Moriyama et Tomatsu, deux photographes japonais passionnés par Tokyo exposent à la Maison Européenne de la photo
Le centre parisien consacre ses deux étages d’exposition aux rétrospectives des grands photographes japonais du XXe siècle Shomei Tomatsu et Daido Moriyama. Ils traitent dans leurs œuvres de thématiques communes mais de façons très différentes, parfois expérimentales, toujours avec beaucoup d'émotions.
Shomei Tomatsu et Daido Moriyama ont tous les deux été passionnés par Tokyo, ses habitants, ses rues et son quotidien et ont passé des années à arpenter les quartiers japonais, appareil au poing. Leurs œuvres, à retrouver à la Maison européenne de la Photographie (MEP) dans l'exposition "Moriyama - Tomatsu : Tokyo", ont beaucoup de points communs mais proposent des visions très distinctes de la vie à Tokyo.
Cette exposition a été imaginée par les photographes eux-mêmes mais n’a jamais pu voir le jour suite au décès de Shomei Tomatsu en 2012. La MEP a donc poursuivi ce projet pour en faire cette belle double rétrospective avec plus de 400 œuvres des années 1950 à nos jours. Shomei Tomatsu commence à photographier la vie de Tokyo en 1954 et ne s’arrêtera jamais de le faire. 140 de ses œuvres sont installées au deuxième étage de la MEP (celles de Moriyama sont au troisième), de taille moyenne, entourées de cadres blancs et sur un fond bleu ciel.
Tomatsu et le peuple
L’empathie de Shomei Tomatsu pour les habitants de Tokyo transparait dès la première salle de l’exposition. Dans les années 50 d’après-guerre, le photographe immortalise des chômeurs, des parieurs... et les difficultés du quotidien. Il devient ensuite obsédé par les conséquences de l’occupation américaine dans son pays. Il photographie des soldats américains, des bases militaires et s’intéresse au mélange des deux cultures, ce qui donnera une série produite pendant 20 ans, Chewing Gum and Chocolate.
Dans sa série Protest, en 1969, Tomatsu suit les manifestations des étudiants, les affrontements avec la police et les photographie d’une façon très particulière, presque abstraite. Les figures sont parfois solitaires et floues, et les mouvements sont mis en valeur dans les rues de Shinjuku, un quartier de Tokyo. Le photographe a passé beaucoup de temps dans ce quartier et en a même tiré un ouvrage, Oh ! Shinjuku, où il se concentre sur la contre-culture japonaise et la vie nocturne des artistes, activistes et marginaux.
Tomatsu et la ville
Tomatsu est passionné par la ville de Tokyo, et pas seulement par ses habitants. Avec la série La peau de la ville, il bouscule les codes photographiques documentaires avec des perspectives originales et de nouvelles façons de cadrer. La réalité devient presque abstraite. Il consacre toute une série à l’asphalte des rues, qu’il voit comme la peau de la ville : des zooms sur des déchets ou des bouts de métal incrustés dans le sol qui ressemblent à “des galaxies” pour le photographe. “C’est en adoptant un regard de chien errant que ces petits détails, dont je n’avais pas vraiment conscience, me sont devenus tout à fait familiers” détaille l’artiste.
Shomei Tomatsu aime sa ville et devient de plus en plus critique du développement urbain et de ses conséquences écologiques désastreuses (en particulier pendant les Jeux Olympiques en 1964). Il dénonce les dommages de cette urbanisation dans ses photos qui, de plus en plus, sont en couleurs.
Tomatsu mentor de Moriyama
Moriyama arrive à Tokyo en 1961 et intègre l’agence VIVO, qui regroupe les plus grands photographes japonais de l’époque, dont Tomatsu. Le jeune homme de 23 ans voit dans l'œuvre de son aîné l’incarnation d’une nouvelle photographie et le bouleversement de la pratique documentaire. Les deux photographes se rapprochent et Tomatsu l’encourage dans ses travaux.
Dans la rétrospective de Daido Moriyama, au troisième étage, chaque pièce est visuellement très forte. Les premières salles sont sombres avec des murs bleus foncés, des cadres noirs et des spots lumineux qui mettent en valeur les photographies, magnifiques, en noir et blanc. Des salles blanches accueillent ensuite des polaroïds de Tokyo et des petits autoportraits. Une dernière salle est recouverte de motifs et de couleurs, les photos sont encadrées mais aussi en grand format sur les murs. Avec la série Pretty Woman de 2016, il explique aimer “le côté vulgaire et trivial de la couleur” et confie que “(mon) sujet c’est la ville. Il suffit de cligner des yeux pour voir le monde autrement. C'est mon message." "J’ai envie de dire aux gens de regarder, que la ville est remplie de trésors cachés” partage-t-il dans un entretien avec Alexis Fabry et Leanne Sacramone en 2016.
Moriyama, un travail éclectique
Cette rétrospective montre à quel point l’œuvre de Daido Moriyama est diverse et éclectique. Il part à la rencontre d’une troupe de théâtre itinérante, d’artistes de rue, et se rend dans des strip clubs. Il photographie l’érotisme et la sensualité dans la série Provoke en 1969. Comme Tomatsu, il est fasciné par la figure de l’outsider. Le quartier de Shinjuku est d’ailleurs pour lui aussi un lieu de prédilection.
En 1977, il s’inspire de ses trajets quotidiens entre Tokyo et la cité-dortoir Zushi pour faire la série Platform où il immortalise le moment banal et insolite de l'attente du train. Quelques années plus tôt, à 25 ans, il produit une de ses séries les plus surprenantes, Pantomime : des photos de fœtus stockés dans du formol. Il confie : “mes photos reflètent mon incapacité à trouver une issue ou même un point de départ.”
Moriyama, une œuvre expérimentale
Le photographe japonais n’a cessé de questionner son art, d’expérimenter de nouvelles techniques et de laisser place à sa curiosité sans faille. En 1968, il s’inspire des sérigraphies d’Andy Warhol et utilise des encres noires profondes dans la série Scandalous. Dans Monochrome, entre 2008 et 2012, il convertit certaines de ses photos couleurs en noir et blanc, et crée des contrastes qui aspire le regard d'une façon saisissante.
Dans la série Tights (collant), il répète un même motif à l’infini. La lumière est crue, le cadrage serré, et l’œil se perd dans ce labyrinthe de coutures noires. Il continue d’explorer les limites de la photographie avec le livre Farewell Photography en 1972, où il récupère dans des poubelles des instantanés et des images de négatifs. Les clichés sont flous, tâchés, le grain est très présent... Moriyama explique avoir voulu “aller au bout de la photographie”.
Moriyama – Tomatsu : Tokyo, Maison européenne de la Photographie (MEP) Jusqu’au 24 octobre 2021, Tarifs : 10 / 6 euros.
Du mercredi au vendredi de 11h à 20h. Samedi et dimanche de 10h à 20h
5-7 rue de Fourcy, 75004, Paris
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