"Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre" au musée Guimet à Paris : l'exposition qui donne à voir l'approche préventive et holistique des médecines indienne, tibétaine et extrême-orientale
C'est dans un espace tamisé – un impératif pour la conservation de certaines œuvres – et feutré que se dévoilent trois pratiques médicales, qui ont en commun leur approche holistique au musée national des arts asiatiques - Guimet, à Paris, hôte jusqu'au 18 septembre de l'exposition Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre". La médecine indienne – Ayurveda –, la médecine tibétaine (du monde himalayen plus généralement) et la médecine extrême-orientale (Chine, Japon et Corée) sont en dialogue pour attester d'une philosophie médicale consacrant le duo formé par le corps et l'esprit. Une singularité comparée à la pratique occidentale.
Corps et esprit irrigués par des flux énergétiques
"En Asie, et c'est commun à l'Extrême-Orient et au monde indien, le corps est vraiment considéré comme étant en harmonie avec la nature et ne pouvant vivre qu'en harmonie avec elle", explique l'orientaliste Aurélie Samuel, commissaire générale de l'exposition. "Même si aujourd'hui le bouddhisme est presque inexistant en Inde, poursuit-elle, tous ces pays ont majoritairement une culture bouddhique et dans le bouddhisme, il y a aussi l'idée de cette corrélation entre le corps et l'esprit. C'est une médecine qui est vraiment holistique, qui ne se conçoit que du corps et de l'esprit, et pour pouvoir faire ce lien entre les deux, il n'y a qu'une seule manière : c'est la circulation de la respiration, du souffle et donc des énergies. Toute cette réflexion, autour de la nature et de la conception bouddhique, a amené ces différents pays à concevoir le corps comme un flux énergétique qui doit être équilibré, et lorsque la maladie survient, c'est parce qu'il y a un blocage dans cette circulation énergétique". La commissaire note par ailleurs que ces médecines sont celles du "temps long". "En Asie, précise Aurélie Samuel, on considère que le temps est notre allié et (qu'on peut) laisser son corps évoluer, laisser la douleur évoluer dans son propre corps jusqu'à ce qu'elle trouve son propre chemin." grâce, entre autres, à l'aide des plantes.
Au total, quelque 300 œuvres "du début de notre ère jusqu’à nos jours" ont été réunies grâce à "25 prêteurs" et elles couvrent "toute l’Asie : de l’Inde au Japon en passant par la Thaïlande, le Cambodge, le Sri Lanka, le Vietnam, le Népal et le Tibet". "Quand j'ai eu l'idée de cette exposition, se souvient Aurélie Samuel, je me suis demandé s'il y avait matière à faire une exposition et je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup d'œuvres qui pouvaient effectivement être liées à la médecine, indépendamment de tous les ustensiles, de l'art utilitaire produit pour la médecine".
Douze indispensables canaux
Ainsi, "la première exposition majeure consacrée en France" à ces trois traditions médicales asiatiques démarre par une première escale dont le but est de se familiariser avec les fondamentaux de chacune d'elles. L'Ayurveda, "dont le nom en sanskrit signifie littéralement savoir (veda) pour prolonger la durée de vie (ayus) est plus qu’une médecine", se pratique en Inde et plus généralement en Asie du Sud-Est. "En Chine, en Corée et au Japon, le bon médecin n’est pas celui qui a vaincu la maladie, mais plutôt celui qui réussit à éviter que son patient ne tombe malade", apprend le visiteur. La santé se concevant dans cette médecine extrême-orientale inspirée par les pratiques chinoises "comme le maintien d’un flux régulier et équilibré de sang et de qi (souffle vital) qui se propagent sans obstacle dans les canaux", à savoir les 12 méridiens représentés dans le croquis d'un corps humain presque grandeur nature. Un surprenant dispositif vidéo matérialise d'ailleurs cette circulation "des flux énergétiques et vitaux dans le corps humain".
