Edvard Munch, un peintre de la vie, de l'amour et de la mort, au musée d'Orsay
Angoisse, mélancolie, jalousie, deuil, Edvard Munch a exploré toute sa vie les émotions humaines. C'est ce que montre une belle exposition du musée d'Orsay (jusqu'au 22 janvier 2023).
"Nous voudrions un art qui nous prend et nous émeut, un art qui naîtrait du cœur", disait Edvard Munch. Le musée d'Orsay propose de voir, à travers une centaine d'œuvres, tableaux, gravures et dessins comment l'artiste norvégien s'y est attaché, revisitant constamment les mêmes thèmes, au centre duquel on trouve les émotions humaines.
En 2010-2011, une grande exposition du Centre Pompidou mettait en avant la "modernité" de l'œuvre d'Edvard Munch (1863-1944), marquée notamment par le développement de la photographie et du cinéma. Si elle ne gommait pas le caractère introverti et angoissé de l'artiste, elle voulait mettre l'accent sur un "autre Munch" qui s'intéressait au monde qui l'entourait.
L'exposition du musée d'Orsay revient à ce qui a été la principale inspiration du peintre, l'âme humaine et les émotions qui l'agitent. Évidemment, Munch n'a pas peint que Le Cri, devenu une icône. On ne verra pas sous forme de toile, seulement sur une gravure, cette silhouette indéfinie et sinueuse, dont les yeux épouvantés et la bouche ouverte symbolisent l'angoisse absolue, renforcée par le rouge du ciel et la diagonale vertigineuse dans son dos. Mais ce qu'on voit au musée d'Orsay est de la même veine.
Émotions
L'émotion est donc au centre de l'exposition. Douleur de la mort d'un proche, amours difficiles et malheureuses, l'exposition nous montre comment Munch, toute sa vie, reprend les mêmes thèmes, parfois les mêmes compositions, jusqu'à l'obsession, en variant les couleurs, la façon de peindre.
L'exposition s'intitule Un poème de vie, d'amour et de mort, des mots de Munch. C'est ainsi qu'il décrit sa "frise de la vie" où il regroupe justement ses principaux motifs. Il faut peindre "des personnes vivantes qui respirent et s'émeuvent, souffrent et aiment", écrit-il dans des notes de 1889-90.
À cinq ans, Munch perd sa mère qui meurt de tuberculose. Il sera ensuite traumatisé par le décès de sa sœur aînée alors qu'il a 14 ans. Il fait scandale en 1886 avec un tableau intitulé L'Enfant malade. Une adolescente, dans un fauteuil, une couverture sur les genoux, regarde une femme assise à côté d'elle. Comme pour exprimer la force de la douleur, il a gratté la peinture. Il en a peint six versions sans compter les dessins, dont une de 1896 est présentée dans l'exposition.
Douleurs de l'amour
Deux scènes de lit de mort se font face. L'une de 1895 montre sa famille autour du corps de sa sœur Sophie, recouvert d'un drap blanc, dans une pièce aux murs rouges. Yeux clos ou au contraire écarquillés expriment la douleur des proches. Sa mère, pourtant déjà disparue, est au premier plan. Comme souvent chez Munch, les couleurs aussi semblent dire les émotions. La version de 1915 reprend exactement la même composition, avec des visages encore plus dépouillés, des couleurs plus expressives. De blanc, le lit est devenu rouge.
Un des premiers tableaux présentés est un Baiser d'une rare intensité où la fusion est totale, les têtes de l'homme et de la femme ne font plus qu'une. Mais l'amour n'est pas rose chez Munch. Les unions impossibles et les sentiments qu'elles suscitent, la femme dévorante voire dangereuse sont omniprésents. Dans Le Vampire, qu'il avait d'abord intitulé Amour et douleur, une femme à la longue chevelure rousse enveloppante plonge dans le cou d'un homme qui semble complètement dominé. Elle projette une grande ombre effrayante à l'arrière-plan. Une autre version de la scène réalisée en 1924-1925 met en scène le couple, nu cette fois dans une forêt luxuriante.
Les longs cheveux des figures féminines sont comme des tentacules qui retiennent, enferment. En 1896 il représente une tête d'homme emprisonnée une chevelure. La femme peut être encore plus clairement dangereuse, quand il peint une surprenante Mort de Marat ou bien une Meurtrière dans un intérieur un peu étouffant où on devine le corps d'un homme allongé sur un divan.
Introspection
Un homme est seul au premier plan, tandis qu'on voit ou devine un couple au lointain. Munch a souvent exploré le motif de la jalousie, comme dans la magnifique Mélancolie de 1894-1896. Et l'angoisse semble étreindre jusqu'aux individus constituant la foule qui s'avance vers le spectateur dans Soirée sur l'avenue Karl Johan.
Toute sa vie, Edvard Munch a aussi pratiqué l'autoportrait, en forme d'introspection, où il exprime généralement le tourment. L'exposition s'ouvre sur un tableau où le jeune artiste de 32 ans, dont seul le visage est éclairé, a les yeux hallucinés et perdus, pleins d'angoisse. Dans une lithographie de 1895, il se représente avec un bras de squelette. Jusqu'au dernier autoportrait du début des années 1940, peu avant sa mort, où il se peint de quelques traits, avec une ombre qui pourrait être son fantôme.
La frise qu'il réalise pour Max Linde, son mécène, pour la chambre de ses enfants, est plus légère, par les couleurs et la nature omniprésente, même s'il reprend des thèmes qui lui sont chers, comme le personnage isolé dans un parc où des couples s'embrassent sur tous les bancs. L'œuvre est finalement refusée par son commanditaire qui ne la juge pas appropriée.
Edvard Munch, "Un poème de vie, d'amour et de mort"
Musée d'Orsay, esplanade Valéry Giscard d'Estaing, 75007 Paris
tous les jours sauf le lundi, 9h30-18h, le jeudi jusqu'à 21h45
16 € / 13 € et 10 € pour tous les jeudis à partir de 18h
Du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023
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