Des chefs d'oeuvre inconnus de l'art naïf au musée Maillol
Le musée Maillol à Paris accueille une centaine de tableaux issue du monde insolite des peintres naïfs. A la fin du XIXème siècle et au début du XXème, ces artistes singuliers ont renouvelé la peinture à leur manière. Du Douanier Rousseau à Séraphine Louis, coup de projecteur sur les primitifs modernes.
Reportage: Valérie Gaget, Jean-Marie Lequertier, Jean-François Lons et Delphine Chevalier
On les appelle les naïfs, les primitifs modernes, les peintres enfants, les peintres du dimanche ou, plus méchamment, les illettrés de la peinture. Ces autodidactes passionnés étaient souvent issus de milieux modestes et exerçaient tous types de métiers: douanier pour Henri Rousseau, femme de ménage pour Séraphine Louis, lutteur de foire pour Camille Bombois, employés des postes pour Louis Vivin et René Rimbert...
Au début du XXe siècle, certains de ces artistes vivaient à Montmartre, trouvant leur inspiration dans les monuments parisiens. À l'ombre de la Basilique du Sacré-Cœur, nous avons rencontré leurs très lointains héritiers : les artistes de la place du Tertre.
Montmartre, un quartier emblématique de l'art naïf
Michel Huyghe vend ses toiles dans le quartier depuis quarante ans. Il nous donne la parfaite définition d'un peintre naïf. "Un peintre naïf, c'est quelqu'un qui n'a pas fait d'études. Il peint par instinct, sans avoir appris." Pour lui, il n'y a absolument rien de péjoratif dans le fait d'être qualifié de naïf. Sa voisine de chevalet, Marie Cikalovski, est d'origine croate. Autodidacte, elle vend ses petites toiles colorées entre 40 et 100 euros. Elle dit avoir commencé par "faire du naïf", un style qu'elle adore. "C'est gai, c'est frais", dit-elle.
Historienne de l'art, Jeanne-Bathilde Lacourt, l'une des commissaires de l'exposition, nous guide vers un lieu emblématique de l'art naïf à Montmartre: la place Constantin Pecqueur. En 1921, la Commune Libre de Paris, sorte de municipalité parallèle qui organise des événements festifs et solidaires, y installa la première "Foire aux croûtes".
La Foire aux Croûtes
" Certains artistes comme Louis Vivin et Camille Bombois ont pu exposer ici . A l'inverse d'autres artistes, eux n'avaient pas accès au salon des Indépendants ou aux marchands d'art. La Foire aux Croûtes leur a permis d'être vus par des collectionneurs et des marchands qui, ensuite, les ont pris sous leur aile et les ont exposés dans leurs boutiques", explique Jeanne-Bathilde Lacourt. Parmi eux, le collectionneur et critique d'art Wilhelm Uhde (1874-1947) qui joua un rôle essentiel dans la reconnaissance du talent des naïfs.
"Les peintres naïfs ne se connaissaient pas vraiment, poursuit Jeanne-Bathilde Lacourt. Ils ne formaient pas un groupe mais ils avaient un certain nombre de points communs. Ce sont des autodidactes sans formation. Ils n'ont pas fait d'école et ne sont pas issus du milieu de l'Art. Ils ne sont pas professionnels, ils peignent sur leur temps libre. C'est pour cette raison que l'on a parlé de peintres du dimanche. Louis Vivin a fait une carrière de postier toute sa vie. Ce n''est qu'une fois à la retraite dans les années 20 qu'il s'est consacré pleinement à la peinture."
Au bout d'un certain temps, certains réussiront néanmoins à vivre de leur peinture soit parce que leurs toiles se vendaient bien soit parce qu'ils étaient financés par des collectionneurs. Séraphine Louis fut par exemple soutenue par Wilhem Uhde qui lui versa une petite rente et exposa ses toiles pendant quelques années. Victime de la crise, il cessera de l'aider en 1932. Fragile depuis longtemps, Séraphine Louis s'effondra et fut admise à l'asile de Clermont de l'Oise où elle s'éteignit en 1942.
Un imaginaire coloré
La peinture des naïfs présente souvent des sujets populaires, à l'aspect enfantin. Leurs tableaux se caractérisent par des tons très colorés et une grande minutie dans les détails. Ces artistes n'appliquent pas les règles de la perspective traditionnelle. "Il y a chez eux une certaine fraîcheur. Ils ne suivent pas les codes donc il y a souvent un petit décalage, un détail incongru qui leur donne une grande originalité", note Jeanne-Bathilde Lacourt.
L'un des buts de l'exposition est de redonner une visibilté à des artistes qui n'ont pas eu la même reconnaissance que le Douanier Rousseau. Il est le premier historiquement et le seul à avoir connu la gloire. "Il a été vu par Picasso qui possédait certaines de ses oeuvres, il a été remarqué par le poète et critique d'art Apollinaire. Il a eu très tôt du succès, même de son vivant. C'est une sorte de figure tutélaire" ajoute la commissaire de l'exposition.
Le grand mérite du musée Maillol est de nous faire découvrir d'autres peintres très talentueux. Nous avons été frappés par le bestiaire d'André Bauchant, les autoportraits de Ferdinand Desnos et de Jean Eve, les marines de Dominique Peyronnet, les nus de Camille Bombois... "On vous invite à aller au delà du groupe pour entrer vraiment dans l'univers de chacun", conclut Alex Susanna, l'autre commissaire de l'exposition. Chaque artiste a un monde à lui, ses techniques, ses obsessions et ce sont des mondes tout à fait irréductibles". Il ajoute que la plupart de ces peintres sont, sans le vouloir, subversifs. "Ils n'ont aucun problème pour transgresser les codes et créer leur propre langage". Alex Susanna poursuit: "Ce genre de peinture qui partage un regard ébloui vis à vis de la réalité, un regard un peu innocent, s'est étendu sur tout l'art du XXème siècle (...) On peut considérer que Marc Chagall est aussi un peintre naïf".
Comme l'écrivait le poète Louis Aragon, il serait naïf de croire cette peinture naïve.
"Du Douanier Rousseau à Séraphine: les grands maîtres naïfs", une exposition visible au Musée Maillol à Paris jusqu'au 19 janvier 2020.
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