"Nous travaillons dans la grotte Chauvet comme sur une scène de crime" : l'archéologue Carole Fritz raconte ses années d'enquête dans la cavité préhistorique
En 1997, Carole Fritz est tombée amoureuse. L'année où elle est entrée pour la première fois dans la grotte Chauvet, la plus ancienne grotte ornée du monde (ses fresques datant de 36 000 ans avant notre ère), découverte le 18 décembre 1994 à Vallon-Pont-d'Arc (Ardèche) par trois spéléologues : Éliette Brunel, Jean-Marie Chauvet et Christian Hillaire. Elle nous raconte ce coup de foudre dans le cadre de l'exposition Grotte Chauvet, l'aventure scientifique présentée jusqu'au 11 mai 2025, à la Cité des sciences et de l'industrie de Paris.
Directrice de recherche au CNRS, l'archéologue est responsable depuis 2018 de l'équipe pluridisciplinaire autorisée à descendre seulement quatre semaines par an (sauf en cette année anniversaire, un comble) dans la cavité classée au Patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco en 2014. Pour mener l'enquête, ces experts n'ont pas le droit de fouiller ni même de toucher les parois. Ils ne sortent jamais des passerelles métalliques étroites aménagées sur le sol. Nous avons interrogé Carole Fritz au pied d'une reproduction exacte d'une peinture de la grotte.
Franceinfo Culture : Qu'avez-vous ressenti la toute première fois que vous avez posé le pied dans la grotte Chauvet ?
Carole Fritz : C'est inoubliable. À cette époque-là, en 1997, il n'y avait pas d'aménagement, donc on arrivait par le plafond, avec une échelle spéléo, après 10 mètres de descente. C'est l'espace qui m'a impressionnée et puis, au fur et à mesure qu'on avançait, la beauté de la boîte, si je puis dire. Ses sols calcites, orangés. Comme la grotte est préservée, c'était absolument fabuleux.
C'est comme un sanctuaire ?
Pour moi, oui. C'est un écrin et à l'intérieur, vous avez le bijou. On passe devant les panneaux rouges puis une zone qui est le seuil où il faut s'accroupir pour ressortir dans la deuxième partie de la grotte. On arrive dans une salle où il y a plein de gravures, puis devant le panneau des chevaux et là, j'ai eu une émotion extrêmement forte. Ça ne m'était arrivé que deux fois dans ma vie auparavant, sous le plafond de la chapelle Sixtine à Rome et dans une autre grotte qui s'appelle Altamira en Espagne. La première fois que j'ai vu les panneaux de Chauvet, j'ai eu l'impression qu'on me racontait des choses. Je n'avais jamais vécu cela dans une grotte auparavant. Nous sommes face à des récits qui construisent la société.
Que représente pour vous cette exposition ?
Pour moi, comme pour toute l'équipe, cette expo est fabuleuse. C'est la première fois qu'on met en avant l'étude scientifique d'une grotte par une équipe interdisciplinaire. On travaille réellement ensemble avec l'aide des images en 3D. On travaille sur les mêmes supports et après, on fusionne l'information et les données. L'intérêt de cette exposition est de montrer comment nous interagissons dans cette grotte. Nous étudions les dessins qui sont fabuleux, mais il n'y a pas que cela. On essaie surtout de comprendre le comportement humain dans la cavité. On est comme sur une scène de crime quelque part, sauf qu'on n'a pas de cadavre. On essaie de voir tous les indices qui vont nous permettre de comprendre le comportement humain et animal et l'interaction entre les deux.
En décembre, on fêtera les 30 ans de sa découverte. Votre regard sur la grotte a-t-il changé ?
Oui et je regarde aussi l'art paléolithique différemment. Chauvet a complètement modifié la perception de tous les membres de l'équipe. Cette grotte, on a toujours une émotion quand on rentre dedans. On a l'impression, même si c'est faux, d'être si proches de ces humains qui ont fait les dessins que l'on veut toujours aller plus loin pour les comprendre. Plus de 38 000 ans nous séparent d'eux et même si on est tous des Homo sapiens, on n'est pas les mêmes ! On n'est pas les mêmes mentalement, on n'a pas du tout la même vision du monde qu'eux, c'est très compliqué d'étudier des sociétés aussi lointaines avec notre esprit d'aujourd'hui. Il faut parfois faire table rase de ce que l'on pense pour aller chercher d'autres choses. Oublier les certitudes.
Qu'est-ce qui permet de dire que ces fresques ne sont pas des accumulations d'images, mais de vraies compositions ?
Chaque dessin répond à l'autre. À certains endroits, on voit qu'on a laissé de la place pour en mettre un autre. Il y a une prédétermination de la mise en œuvre. On s'aperçoit que la paroi supporte l'image, mais qu'elle est aussi matière picturale. Ils mélangeaient le charbon de bois au blanc des parois ou à l'argile pour faire des blancs, des gris, des bistres, donner des volumes. Ils utilisent le volume de la paroi grâce au feu. Ces feux, il faut du bois pour les allumer, il faut les entretenir, car s'ils s'éteignent, vous ne ressortez pas de la grotte, vous êtes dans le noir total. Réaliser ces peintures implique donc tout le groupe, d'autant plus que ce sont les mythes, la pensée symbolique de tous ces individus qui figurent sur les parois. On essaie de reconstituer les gestes, les sons, les perceptions. On a encore plein de choses à faire. À Chauvet, on tire un fil et 50 000 viennent. Et après nous, viendront d'autres chercheurs.
Pourra-t-on voir cette exposition dans l'Ardèche ?
Tout à fait. Elle sera inaugurée là-bas, à Vallon-Pont-d'Arc, le 1er juillet 2025. Les gens qui visiteront Chauvet 2 [la réplique de la grotte] pourront comprendre comment nous travaillons dans la cavité.
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