Pâques : de Mantegna à Picasso, la crucifixion inspire les peintres
Une série réalisée par : P. Sorgues / M. Tafnil / F. Desbrosses / E. Dubos
Du Louvre au musée de Cluny
Direction Le Louvre pour découvrir une oeuvre du peintre italien Andrea Mantegna à qui l'on doit le célèbre tableau représentant le martyre de Saint Sébastien. "La crucifixion" date de 1456. Vincent Dieulevin, conservateur du département des peintures italiennes au Louvre en livre le décryptage :Les soldats dans la partie basse du tableau jouent aux dés et se partagent la tunique de Jésus. De l'autre côté les "saintes femmes" avec leurs auréoles. A cette époque le répérage des protagonistes du tableau est clair et net.Dans une crucifixion c'est toujours très simple : Jésus est au centre de la scène bien visible avec l'inscription IN RI "Roi des Juifs" et de part et d'autre les deux larrons, l'un sombre sans doute le mauvais et l'autre plus lumineux le bon larron."
Sur le Golgotha à l'église Saint-Roch
L'église Saint-Roch est la seule église baroque de Paris à posséder un calvaire avec une fausse rocaille. Certains trouveront le style un peu kitsch, mais il était au goût du XIXe siècle. Depuis l'allée centrale on peut voir, surmontant l'autel, la scène de la nativité sculptée par Michel Anguier au XVIIe siècle et dans le même axe, en arrière-plan : la mort sur la croix du même artiste. "Il y a une symbolique cosmique et pré-chrétienne de la croix, d'un signe qui ordonne les autres points cardinaux, explique l'historienne de l'Art Isabelle Saint-Martin.Depuis les origines, la difficulté de représenter le Christ sur la croix est d'articuler le supplice et la gloire.
Foujita au confluent de deux cultures
Villiers-le Bâcle à une trentaine de kilomètres de Paris. C'est ici que le peintre japonais Foujita, à qui le musée Maillol rend en ce moment hommage, a élu domicile dans les années 60.Au mur de son atelier : une fresque repésentant la crucifixion. Une oeuvre que l'artiste a décidé de peindre le 27 novembre 1965, le jour de son anniversaire. Il va la réaliser en une journée. "C'est moins une pulsion que l'envie de faire un essai technique en grandeur nature explique Anne Le Diberder, la directrice de la Maison-atelier de Foujita. C'est une habitude qu'il a depuis longtemps; quand il va chez des amis, il ne peut s'empêcher de graffiter. dans cette maison vous avez des graffitis un peu partout".
Une touche de manga
En fait, à l'époque, Foujita nourrit le projet de décorer la chapelle Notre-Dame de la paix à Reims. Pendant deux ans il peint son testament artistique lui qui s'est converti au catholicisme en 1959. Foujita peint la crucifixion entre deux cultures
"Nous retrouvons des traces de sa culture japonaise notamment dans les regards qui sont extrèmement aigüs; dans les attitudes et les postures qui ressemblent à des postures du théâtre Kabuki. Le fait que Foujita travaille motif par motif, figure par figure avec un cerné rajoute à ce côté manga , estampe japonaise. mai pour le reste cette crucifixion pourrait être occidentale"
Dans cette fresque, Foujita rend hommage aux maîtres qu'il admirait. Il donne les traits de Michel-Ange et de Durher à deux personnages. Il se glisse aussi parmi les protagonistes de l'oeuvre.
La passion selon Picasso
L'oeuvre est accrochée aux murs du Musée Picasso dans le 3ème arrondissement de Paris."On retrouve tous les éléments traditionnels d'une crucifixion : le Christ sur la croix, les deux croix des deux larrons déjà déposés au pied de l'échelle, Longin le centurion qui a percé le flanc du Christ avec sa lance. La tête du Christ est très simplifiée sous l'influence probable de l'art des Cyclades." explique Emilia Philippot, conservatrice du Patrimoine.
Picasso installe dans ce tableau deux personnages dos à dos: Marie-Thérèse Walter sa maîtresse en rouge et bleu et Olga sa femme les dents en avant comme prête à mordre :
Olga est décrite à l'époque comme faisant de nombreuses crises de jalousie asphyxiant la créativité du peintre. CV'est un tableau d'exorcisme où Picasso se re présenterait lui-même comme le crucifié".
Picasso illustre le tournant pris par les artistes du 20e siècle vis à vis de la représentation de la passion du Christ. En se détachant du religieux, ils explorent leur propre souffrance et celles de la société.
Changement de codes
Ainsi Dimitjie Popovic dans son cycle Corpus Mysticus en 1986 représente-t-il la crucifixion de dos. C'est une rareté: "Après la première puis la deuxième guerre mondiale , les artistes se rebellent contre la société qui a conduit à ces guerres et changent complètement les codes de l'art" explique Magdalena Sawczuk historienne et critique d'art.
Avec des artistes comme Artur Majka le motif de la croix devient de moins en moins perceptible. "Il y a un renversement de ce qui est essentiel dans l'art, le motif qui est crucial dans l'art sacré passe dans l'art profane".
Andres Serrano et son "Piss Christ"
Quatre ans après, Corinne Rondeau, maître de conférence en esthétique à l'université de Nîmes affrime "Si vous regardez cette image, elle n'est pas du tout choquante, pas du tout scandaleuse visuellement. Ce qui le devient c'est le titre "Piss Christ" . C'est ce qui fait scandale. C'est un titre, pas l'image."
En 2015, après l'attentat contre Charlie Hebdo l'affichiste Michal Batory exorcise le rame en réalisant une croix avec un crayon à la verticale et une balle à l'horizontale.
Ce qui est important de ne pas négliger c'est la dernière phase de la crucifixion : la rédemption. L'art aujourd'hui peut nous permettre d'avoir un rapport réflexif à notre propre société et pas simpleme,nt d'être les témoins d'un temps où il y a eu une croix avec un Christ dessus.
Au fil du temps, les artistes se sont détachés du religieux pour traiter la crucifixion. Aujourd'hui c'est avec leurs propres codes qu'ils abordent ce moment central du christianisme.
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