Anna-Eva Bergman, une vibrante peinture de l'essentiel au Musée d'art moderne de Paris
Il y a quelque chose de magique dans la peinture d'Anna-Eva Bergman. Une peinture de couleur et de lumière inspirée de la nature, une peinture qui semble être allée de plus en plus à l'essentiel au fur et à mesure du cheminement personnel de l'artiste. La très belle rétrospective du Musée d'art moderne de Paris permet de l'appréhender dans toute son ampleur.
Anna-Eva Bergman (1909-1987), née à Stockholm, a été abondamment exposée et célébrée de son vivant et un peu oubliée ensuite. Peut-être parce que ses peintures, qui utilisent la feuille de métal à partir des années 1950, sont difficiles à photographier. Peut-être parce qu'elle a été éclipsée par l'artiste allemand Hans Hartung, rencontré quand elle avait 20 ans, avec qui elle s'est mariée une première fois, puis seconde fois après 15 ans de séparation.
Le Musée d'art moderne, qui a bénéficié d'un don important de la Fondation Hartung-Bergman, installée à Antibes, avait déjà présenté une quarantaine de ses œuvres en 1977-1978. Il nous offre aujourd'hui la première grande rétrospective de son œuvre à Paris, en 200 peintures, gravures et documents.
Marquée par les paysages de Norvège
Anna-Eva Bergman est une artiste européenne : de père suédois et de mère norvégienne, elle grandit en Norvège, étudie à Oslo puis à Vienne. Elle vient à Paris à 20 ans, devient allemande par son mariage avec Hans Hartung, séjourne de longs mois à Minorque, aux Baléares, sur la Côte-d'Azur et à Berlin ou en Italie. Le couple passera ses 20 dernières années à Antibes. Mais ce sont les paysages de Norvège vus pendant son enfance et sa nature sauvage qui l'ont le plus profondément marquée.
Ses dessins de jeunesse, illustrations et caricatures (elle est fortement choquée par l'arrivée au pouvoir de Hitler) montrent un œil acéré, traduisent un grand sens de l'observation. Mais c'est au début des années 1950 qu'elle va vraiment se réaliser en tant que peintre. A la veille de la guerre, elle veut s'accomplir entièrement, comme artiste et s'est séparée de Hans Hartung. En 1939 elle retourne en Norvège pour une dizaine d'années. Si elle s'éloigne quelque temps des pinceaux, c'est une période d'intense réflexion et d'introspection, elle étudie beaucoup et cherche sa voie.
Entre 1949 et 1951, elle séjourne à Citadelløya dans le sud de son pays, et en 1950 elle voyage en bateau de long de la côte norvégienne, visite les îles Lofoten. Ce voyage dans le nord déclenche un tournant dans son art.
L'art d'abstraire
Progressivement elle commence à peindre des formes simples, dans un style non figuratif mais ancré dans le réel de la nature, qu'elle réinterprète. Elle ne parle pas d'abstraction mais de "l'art d'abstraire". Sur des fonds colorés, elle travaille à la feuille de métal, imaginant un Grand soleil doré qui se détache sur un fond vert, une stèle noire et une lune argentée, un arbre aux branches qui ressemblent à des membres, une montagne. Parfois, sur ces grandes toiles, elle représente quelque chose de plus abstrait, Le grand nord bleu profond, ou bien l'univers sous forme d'un tourbillon multicolore. Ces formes symboliques récurrentes (il y a aussi le tombeau, la barque, la pyramide…), elle les répertorie sur des feuilles de papier de format réduit, pour en faire un "alphabet".
L'utilisation de la feuille de métal (or, argent, plomb, étain, bronze, aluminium, cuivre, bismuth) qu'elle recouvre de vernis colorés lui permet de capter la lumière. Elle crée des reflets qui changent selon le point de vue du spectateur. Le principe de sa peinture est installé mais celle-ci va évoluer au fil des années, les formats varient.
Toujours plus près de l'essentiel
Dans les années 1960, ses œuvres se nourrissent d'un nouveau périple dans le grand nord norvégien avec Hans Hartung, où ils observent les grands glaciers transparents et le soleil de minuit. Et puis de séjours en Andalousie où ils achètent un terrain. Ils font de nombreuses photographies des grands espaces désertiques ou des murs de pierre, qui deviennent des damiers dorés. Elle commence à s'intéresser à l'horizon, qui évoque pour elle l'infini, les ciels deviennent sombres. Elle crée des étagements de couleurs, bleu intense, argent vibrant, rouge vif, noir qui évoquent l'Américain Mark Rothko, qu'elle a rencontré à New York en 1964.
Dans les années 1970, le travail d'Anna-Eva Bergman, sur de grandes toiles ou au contraire de tout petits formats, est de plus en plus épuré. Elle cherche à capter la pluie ou les vagues en créant du relief sous le métal. Des montagnes noires se détachent radicalement d'un ciel bleu profond. Elle semble s'approcher toujours plus de l'essentiel, même si ses plus belles toiles sont peut-être celles des deux décennies précédentes.
Anna-Eva Bergman, "Voyage vers l'intérieur"
Musée d'art moderne de Paris
11, avenue du Président Wilson, Paris 16e
Tous les jours sauf lundi et certains jours fériés, 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h30
Tarifs : 15 € / 13 € / gratuit pour les moins de 18 ans
Du 31 mars au 16 juillet 2023
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