Cet article date de plus de sept ans.
Frédéric Bazille et les jeunes impressionnistes au Musée d'Orsay
Frédéric Bazille a passé les années 1860 avec ceux qui allaient devenir les impressionnistes. Il ne participe pourtant pas à leur première exposition et ne connaîtra pas les développements du mouvement car il meurt à 28 ans. C'est un vrai acteur de cette révolution de l'art et non un compagnon dilettante de ses grands noms que la rétrospective du Musée d'Orsay nous présente (jusqu'au 5 mars).
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Reportage : P.Chalumeau, M.Félix, B.Saïd
Frédéric Bazille a laissé, de ses sept années de production artistique, une soixantaine de tableaux. C'est petit à petit que son œuvre est revenue au grand jour, au gré de dons de sa famille, notamment au musée Fabre de Montpellier. En 1910, une rétrospective est organisée au Salon d'Automne, visitée par Monet. Il fait l'objet d'une monographie en 1932, le musée Fabre lui offre une rétrospective en 1941…
Cette exposition parisienne est la première consacrée à Frédéric Bazille présentée par un musée national français. Réunion presque exhaustive de ses peintures, elle est le fruit d'une collaboration entre Orsay, le Musée Fabre où elle était l'été dernier, et la National Gallery of Art de Washington où elle sera au printemps prochain. Ces trois institutions sont celles qui ont les collections les plus importantes du peintre.
Frédéric Bazille naît en 1841 à Montpellier, dans la grande bourgeoisie protestante. Son père, agronome et viticulteur, a aussi des responsabilités politiques. La famille l'imagine médecin mais il apprend le dessin et admire au Musée Fabre les chefs-d'œuvre de Delacroix et Courbet. C'est donc pour des études de médecine (abandonnées deux ans plus tard) qu'il monte à Paris, en 1862, mais il s'inscrit en même temps dans l'atelier de Charles Gleyre où il rencontre Claude Monet, Auguste Renoir et Alfred Sisley.
"J'espère bien, si je fais jamais quelque chose, avoir au moins le mérite de ne copier personne", dit Bazille. Mais il s'inscrit indéniablement dans un mouvement, celui de la jeunesse de l'impressionnisme.
Il a les moyens et partage ses ateliers (il va en occuper successivement six) avec ses amis fauchés : ils y peignent les mêmes modèles ou se peignent mutuellement. L'exposition montre tout le long ses tableaux au côté de ceux de ses compagnons, pour montrer la proximité de leurs recherches et de leurs préoccupations artistiques. C'est toute une génération qui, dans les années 1860, révolutionne la façon de travailler, sort de la peinture d'histoire pour peindre la vie moderne, renouvelle le portrait et le nu dans un sens plus réaliste, généralisent la peinture en plein-air.
Bazille effectue plusieurs scènes d'atelier qui racontent un joyeux compagnonnage, des locations de la rue de Furstenberg et de la rue Visconti, sombres et exigues, à l'atelier plus spacieux de la rue La Condamine, aux Batignolles, le quartier de l'avant-garde, où la bande se retrouve pour discuter autour d'un tableau sur le chevalet et où Edmond Maître joue du piano (Bazille était lui-même amateur de musique et pianiste).
Dans le sud aussi, Bazille installe des figures contemporaines en plein-air, un genre nouveau qui rompt avec la peinture d'histoire et qui intéresse également Monet ou Renoir. Dans l'ombre au premier plan, une jeune fille est assise sur un muret qui surplombe un village inondé de lumière ("La robe rose", 1864). Sur une terrasse à l'ombre des marronniers, une dizaine de personnages endimanchés nous regardent, devant un paysage plombé de soleil. Pour ses figures, il conserve un dessin précis tandis que pour le fond, il adopte une touche plus floue, plus "impressionniste" pourrait-on dire, même si le terme n'existe pas encore.
