"Nous les arbres", une exposition autour d'un point de vue inédit à la Fondation Cartier
Les arbres seraient-ils intelligents ? C’est l’une des questions fascinantes abordées par cette exposition à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. "Nous les arbres" est destinée à changer notre regard sur ces êtres essentiels pour notre vie, voire notre survie…
Nous les arbres... L’intention est tout entière dans le titre de l'exposition proposée à la Fondation Cartier à Paris, jusqu'au 10 novembre. Un titre qui serait comme une prise de parole du monde végétal. Un renversement de perspective, la mise au ban de l’arrogance de l’homme, Homo sapiens autant qu’ Homo industrialis.
L’exposition ose l’ambition d’inviter "à réinventer notre regard sur ces géants énigmatiques et nous apprendre à considérer les arbres enfin comme de grands personnages vivants de notre monde commun".
Pulsations
Avant l’entrée même, un petit chat sculpté d’Agnès Varda au sommet d’un tronc coupé a le regard dirigé vers trois arbres, "auscultés" par des capteurs. Des écrans vidéo façon endoscopie en présentent les "pulsations".
La circulation automobile du boulevard Raspail, le stress induit comme la pollution, auraient ainsi leur traduction par des cercles concentriques qui évoluent comme la "sensibilité" des arbres. Une installation signée d’un "poète des datas" (données informatiques), le Néerlandais Thijs Biersteker, et d’un scientifique italien, Stefano Mancuso, fondateur du Laboratoire international de neurobiologie végétale à Florence (Italie).
Reportage : Christian Tortel / Albane Lussien / Rael Moine / Nicolas Grener / Sébastien Patient / France Ô
Intelligence végétale
Selon ce biologiste, "les arbres sont intelligents dans la mesure où ils sont capables de résoudre des problèmes. Ils sont en mesure d’opposer une résistance efficace à des prédations catastrophiques et répétées, sans pour autant perdre leurs fonctionnalités. Ils développent des 'capacités sensibles et mémorielles, des aptitudes à la communication et un talent symbiotique, sans oublier leur influence sur le climat global'", annoncent les commissaires de cette exposition inédite, Bruce Albert, Hervé Chandès et Isabelle Gaudefroy.
Cette installation donne le ton à une exposition où sont réunis artistes, scientifiques, architectes, chamans d’Amazonie ou philosophes. Elle entend présenter ensemble de nouvelles connaissances scientifiques et des savoirs indigènes d’Amazonie. Dans un ensemble convergent.
Les leçons des Indiens
Parmi les révélations récentes, l’un des mystères de la météo amazonienne : pourquoi les pluies débutent deux mois avant que le système de vents ne puisse apporter l’eau de la mer sur la forêt ? Une équipe américaine a apporté la réponse : ce sont les arbres qui font pleuvoir et la forêt amazonienne déclenche sa propre pluie…
L’ethnologue Bruce Albert, qui avait déjà travaillé avec la Fondation Cartier pour l’exposition Yanomami, l’esprit de la forêt (2003) défend l’idée, comme il l’explique dans le reportage filmé en regard de cet article que "l’arbre de la pluie" de Joseca, artiste Yanomami, montre que "les arbres sucent les nuages" et font pleuvoir, une phénomène remarqué dans la cosmogonie ancienne de ces indiens du Nord de l’Amazonie.
Passer sa vie à dessiner les arbres
La flânerie proposée au cœur de la forêt d’arbres-signes de cette exposition nous emmène en voyage en Amérique latine, en Europe, aux Etats-Unis, en Iran, ou encore auprès des communautés indigènes comme les Nivaklé et Guaraní du Gran Chaco, au Paraguay, ainsi que chez les Indiens Yanomami.
C’est une façon de tirer des leçons de vie (arboricole) avec Francis Hallé qui a passé la sienne à dessiner les arbres, à rêver avec les architectes Cesare Leonardi et Franca Stagi de parcs à l’échelle des arbres (la Fondation réédite leur ouvrage introuvable depuis vingt ans : L’architecture des arbres), à imaginer avec le mathématicien Misha Gromov des réseaux d’arbres inventés, de se laisser porter par les légendes indiennes évoquées dans le film de Fred Casco et Fernando Allen, au joli titre de "Comme un poisson sur la colline", ou d’écouter les témoignages, enregistrés par Claudine Nougaret et Raymond Depardon, d’amoureux d’arbres dans le sud de la France.
Alors que le best-seller de Peter Wohlleben, La Vie secrète des arbres (Les Arènes), publié en 2017 "a permis à des millions de personnes à travers le monde de regarder les forêts comme un modèle politique de cohabitation", l’exposition Nous les arbres nous parle de ces "vénérables souverains, maîtres du temps et de l’espace terrestres", du point de vue des arbres. C'est aussi un "point de vie", selon la formule du philosophe Emanuele Coccia.
L’exposition nous fait entrevoir les mille façons d’habiter poétiquement le monde, d’accéder à une connaissance globale où la hiérarchie du trio végétal-animal-humain est mise en question…
"Nous les Arbres", du 12 juillet au 10 novembre 2019 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris.
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