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Basquiat et la musique : trois questions au spécialiste Vincent Bessières à l'occasion de l'exposition à la Philharmonie

Omniprésente dans la vie du peintre Jean-Michel Basquiat, la musique l'est aussi dans son œuvre. Alors que débute une passionnante exposition autour de ce thème à la Philharmonie de Paris, son co-commissaire Vincent Bessières éclaire les mille façons dont la musique résonne dans ses toiles.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Jean-Michel Basquiat dansant au Mudd Club, New York, 1979. (COURTESY OF NICHOLAS TAYLOR)

L'exposition Basquiat Soundtracks vient de s'ouvrir à la Philharmonie de Paris. Riche de dizaines de dessins et de tableaux, dont certains rarement montrés, mais aussi de vidéos, de photos et d'une bande sonore urbaine sur mesure, elle explore les rapports du peintre new-yorkais avec la musique.

DJ à ses heures, Jean-Michel Basquiat, mort en 1988 d'une overdose à l'âge de 27 ans, tenait la clarinette et le synthétiseur dans un groupe de musique expérimental, Gray, et il a produit en 1983 un morceau de hip-hop, Beat Bop de Rammellzee et K-Rob. Sa première toile, il l'a vendue pour 200 dollars à Debbie Harry du groupe Blondie. A la tête d’une collection de 3000 disques, il écoutait de la musique constamment, y compris en travaillant. Ses goûts étaient éclectiques, allant de Charlie Parker à Public Image Limited en passant par La Callas, Curtis Mayfield, Beethoven ou David Bowie. Omniprésente dans sa vie, la musique l'est aussi dans son œuvre. Elle en constitue ce faisant "une clé d'interprétation majeure", selon le co-commissaire de l'exposition, Vincent Bessières. 

Comment avez vous conçu l’exposition (avec Dieter Buchhart et Mary-Dailey Desmarais du Musée des beaux-arts de Montréal) ?

Vincent Bessières : Le rapport à la musique de Basquiat est si riche, et les résonances dans son travail si nombreuses, que l’exposition est divisée en deux parties. La première explore les liens qu'il entretenait avec les musiques de son temps, puisqu’il s’est trouvé à la confluence de deux grandes vagues musicales, la No wave et le hip-hop. Cette partie, de dimension plus biographique, remet Basquiat dans son époque et dans la petite communauté artistique new-yorkaise qu'il fréquentait. Dans cette nébuleuse d'environ 200 personnes, tout le monde se connaissait et pratiquait plusieurs disciplines : un jour acteur, le lendemain poète, peintre ou musicien, comme le raconte Maripol qui a réalisé les portraits au polaroïd présentés au début de l’exposition. La seconde partie est une plongée dans son imaginaire visuel musical et sonore. Elle est axée davantage sur la façon dont la musique se retrouve dans ses œuvres, par ses motifs, ses sujets, ses citations, mais aussi par sa pratique.

Hormis quelques portraits, pochettes ou affiches, il y a peu de références dans son œuvre picturale au milieu musical No wave et hip-hop dans lequel il baignait. Ce qui domine dans ses œuvres, c’est le jazz.

C'est vrai, il ne représente pas spécialement les musiques de son époque en terme de motifs et d’images, même si nous avons un beau portrait du saxophoniste John Lurie des Lounge Lizards, notamment. Cela se traduit davantage dans la forme, avec des œuvres radicales à l’énergie punk. La musique qui lui offre des sujets explicites, c’est le jazz, effectivement. Son père écoutait du jazz mais c’est une musique qu’il a redécouverte à l’âge adulte, notamment sous l’influence de Fab Five Freddy dont le parrain était le grand batteur de jazz Max Roach, pionnier du bebop qui a travaillé notamment avec Charlie Parker. Fab Five Freddy [figure clé des débuts du hip-hop à New York] lui rapportait des anecdotes que son parrain lui avait racontées. Ça a sans doute ouvert chez lui un imaginaire dont il n’avait pas conscience dans l’enfance. Le jazz lui permet de parler du monde, du racisme, de l’invisibilisation, avec des figures auxquelles il peut se référer, qu’il peut admirer, et avec lesquelles il s'ancre dans un héritage culturel, mais il n’écoute pas que du jazz.

Quelles sont les résonances entre la musique et son geste pictural ?

Déjà ses tableaux font du bruit, du bruit visuel. Il y a du son dans ses œuvres. Ici il y a des onomatopées, là des gens qui chantent, des références aux dessins animés, des bouches ouvertes, des klaxons, des chiens qui aboient, des mains qui jouent du piano, toute une profusion d'images sonores. Ensuite il y a sa pratique de la photocopie, découpée, répétée, la façon dont il rythme ses tableaux, qui fait écho à l’échantillonnage dans le hip-hop. La manière dont il s’auto-cite, pour créer des correspondances entre ses œuvres, rappelle aussi l’usage du sampling – par exemple le titre d’un morceau de son groupe Gray, Origin of Cotton, que l’on retrouve ensuite dans ses tableaux. Et puis il y a l’influence du jazz dans son rapport à la composition et à l’improvisation. Son tableau Kokosolo, un hommage à Charlie Parker qui peut se lire comme une partition, en est le plus bel exemple.

Affiche Basquiat Soundtracks (DR)

Exposition "Basquiat Soundtracks"  jusqu'au 30 juillet 2023 à la Philharmonie de Paris
Du mardi au jeudi de 12h à 18h, le vendredi de 12h à 20h, s amedi et dimanche de 10h à 20h
Tarifs :  de 8 à 14 euros, gratuit pour les moins de 16 ans
Un cycle de concerts accompagne l'exposition à la Philharmonie, avec notamment Yasiin Bey (alias Mos Def) samedi 15 avril, James Brandon Lewis & Thomas Sayers Ellis samedi 15 avril, Ambrose Akinmusire Bird & Basquiat : Now's The Time! dimanche 16 avril, Chassol joue Basquiat samedi 22 avril, Leyla McCalla Radio Haïti vendredi 21 et samedi 22 avril, et Eric Bibb du Mali au Mississippi dimanche 23 avril.

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