A côté de nus féminins plus convenus, les figures les plus audacieuses de Bazille sont ses nus masculins dans la nature, très actuels et éloignés des nus antiques, où certains ont vu une homosexualité sublimée. Au bord de l'eau, un jeune homme nu de dos s'apprête à lancer un filet, tandis que, plus loin, assis dans l'herbe, un autre finit de se déshabiller. "Le Pêcheur à l'épervier", jugé trop réaliste, est refusé au Salon de 1869. Quelques mois plus tard, le peintre a rhabillé ses baigneurs pour une "Scène d'été" tout aussi sensuelle, dans de forts contrastes de lumière et de couleurs.
En 1866 Bazille écrit à sa mère, à qui il demande des sous pour se payer des modèles vivants : "Ne me condamnez pas à la nature morte perpétuelle". Il semble pourtant, comme tous ses compagnons, prendre plaisir à la peinture de fleurs. Une salle entière présente des bouquets : un "Vase de fleurs sur une console" de Bazille répond à un "Vase de fleurs à la console" de Delacroix.
La "Branche de pivoines blanches" d'Edouard Manet est géniale : un simple tourbillon de blanc évoque toute la sensualité de ces fleurs tandis que des "Pensées" de Fantin-Latour (1874) explosent de couleur, de fraîcheur et de vivacité. Celles de Bazille paraîtraient presque fades à côté, même si on peut admirer la modernité de son "Etude" où les fleurs serrées de toutes les couleurs éclatent dans la lumière et emplissent presque tout le cadre, tandis qu'on devine dans l'ombre les pots où elles sont plantées et qu'un bouquet emballé dans du papier est jeté au sol.
De façon un peu inexplicable, Frédéric Bazille s'engage en août 1870 et se fait tuer lors d'un assaut près d'Orléans, fin novembre, quelques jours avant ses 29 ans. C'est un peintre en plein devenir qui est fauché. Et quand la première exposition du groupe impressionniste a lieu à Paris en 1874, aucune de ses toiles n'y figure. Il sera évoqué à la deuxième par un portrait peint par Renoir.
Frédéric Bazille a laissé, de ses sept années de production artistique, une soixantaine de tableaux. C'est petit à petit que son œuvre est revenue au grand jour, au gré de dons de sa famille, notamment au musée Fabre de Montpellier. En 1910, une rétrospective est organisée au Salon d'Automne, visitée par Monet. Il fait l'objet d'une monographie en 1932, le musée Fabre lui offre une rétrospective en 1941…
Cette exposition parisienne est la première consacrée à Frédéric Bazille présentée par un musée national français. Réunion presque exhaustive de ses peintures, elle est le fruit d'une collaboration entre Orsay, le Musée Fabre où elle était l'été dernier, et la National Gallery of Art de Washington où elle sera au printemps prochain. Ces trois institutions sont celles qui ont les collections les plus importantes du peintre.
Une œuvre de jeunesse
Il s'agit d'une œuvre de jeunesse, une œuvre en devenir qui n'a pas connu son épanouissement et on peut se demander, comme à chaque fois qu'un artiste disparaît aussi jeune, comment elle aurait évolué.Frédéric Bazille naît en 1841 à Montpellier, dans la grande bourgeoisie protestante. Son père, agronome et viticulteur, a aussi des responsabilités politiques. La famille l'imagine médecin mais il apprend le dessin et admire au Musée Fabre les chefs-d'œuvre de Delacroix et Courbet. C'est donc pour des études de médecine (abandonnées deux ans plus tard) qu'il monte à Paris, en 1862, mais il s'inscrit en même temps dans l'atelier de Charles Gleyre où il rencontre Claude Monet, Auguste Renoir et Alfred Sisley.
"J'espère bien, si je fais jamais quelque chose, avoir au moins le mérite de ne copier personne", dit Bazille. Mais il s'inscrit indéniablement dans un mouvement, celui de la jeunesse de l'impressionnisme.
