Albert Marquet, l'eau et le paysage au Musée d'art moderne de la Ville de Paris
"Albert Marquet est un peintre un peu oublié du XXe siècle, grand ami de Matisse, un peintre dont on a une image un peu superficielle et assez bourgeoise", déplore Fabrice Hergott, le directeur du Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Cette rétrospective vise donc à "rappeler que sa peinture est extrêmement poétique, profonde, beaucoup plus construite et déconstruite qu'il n'y paraît. Qu'elle mérite aujourd'hui d'être vue avec un regard neuf, un regard enrichi de toute l'histoire de l'art du XXe siècle et du début du XXIe."
"Ne pas considérer Marquet, c'est oublier un pan de la peinture moderne, peut-être moins d'avant-garde que d'autres mais qui reste d'une très grande qualité", estime de son côté Sophie Krebs, conservatrice en chef au Musée d'art moderne de la Ville de Paris et commissaire de l'exposition.
Un ami des fauves
Albert Marquet (1875-1947) est né à Bordeaux dans une famille modeste (son père est employé des chemins de fer) et monté à Paris à quinze ans avec sa mère pour suivre des cours de dessin. Dans l'atelier de Gustave Moreau, il rencontre Matisse, puis aux académies Julian et Camillo il fait la connaissance de Derain. Associé aux fauves, il n'en est pas vraiment un malgré leurs liens d'amitié et leurs expositions communes (il expose dans la salle "fauve" du Salon d'automne en 1905).S'il joue avec la couleur dans ses petits tableaux croqués à Paris et en banlieue au côté de Matisse au début du XXe siècle, ou en Normandie en 1906 avec Raoul Dufy, Albert Marquet s'éloigne rapidement des couleurs pures pour préférer des tons plus nuancés, plus doux, dans les gris, les bleus, les beiges.
Toujours le paysage
L'exposition est articulée autour de thèmes tout en se voulant chronologique, ce qui n'est pas forcément évident car les motifs sont assez récurrents chez Marquet. Il va un peu peindre la même chose toute sa vie. Dès les années 1910-1914, il abandonne le nu pour se consacrer désormais essentiellement au paysage. On verra au passage son don pour le croquis sur le vif : il sait saisir avec humour et de trois traits les attitudes du peuple de la rue, de la lavandière, "la servante en course", un corbillard, une marchande des quatre saisons.Albert Marquet va donc peindre des paysages, et un type particulier de paysage, surtout urbain, généralement en plongée. "Ce n'est pas quelqu'un des grands espaces, ce n'est pas quelqu'un qui aime la nature, avec son foisonnement", souligne Sophie Krebs. Même s'il va peindre des bords de rivières, avec des arbres qui se reflètent en miroir dans l'eau.
L'obsession de l'eau
Car Marquet est obsédé par l'eau, toujours présente dans ses tableaux : " Il aime toutes formes de liquides, la mer, le fleuve, certains fleuves, la Seine en particulier, indique la commissaire. Pourquoi cet intérêt ? D'abord ça bouge, il y a le mouvement, et il se passe beaucoup de choses. C'est aussi une façon de montrer la vie urbaine, la vie portuaire, à travers l'eau. Ca permet aussi des effets de couleur, de matière, et c'est là que se transforment les éléments atmosphériques. L'eau est un élément fondateur de son œuvre." Comme Monet, Albert Marquet fait des séries avec des variations de ciels et de lumières. A Paris, il se concentre sur une zone qui va du Pont-Neuf à Notre-Dame en passant par le pont Saint-Michel. Il va habiter plusieurs appartements entre le quai des Grands-Augustins et le quai Saint-Michel d'où il peint toujours les mêmes vues, de façon plus ou moins rapprochée.
Là comme ailleurs, ses tableaux sont très structurés et toujours de la même façon, autour d'une diagonale qui crée la profondeur (le quai d'un fleuve, le rivage de la mer), d'une horizontale (un pont, l'horizon sur la mer) et éventuellement des verticales (mâts, réverbère, cheminée). Il aime peindre Notre-Dame qui s'efface sous la neige, la brume et les fumées qui estompent tous les détails, les péniches sont un rectangle clair délimité par un trait noir. Il y a du monde dans la scène mais les personnages se réduisent à un petit trait noir.
Un grand voyageur
"Ce qui l'intéresse, c'est ce qu'il voit. Il peint directement, rapidement, il croque à toute allure tout ce qui lui passe devant, le plus vite possible, en trois traits. Soit c'est réussi, soit c'est raté, il ne revient jamais dessus", explique Sophie Krebs.Marquet aime aussi peindre les ports, au Havre, à Marseille, plus tard à Alger. Etrangement, il semble réaliser un peu toujours le même paysage alors qu'il voyage beaucoup, énormément même, d'abord en Normandie et dans le sud, avec ses amis peintres. Puis en Italie et même à Dakar, en 1907. En une seule année, en 1909, il va en Allemagne, où il peint le port de Hambourg, ses quais luisants de pluie, ses fumées blanches et les mâts sortant de la brume. Puis à Naples où il saisit les variations de lumière sur la baie, avec le Vésuve dans le fond. Et aussi en Sicile, à Tanger et à Séville.
De plus en plus, c'est la Méditerranée qui l'attire, de Collioure, à Marseille et à Nice. Il la traverse pour séjourner régulièrement à Alger mais aussi en Tunisie ou au Maroc. Rien d'exotique dans ses œuvres algériennes ou tunisiennes pourtant, à peine un palmier ("Je ne serai jamais orientaliste", écrit-il à son ami Matisse), mais toujours la mer, les ports, les bateaux et les variations de lumière, les brumes.
Par la fenêtre
C'est à Alger qu'il se réfugie en 1940, car il a signé une pétition de protestation des artistes et intellectuels contre le nazisme. Il refusera d'être exposé au Salon des Tuileries qui exige un certificat de "non-appartenance à la race juive" et il fera décrocher ses œuvres prêtées au salon par des collectionneurs. Après la guerre, il refusera la Légion d'honneur.Ce que Marquet voit dans ses tableaux, "c'est aussi la réalité de l'histoire", remarque Sophie Krebs, "même si elle n'apparaît qu'à travers quelques éléments", comme les petits drapeaux tricolores qui flottent sur le port d'Alger en 1942. Marquet a fait le voyage à Moscou et adhérera au parti communiste, sur le tard.
S'il a peint ce qu'il voyait de sa fenêtre, la fenêtre elle-même a pu être un motif pour Albert Marquet, qui pose un pot de fleur devant, ou un chevalet. Un motif particulièrement émouvant quand, à la fin de sa vie, des persiennes vertes se referment dessus, ne laissant plus passer que quelques rais de lumière.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.