Au centre de cette première escale, la médecine tibétaine assure comme une convergence. Elle "se singularise par de multiples emprunts étrangers, surtout indiens (notamment la théorie ayurvédique des humeurs), mais aussi chinois (certaines pratiques de diagnostic, telle la prise du pouls)". En outre, la pratique médicale au Tibet acte une approche commune à toutes ces médecines : "rester en bonne santé ou guérir [relève] autant de la religion que de la science médicale". En d'autres termes, "pour le soignant (menpa, 'personne connaissant les remèdes') comme pour le patient, la médecine a toujours coexisté avec d’autres pratiques thérapeutiques, empiriques ou magico-religieuses, susceptibles d’offrir un recours contre la maladie". Le Bouddha de médecine, visible dans l'espace réserve aux divinités "médicales" et qui se distingue du Bouddha traditionnel grâce à un petit bol dans lequel il est censé préparer les remèdes, est celui qu'on invoque dans la maladie.
Âme à soigner
Fort de toutes ces informations, le visiteur aborde la deuxième étape, les techniques de diagnostic et les remèdes mis à la disposition des patients. Le visiteur découvre alors une impressionnante pharmacopée, où végétaux et animaux, sont mis à contribution. Un meuble, à la fois beau et imposant, trône dans cette pièce : ce n'est autre qu'une armoire à pharmacie chinoise.
Après son diagnostic, qui s'appuie sur la prise du pouls, la panoplie du soignant comprend en Chine "la stimulation par la chaleur (moxibustion) ou la mise en place de fines aiguilles (acupuncture)", une pratique plus connue en Occident. Massage – parfois sur une table en bois qui ne semble pas très confortable –, yoga et méditation – le visiteur peut s'exercer sous la direction de Matthieu Ricard, chercheur et moine bouddhiste, et sous l'œil d'un magnifique Bouddha géant –, participent également à soigner la maladie. Si le mal persiste en dépit de tous ces soins prodigués au corps, c'est vers l'âme que l'on se tournera pour en venir à bout.
C'est le propos de la troisième escale de l'exposition. "Le lien intime existant entre divin et médecine dans la prévention contre les maladies se développe ici en un dialogue entre santé et magie", lit-on à l'entame du parcours. Ainsi pour le malade, le médecin succède à l'exorciste après un passage chez l'astrologue pour s'assurer d'un jour favorable à une éventuelle cérémonie. Ainsi "astrologie, charmes et rituels, amulettes et vêtements talismaniques sont autant de moyens permettant de lutter contre les indicibles affections de l’âme". Deux alcôves sont dédiées à l'exorcisme et au chamanisme, important dans la tradition coréenne. Le chamane y étant "à la fois [le] lien entre l'homme et la nature mais aussi entre le monde des vivants et celui des esprits".
Échanges fructueux
La dernière escale de Médecines d'Asie illustre le dialogue entre ces médecines asiatiques et les pratiques occidentales. Elles pourraient paraître irréconciliables compte tenu de la faible ou relative incidence du spirituel dans la médecine en Occident, mais elles sont en dialogue depuis des siècles. "Un mannequin d’acupuncture japonais ramené en Europe au 17e siècle" et "un rouleau peint japonais, déployé sur huit mètres de long, illustrent la dissection scientifique d’un condamné à mort, dévoilant le désir d’analyse et de compréhension manifesté par l’Orient à l’égard de l’approche de la médecine occidentale", lit le visiteur. Une médecine qui s'inspire aujourd'hui des pratiques asiatiques. "L'acupuncture peut aider à supporter les effets indésirables de la chimiothérapie, à mieux récupérer", rappelle Aurélie Samuel. Tout comme, "des études dans beaucoup d'hôpitaux universitaires montrent que la méditation est une aide précieuse pour gérer la douleur".
Médecines d'Asie est une exposition, évidemment technique mais accessible d'autant qu'elle peut aussi s'envisager comme une thérapie. "Comment ne pas penser aujourd’hui, face aux dérèglements du monde, que les musées et leurs acteurs peuvent jouer un rôle dans le bien-être des gens ? Visiter une exposition, consacrer pleinement un temps à la contemplation d’œuvres d’art, n’est-ce pas là une forme de thérapie ?", note Yannick Lintz, la présidente du musée Guimet. D'autant que les œuvres en question ont été sollicitées dans ce but sous d'autres cieux.
"Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre"
Jusqu'au 18 septembre 2023
Musée national des arts asiatiques – Guimet
6, place d’Iéna 75116 Paris
Tarif unique pour les collections permanentes et les expositions temporaires : 11,50 € (plein), 8,50 € (réduit).
Seconde visite gratuite dans les 14 jours qui suivent la date d’achat du billet.
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