MATISSE)

Ici, l’interprétation se révèle radicalement différente. La première toile représente une vue sympathique du monument parisien, presque une carte postale. Palette claire et gaie, vue en plongée ayant l’avantage de montrer la Seine, bâtiments reconnaissables sagement cernés par des contours noirs, ciel dégagé… Matisse peint un Paris joyeux et plein de vie. Remarquez même des détails très anecdotiques : les passants, l’omnibus.

La seconde toile n’a rien à voir… ou presque. A première vue, on pourrait penser qu’il s’agit d’une abstraction tant les formes sont schématisées. Et puis, on reconnaît un arbre, dans la tache verte. Et près de lui, la silhouette simplifiée à l’extrême de Notre-Dame. Autour ? Un fond bleu nuit parcouru de lignes qui reprennent les contours du pont et des quais du premier tableau. Pourquoi un tel revirement ? L’artiste a réalisé ces deux compositions en 1914, période durant laquelle le cubisme (né en 1907) compte de plus en plus de partisans et où la peinture "décorative" de Matisse se voit de plus en plus décriée. En montrant qu’il n’est pas seulement capable de livrer une vision harmonieuse du monde mais qu’il peut lui aussi, à sa façon, le résumer à quelques lignes géométriques, le maître inflige un camouflet à ses détracteurs !

Prendre du recul

Dernier duo passionnant à décortiquer : une vue élargie, puis plus resserrée, sur un intérieur comportant un bocal.

(A gauche) Henri Matisse, "Intérieur, bocal de poissons rouges", Paris, quai Saint-Michel, printemps 1914. (A droite) Henri Matisse, "Poissons rouges et palette", Paris, quai Saint-Michel, hiver 1914-1915. (SUCCESSION H. MATISSE)

Paradoxalement, c’est en zoomant sur la toile que l’artiste prend du recul sur lui-même et sa peinture ! Un peu comme l’exemple précédent, on retrouve le contraste entre une œuvre très descriptive et son pendant plus schématisé. Une certaine mélancolie se dégage de la première. Est-ce à cause de la lumière du soir qui baigne le tableau et laisse deviner la façade de la préfecture de police de Paris ? Est-ce parce que, comme les poissons rouges, nous sommes séparés du monde par une surface vitrée, celle de la fenêtre ? Est-ce encore parce que, voyant à travers le regard du peintre, nous remarquons notre présence résumée à une toute petite ombre, en bas à droite de la toile ? Toujours est-il que l’œuvre montre un lieu reconnaissable à un moment précis.

Au contraire, Poissons rouges et palette abolit les repères spatiaux et temporels. Seuls le bocal et la rambarde restent immédiatement reconnaissables. Pourtant, le titre donne une indication importante : il évoque une palette. En vérité, le peintre s’est représenté de façon extrêmement schématique en train de peindre. Lignes droites, ratures, biffures composent un étonnant autoportrait : comme s’il essayait de se représenter alors que son attention est focalisée sur autre chose. Le peintre présent… et absent. Ainsi, tandis que le premier tableau est avant tout un regard porté sur le monde qui l’entoure, le second consiste en une méditation sur l’image que l'artiste se fait de lui-même.

• "Matisse, paires et séries"

Au Centre Pompidou
Du 7 mars au 18 juin
De 11 heures à 21 heures (sauf mardi). Jusqu'à 23 heures le jeudi.
9 / 13 euros
Tél. : 01 44 78 12 33

• A lire

Au catalogue, un peu pointu, nous préférons le petit Découvertes Gallimard, un bon ouvrage généraliste rédigé par Xavier Girard, qui a réalisé plusieurs expositions autour de l’artiste. L’auteur y évoque notamment la biographie de Matisse. Le peintre, prolixe lorsqu’il s’agissait de sa peinture, était avare de détails sur sa vie privée.

Matisse, une splendeur inouïe, de Xavier Girard, Découvertes Gallimard, 176 p., 14,60 euros.

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