Corot peintre de figures au Musée Marmottan : la part intime de l'œuvre
Au premier plan d'un paysage italien, un petit garçon est assis sur un muret. Cette vue de "Tivoli. Les jardins de la Villa d'Este" peinte par Jean-Baptiste Camille Corot en 1843, ouvre l'exposition du musée Marmottan-Monet. Elle rappelle que les paysages de Corot étaient peuplés de figures.
L'exposition est consacrée à une part "secrète" de son œuvre, les peintures de figures. Jean-Baptiste Corot (1796-1875) n'a pas réalisé ces figures pour les exposer, il s'agit plutôt d'études, dont il était parfois très fier et qu'il montrait volontiers à ceux qui venaient lui rendre visite, mais qu'il gardait dans son atelier.
Elles n'en sont sorties qu'après sa mort pour être vendues, souvent à des collectionneurs américains. En revanche, les musées français possèdent peu de figures de Corot : "Au musée du Louvre, nous conservons une centaine de Corot et sur cette centaine, la part des figures est limitée", raconte Sébastien Allard, directeur du département des peintures du Louvre et commissaire de l'exposition. Cette part de l'œuvre a été connue quand 23 figures ont été présentées au Salon en 1909, plus de 30 ans après sa mort.
Reportage France 3 : M. Berrurier / Y. Bodin / S. Richardson
La part la plus moderne de l'œuvre de Corot
Or, pour Sébastien Allard, c'est justement "la part qui était restée dans son atelier, que ce soient les études faites sur le motif en Italie ou les figures", qui "paraît la plus moderne de l'œuvre de Corot".Le musée Marmottan expose une soixantaine de ces figures de Corot. Il s'agit rarement de portraits, car il en a fait peu, pour la plupart dans les années 1830, de proches ou de membres de sa famille.
Généralement il fait poser des modèles. Déjà en Italie, lors de trois voyages en 1825-1828, en 1834 et en 1843, il croque des figures, des personnages typiques et pittoresques, comme le font tous les peintres qui séjournent en Italie, un petit paysan, un vieux berger, un moine. Ces petites études vont servir d'aide-mémoire pour animer les paysages qu'il réalisera plus tard. Un moine peint dans les années 1820 va rester dans son atelier et il reprendra cette figure, quasiment son seul type masculin, trente ans plus tard.
Entre souvenir et réalisme
"Commence à se mettre en place ici le dispositif du souvenir. Pour les figures, la mémoire va être pour Corot une manière de se dégager de ce que le réalisme peut avoir de trop terre à terre, d'éviter de réduire la peinture à un art d'imitation. La question du souvenir, pour cette génération -c'est aussi le cas pour Delacroix-, est tout à fait essentielle", souligne Sébastien Allard.C'est en Italie que Corot peint "Marietta", un nu inspiré de la "Grande Odalisque" d'Ingres dont elle imite la pose. Il garde le tableau dans son atelier, il en est très fier et le montre à tous ceux qui viennent l'y voir. Il s'en inspirera pour ses grands nus de la fin des années 1850 et des années1860, qu'il inscrira dans le paysage. La chair est rendue dans une palette restreinte de blancs et de roses. "C'est une œuvre qui apparaît comme très moderne, une sorte de pré-Balthus", estime le commissaire qui y voit un chef-d'œuvre.
À partir des années 1840, Corot est reconnu et il expose des grands paysages historiques au Salon. Tout le long de sa carrière, il va exposer au Salon et il n'y montrera que quatre figures. Car ce n'est pas la figure en tant que telle qui l'intéresse.
Le sommet, c'est la peinture d'Histoire
"Il faut voir que pour cette génération, le sommet de la peinture c'est la peinture d'Histoire, donc le sommet de la peinture c'est la représentation de l'homme et celle des actions héroïques de l'homme", remarque Sébastien Allard : "Je pense qu'une des grandes parties de l'intérêt pour Corot pour la figure, le fait qu'il la travaille pendant des dizaines d'années dans son atelier sans la diffuser, c'est qu'il cherche à arriver à une fusion à égalité de la figure et du paysage."Corot fait venir des modèles dans son atelier, il les "déguise" avec des costumes qu'il fait venir spécialement d'Italie, utilise des accessoires comme un luth, un tambourin, une faucille. Il les fait poser et aussi bouger dans l'atelier. Pour le commissaire, "quelque chose de l'ordre du réalisme est enclenché et en même temps le mouvement fait que la copie n'est plus possible parce que ça bouge tout le temps et que c'est le souvenir qui va redonner la part d'idéal que la présence du modèle pourrait gêner".
