Basquiat à la Fondation Louis Vuitton : un génie fulgurant obsédé par le racisme et la mort
Jean-Michel Basquiat appartient au triste club des 27. Comme Jimmy Hendrix, Jim Morisson, Janis Joplin ou encore Kurt Cobain, ce peintre américain est mort à 27 ans. Il a succombé à une overdose d'héroïne et de cocaïne. Artiste météore, Basquiat est aujourd'hui l'un des peintres les plus cotés sur le marché de l'art. En 2017, un collectionneur japonais s'est offert l'un de ses tableaux pour la modique somme de 110,5 millions de dollars soit plus de 98 millions d'euros. Ce crâne sur fond bleu de près de deux mètres de haut est présenté à l'entrée de l'exposition.
Fils d'un Haïtien et d'une Porto-ricaine, Basquiat a grandi à New York dans les années 60. Sa peinture est un journal intime où il traduit au jour le jour ce qu'il vit. Autodidacte mais très érudit, il fréquente les musées dès son plus jeune âge. Basquiat quitte la maison à l'adolescence pour s'exprimer librement, persuadé qu'un jour il sera célèbre. Il commence par des graffitis, des mots, des phrases énigmatiques signés SAMO pour "SAMe Old shit" (Toujours la même merde). Mais il ne restera pas longtemps dans la rue. Dans le New York underground des années 70-80, il est vite repéré par les artistes d'avant-garde. Andy Wahrol le prend sous son aile. Keith Harring est son ami. Après les murs des quartiers pauvres, il expose dans de grandes galeries et séduit très tôt les collectionneurs. Toute une génération se reconnaît dans sa peinture.
Reportage : Valérie Gaget, Alexis Jacquet, Julie Martin, Julien Cordier
Une oeuvre complexe
En moins de dix ans d'une carrière fulgurante, Basquiat a peint près d'un millier de tableaux. La fondation Louis Vuitton en présente une centaine, parmi les plus connus. On est surpris par leur grande taille. Certaines oeuvres, comme des rébus, sont composées de différents panneaux couverts de mots et de collages. La peinture de Basquiat est fondée sur un rythme, une sorte de rap visuel. Il utilise souvent des matériaux de récupération, des portes, des palettes. Il assemble plusieurs espaces, voire plusieurs toiles. Les éléments qui composent ses tableaux rebondissent d'une idée à une autre et l'ensemble fait sens. Une peinture complexe faite de multiples strates, de centaines de mots et de signes à décrypter. La petite couronne dorée, le copyright, les flèches noires réapparaissent ça et là, comme des fétiches.Le fardeau de l'homme noir
Deux thèmes reviennent constamment dans l'oeuvre de Basquiat : le racisme et la mort. Dans les années 70-80, New York était une ville particulièrement violente. Le peintre a lui-même souffert de discrimination. "Même à l'époque où il était connu et habillé de vêtements de créateur, les chauffeurs de taxi qu'il hélait dans la rue ne s'arrêtaient pas" explique le commissaire autrichien de l'exposition Dieter Buchhart. Basquiat évoque sur ses toiles l'histoire de l'esclavage. Ses têtes ont la forme de masques africains, la force brute des arts primitifs.Sur une grande fresque rectangulaire, il représente Samson, figure biblique de l'esclave, enchaîné entre deux colonnes blanches. A droite de la toile, un cow-boy couvert de dollars incarne le capitalisme. Au milieu, Basquiat écrit : "Not for sale". Pas à vendre. Sur un autre tableau, curieusement intitulé "In Italian" (en italien), il représente un homme de couleur. Sa souffrance se manifeste par son teint vert et par les mots écrits au dessus de sa tête : "Crown of thorns" (couronne d'épines). Pour attirer davantage l'attention sur le mot épines, Basquiat l'a rayé d'un trait rageur. Une technique qu'il utilise fréquemment.
Le peintre s'interroge aussi sur la vie des noirs dans un monde de blancs. Un tableau intitulé "Irony of negro policeman" résume son questionnement. Est-ce l'ironie des blancs vis à vis de cet homme noir devenu policier ? Celle du noir qui s'introduit dans un monde de blancs ? Ou encore celle des noirs vis à vis de cet autre noir qui travaille parmi les blancs ? Basquiat a enlevé trois voyelles au mot policier, comme si un noir ne pouvait l'être pleinement. Dans l'exposition, ce tableau est judicieusement présenté à côté d'une autre toile qui représente cette fois un policier blanc, l'air agressif et les yeux rouges. Le visage de la haine.
80% de colère
Révolté par l'absence d'hommes noirs dans l'art occidental, il décide, comme une revanche, d'en faire les héros de ses tableaux. Contre le racisme, Basquait dresse ses saints et ses martyrs. Ses idoles sont les grands personnages afro-américains : le fameux prêcheur Malcolm X, les musiciens de jazz Charlie Parker et Dizzie Gillespie, les sportifs comme Jesse Owens et Hank Aaron et surtout, les boxeurs. L'exposition présente plusieurs toiles sur ce thème: "St Joe Louis surrounded by snakes", "Cassius Clay", "Sugar Ray". La plus impressionnante, datée de 1982, représente un boxeur noir aux poings levés. Il porte une couronne d'épines et semble hurler sa fureur à travers une grille qui lui couvre la bouche. "Mon oeuvre, disait Basquait, c'est à peu près 80% de colère". Dans son langage, la boxe figure le combat contre l'oppression et le racisme.Hanté par la mort
Deuxième thème prééminent dans l'oeuvre de Jean-Michel Basquiat : la mort. A l'âge de 7 ans, alors qu'il joue dans la rue, il est percuté par une voiture et gravement blessé. Il faut l'opérer et lui enlever la rate. Pendant sa convalescence à l'hôpital, sa mère lui offre un livre d'anatomie qui influencera toute son oeuvre : "Henry Gray's Anatomy of the Human Body" (Anatomie du corps humain par Henry Gray). Devenu peintre, il parsème ses toiles de corps découpés, de squelettes, de viscères. L'un des trois crânes qui ouvrent l'exposition est comme fendu en deux par une grande cicatrice blanche. L'oeil gauche est injecté de sang.Un tableau peint à la fin de sa courte vie réunit les deux thèmes chers à Basquiat. Il s'intitule "Riding with death" et ne ressemble à aucun autre. Cette fois, pas d'inscriptions, aucun mot, aucun collage. Le peintre va vers l'épure. Sur un fond uni, couleur bronze, Basquiat représente un homme noir. On ne discerne pas son visage. Il chevauche un squelette démantibulé qui peine à le porter.
Basquiat s'inspire d'un dessin de Léonard de Vinci "Deux allégories de l'envie". Quand il peint ce tableau en 1988, il vient de perdre son ami Andy Wahrol, mort de façon brutale en 1987 suite à un accident opératoire. Le SIDA décime la communauté artistique new-yorkaise. Certains experts verront dans ce tableau une oeuvre prémonitoire. Le jeune homme mourra au mois d'août, la même année.
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