Une génération qui révolutionne la peinture
Il a les moyens et partage ses ateliers (il va en occuper successivement six) avec ses amis fauchés : ils y peignent les mêmes modèles ou se peignent mutuellement. L'exposition montre tout le long ses tableaux au côté de ceux de ses compagnons, pour montrer la proximité de leurs recherches et de leurs préoccupations artistiques. C'est toute une génération qui, dans les années 1860, révolutionne la façon de travailler, sort de la peinture d'histoire pour peindre la vie moderne, renouvelle le portrait et le nu dans un sens plus réaliste, généralisent la peinture en plein-air.Bazille effectue plusieurs scènes d'atelier qui racontent un joyeux compagnonnage, des locations de la rue de Furstenberg et de la rue Visconti, sombres et exigues, à l'atelier plus spacieux de la rue La Condamine, aux Batignolles, le quartier de l'avant-garde, où la bande se retrouve pour discuter autour d'un tableau sur le chevalet et où Edmond Maître joue du piano (Bazille était lui-même amateur de musique et pianiste).
En plein air
Plusieurs fois entre 1863 et 1865, avec Monet, Bazille va peindre en forêt de Fontainebleau. Déjà, il joue avec la lumière, illuminant un rocher alors que les arbres du premier plan sont dans l'ombre. Mais c'est aux beaux jours, quand il rentre chez lui à Montpellier, qu'il donne toute la mesure de son art. Une année, il a envie de se rendre à Aigues-Mortes, dont il affirme ne jamais avoir vu de peinture. Il y fait trois tableaux des remparts, roses dans une douce lumière, exposés à côté d'un Paul Guigou de la même époque ("Lavandières sur les bords de la Durance"), cousin pour la clarté qu'il a saisie de l'autre côté du Rhône.Dans le sud aussi, Bazille installe des figures contemporaines en plein-air, un genre nouveau qui rompt avec la peinture d'histoire et qui intéresse également Monet ou Renoir. Dans l'ombre au premier plan, une jeune fille est assise sur un muret qui surplombe un village inondé de lumière ("La robe rose", 1864). Sur une terrasse à l'ombre des marronniers, une dizaine de personnages endimanchés nous regardent, devant un paysage plombé de soleil. Pour ses figures, il conserve un dessin précis tandis que pour le fond, il adopte une touche plus floue, plus "impressionniste" pourrait-on dire, même si le terme n'existe pas encore.
Des nus masculins audacieux
A côté de nus féminins plus convenus, les figures les plus audacieuses de Bazille sont ses nus masculins dans la nature, très actuels et éloignés des nus antiques, où certains ont vu une homosexualité sublimée. Au bord de l'eau, un jeune homme nu de dos s'apprête à lancer un filet, tandis que, plus loin, assis dans l'herbe, un autre finit de se déshabiller. "Le Pêcheur à l'épervier", jugé trop réaliste, est refusé au Salon de 1869. Quelques mois plus tard, le peintre a rhabillé ses baigneurs pour une "Scène d'été" tout aussi sensuelle, dans de forts contrastes de lumière et de couleurs.En 1866 Bazille écrit à sa mère, à qui il demande des sous pour se payer des modèles vivants : "Ne me condamnez pas à la nature morte perpétuelle". Il semble pourtant, comme tous ses compagnons, prendre plaisir à la peinture de fleurs. Une salle entière présente des bouquets : un "Vase de fleurs sur une console" de Bazille répond à un "Vase de fleurs à la console" de Delacroix.
Des fleurs plein le cadre
La "Branche de pivoines blanches" d'Edouard Manet est géniale : un simple tourbillon de blanc évoque toute la sensualité de ces fleurs tandis que des "Pensées" de Fantin-Latour (1874) explosent de couleur, de fraîcheur et de vivacité. Celles de Bazille paraîtraient presque fades à côté, même si on peut admirer la modernité de son "Etude" où les fleurs serrées de toutes les couleurs éclatent dans la lumière et emplissent presque tout le cadre, tandis qu'on devine dans l'ombre les pots où elles sont plantées et qu'un bouquet emballé dans du papier est jeté au sol.De façon un peu inexplicable, Frédéric Bazille s'engage en août 1870 et se fait tuer lors d'un assaut près d'Orléans, fin novembre, quelques jours avant ses 29 ans. C'est un peintre en plein devenir qui est fauché. Et quand la première exposition du groupe impressionniste a lieu à Paris en 1874, aucune de ses toiles n'y figure. Il sera évoqué à la deuxième par un portrait peint par Renoir.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.