L'Italienne, la Grecque : variations sur un type
À partir de la fin des années 1850, il effectue des variations sur un certain nombre de "types", l'Italienne, la Grecque, la femme à la fontaine. Il ne s'agit pas de portraits de modèles, d'ailleurs il ne leur donne pas de titres, ce qui indique bien leur statut. Les titres, descriptifs, ont été donnés après sa mort. Mais la personnalité des modèles s'affirme parfois, dans "La Moissonneuse tenant sa faucille, la tête appuyée sur la main", qui vous regarde les yeux rieurs, ou "La Blonde Gasconne" au port altier.Ces tableaux sont d'extraordinaires exercices de peinture, la vibration de la végétation suggérée dans "Jeune fille grecque à la fontaine", la légèreté et la transparence des étoffes du costume de "La Jeune Grecque" et les couleurs de son foulard.
Corot emprunte un thème –la liseuse- à la peinture hollandaise du XVIIe, une pose à Dürer, le bleu d'une robe à Michel-Ange ou Léonard de Vinci. "Corot fait une espèce de synthèse de ce qu'il voit au musée avec la présence du modèle", commente Sébastien Allard.
Certains modèles travaillaient en même temps pour le "vieux" Corot et pour les peintres de la nouvelle génération, comme Emma Dobigny qui a posé pour Degas et Puvis de Chavannes.
À la fin de sa vie, de grandes figures inachevées
À la fin de sa vie, dans les années 1870, Corot gagne en liberté et réalise de grandes figures (on serait tenté de dire de grands portraits, mais il s'agit toujours de modèles) toutes inachevées. "J'ai le sentiment qu'elles sont finies mais elles sont laissées à l'état d'inachèvement. Peut-être qu'il est arrivé à une forme d'essence et que ça suffisait", remarque Sébastien Allard.Le pittoresque disparaît dans "La Lecture interrompue" qui fait penser à Manet et qui est une des toiles les plus modernes de Corot.
"L'Italienne ou Femme au manchon jaune" est habillée d'un costume particulièrement coloré à une époque où les paysages du peintre sont de plus en plus monochromes. On devine des chevalets et des cartons à dessin dans le fond : "Le sujet du tableau c'est l'Italienne qui pose dans l'atelier, c'est le peintre à l'œuvre", souligne Sébastien Allard.
Tout se fait dans l'atelier
"On a véhiculé l'image de Corot le peintre qui peint sur nature. C'est vrai qu'il a réalisé des études dehors. Mais elles avaient un statut d'études, elles restaient dans son atelier et c'est quand elles ont été diffusées qu'on en a vu la modernité. Pour Corot, tout se fait en atelier", souligne le commissaire.Et tout se termine dans l'atelier : dans les années 1860-1870, il représente des modèles en costume, luth à la main, sous l'œil de sa "Blonde Gasconne" accrochée au mur, pensives ou contemplatives devant un chevalet où le tableau est parfois déjà encadré. Une scène qui n'a aucun sens, qui n'est pas réaliste du tout, souligne Sébastien Allard. Pour lui "on est dans une forme de sujet moderne, pas dans l'atelier avec le peintre au travail, avec l'agitation de l'atelier comme chez d'autres mais dans une conception poétique et allégorique de l'atelier".
Dans un des derniers tableaux de Corot, Emma Dobigny pose dans l'atelier où, au mur, deux toiles de paysages encadrent sa tête. Elle est vêtue d'une robe bleue qui tombe en cascade, découvrant ses bras nus. "La Dame en bleu" est pratiquement le seul tableau où il habille son modèle en costume contemporain, une réponse aux jeunes peintres modernes que sont Degas, Manet ou Monet. "Finalement, Corot a parfaitement compris la nouvelle peinture et dans un de ses derniers tableaux, il se renouvelle complètement autour de la figure", estime le commissaire.
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