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Les années les plus intenses de Léon Spilliaert, virtuose de l'encre, au musée d'Orsay

Intérieurs inquiétants, autoportraits hallucinés, vues nocturnes de la mer du Nord et d'Ostende : le musée d'Orsay expose le meilleur de l'artiste belge Léon Spilliaert, virtuose de l'encre de Chine.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Léon Spilliaert, à gauche "Autoportrait aux masques", 1903 Paris, musée d'Orsay, conservé au département des Arts Graphiques du musée du Louvre - à droite "Paysage nocturne. Dune et mer déchainée", 1900 Bruxelles, Bibliothèque royale KBR – Cabinet des Estampes  (A gauche, © RMN -Grand Palais (Musée d'Orsay) / Thierry Le Mage)

Léon Spilliaert (1881-1946), ses autoportraits hallucinés et ses vues marines d'Ostende, sombres et minimalistes, n'avaient pas été montrées en France depuis l'exposition du musée galerie de la Seita en 1997 et celle de Douai en 2003. Il ne faut pas rater la petite exposition du musée d'Orsay, qui revient sur les vingt premières années de création, les plus intenses et radicales, de l'artiste belge inclassable (jusqu'au 10 janvier 2021).

"Ce n'est pas une rétrospective, c'est vraiment un parti pris" d'exposer "ses premières décennies de création, jusqu'en 1919, où il a vraiment une note sombre et grave, un ton assez angoissé, dominé par le noir et ses liens avec la littérature", explique Leïla Jarbouai, conservatrice des arts graphiques au musée d'Orsay et co-commissaire de l'exposition.

Léon Spilliaert, "Le Coup de vent", 1904, Collection Mu.ZEE, Oostende  (© Mu.ZEE, Steven Decroos, 2017)

La solitude, la lumière, le tourment et la mer 

Une jeune fille est accrochée à une rambarde, bouche grande ouverte, sa robe sombre et ses longs cheveux noirs soulevés par le vent. Elle se détache sur un paysage où le ciel et la mer en couches superposées de gris s'illuminent. On trouve dans ce dessin de 1904 (Le Coup de vent) qui ouvre l'exposition plusieurs des thèmes et éléments qui vont traverser les œuvres de ces deux décennies : la solitude, la lumière, le tourment et la mer.

Car Léon Spilliaert est né et à grandi au bord de la mer du Nord, à Ostende, une ville qui va marquer son œuvre. C'est un autodidacte, il a interrompu volontairement sa formation à l'Académie des Beaux-Arts de Bruges au bout de quelques mois et il se nourrit de philosophie et de littérature : Nietzsche, Schopenhauer, Lautréamont, Chateaubriand, Baudelaire. Il commence d'ailleurs sa carrière en illustrant pour l'éditeur Edmond Deman le théâtre de Maurice Maeterlinck et la poésie d'Emile Verhaeren qui devient un ami proche.

La solitude et la tristesse s'expriment dans des chambres désertes où le drap d'un blanc éclatant qui couvre un petit lit brille dans l'obscurité et fait penser à un linceul. Ailleurs, des filles solitaires semble attendre, toujours. Les contours de sa Jeune femme sur un tabouret sont dessinés par un filet de lumière qui la rend presque phosphorescente.

Léon Spilliaert, "Autoportrait" 1907, Etats-Unis, New-York (NY), The Metropolitan Museum of Art  (© The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image of the MMA)

Un virtuose de l'encre

Les œuvres graphiques représentent 90% du travail de Léon Spilliaert et ce sont ses dessins qui sont exposés à Orsay. "C'est un virtuose de l'encre, des matières liquides et du pastel", remarque Leïla Jarbouai. "Les œuvres sont très subtiles et d'ailleurs très difficiles à reproduire parce que le noir n'est pas du tout uniforme. Il travaille par voiles en jouant sur la transparence et sur l'opacité. Il a fait quelques dessins à la peinture à l'huile qui n'étaient pas très convaincants et on a choisi de ne pas en montrer."

Entre 1902 et 1910 il a réalisé de nombreux autoportraits tourmentés, "point d'orgue de sa création" pour la commissaire. Il se représente dans des intérieurs sombres, les yeux souvent dans l'ombre, quand ils ne sont pas littéralement hallucinés : dans l'Autoportrait au miroir, il est effaré par son image dans une glace inclinée. Il semble y plonger comme dans un gouffre. Les objets posés dans le décor prennent une signification effrayante : un couteau qui traîne sur une table, une horloge, des porte-manteaux qui ne portent rien.

"Ah ! Si j'étais débarrassé de mon caractère inquiet et fiévreux, si la vie ne m'avait pas dans ses serres", écrit-il en 1904. "Spilliaert souffre d'une acuité des sens, de la perception. Tout devient extrêmement intense. Une coupelle bleue devient un gouffre, des flacons anodins (son père était parfumeur, ndlr) des fioles d'alchimie, des armoires des tombeaux. Il intensifie tout à partir du quotidien le plus prosaïque", note Leïla Jarbouai.

Léon Spilliaert, "Clair de lune et lumières", vers 1909, Paris, musée d'Orsay Don de Madeleine Spilliaert, 1981 (© RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski)

Insomnies

Il faut dire que le jeune artiste à l'époque souffre de maux d'estomac terribles qui l'empêchent de dormir. Il se promène la nuit dans Ostende et ses insomnies nous valent de très belles œuvres minimalistes. La mer est immense et sombre, sous une toute petite bande de ciel délimitée par une fine ligne d'horizon. Les femmes qui se promènent sur le rivage ont des ombres aux formes étranges. Il joue avec les tons de gris, parfois de bleu, les diagonales et les courbes. Quand il se tourne du côté de la ville, celle-ci, obscure et parsemée de petites lumières, prend des aspects fantastiques.

Léon Spilliaert s'est nourri de tous les courants artistiques de son époque, souligne Leïla Jarbouai : "Symbolisme, expressionnisme, ses œuvres sont très proches de l'univers d'Edvard Munch. Il a également des liens avec les nabis. Il joue avec un graphisme très souple qui parfois évoque l'art nouveau. Il peut même y avoir des échos de l'abstraction géométrique. C'est vraiment un artiste de son temps même s'il reste atypique."

Sur la fin de l'exposition, l'univers de l'artiste change, il se fait plus coloré. Ses Serres chaudes inspirées de Maeterlinck sont bleues, ses femmes de pêcheurs de dos, qui regardent la mer, sont plus incarnées peut-être. En 1915 il rencontre Rachel Vergison qu'il épouse l'année suivante. Fini, la solitude et les tourments qui avaient été le ferment de sa création.

Spilliaert, lumière et solitude
Musée d'Orsay (niveau 2)
1, rue de la Légion d'Honneur, Paris 7e
Tous les jours sauf lundis et 25 décembre, 9h30-18h, nocturne jusqu'à 21h45 les jeudis
Tarifs : 16€ / 13€
Du 13 octobre 2020 au 10 janvier 2021

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