Joan Mitchell et Claude Monet à la Fondation Louis Vuitton : une extraordinaire peinture de l'émotion
C'est certainement l'exposition à ne pas rater à Paris cette saison : la Fondation Louis Vuitton confronte les couleurs vibrantes de l'Américaine Joan Mitchell au dernier Monet qui la rejoint dans une évocation quasi abstraite et sensible du paysage.
C'est à une très belle double exposition autour de Joan Mitchell que nous invite la Fondation Louis Vuitton à Paris : une rétrospective de la peintre américaine, grande figure de l'expressionnisme abstrait, et une mise en résonance de ses œuvres, souvent inspirées de la nature et de ses émotions, avec celles du "dernier" Monet, celui des Nymphéas.
Si vous ne connaissez pas bien Joan Mitchell (1925-1992), commencez au niveau du rez-de-bassin de la Fondation : on suit son parcours à travers une cinquantaine de toiles, petites, grandes voire monumentales, uniques ou en diptyques, triptyques. Une peinture de l'émotion qui explose de couleurs et de lumière.
Une peinture paysage
Née à Chicago d'un père médecin et peintre amateur et d'une mère poétesse, Joan Mitchell étudie à l'Art Institute de Chicago et s'installe en 1947 à New York. Elle passe une année en France en 1948-1949.
Dans les années 1950, elle est une des rares femmes à exposer au côté des expressionnistes abstraits, Jackson Pollock, Robert Motherwell, Willem de Kooning, notamment à la 9th Street Exhibition of Painting and Sculptures, considérée comme l'événement fondateur du mouvement.
A la fin des années 1940, elle a adopté définitivement l'abstraction. Elle disait pourtant : "Ma peinture est abstraite mais c'est aussi un paysage." Car s'il n'y a aucune figuration dans ses toiles, elles font référence très rapidement à des paysages, comme ce City Landscape de 1955 dont les couleurs et l'intensité de la touche évoque l'effervescence de la ville, ou bien Evenings on 73rd Street (1957) où les traits de pinceau de couleurs vives semblent pétiller comme les soirées passées avec ses amis peintres et poètes à New York.
Le souvenir des sentiments
Mais c'est essentiellement la nature qui va l'inspirer. En 1955 elle décide de s'installer à Paris et navigue entre la France et New York, avant d'acheter, en 1967, une maison en Normandie, à Vétheuil, où elle s'installera complètement. Elle aime la vue sur les champs de blé et la Seine, les tournesols qui entourent la maison.
Sa peinture vibre de quelque chose d'indéfinissable et difficile à expliquer, qui communique au spectateur une grande émotion. Dans un extrait d'un film de 1976 réalisé par Angeliki Haas, l'artiste explique qu'elle travaille à partir du souvenir des sentiments que lui donne la nature. Elle travaille la nuit, entourée de ses chiens et de musique, à partir de ces "feelings" laissés par le paysage. "Une peinture doit fonctionner, dit-elle. Ça marche ou ça ne marche pas." Et ça marche.
Elle utilise une peinture plus ou moins diluée ou épaisse, des coulures, comme dans un tableau magnifique de 1970-1971, La ligne de la rupture, où la pâte d'un jaune éclatant ou d'un blanc contraste avec des bleus liquides.
Tournesols et corbeaux
A la campagne, Mitchell a la place de travailler sur de grandes toiles, et se met à réaliser de monumentaux diptyques ou triptyques. Elle explique dans l'extrait de film qu'elle aime aussi travailler de plus petits formats où elle voudrait donner la même sensation d'espace. La campagne normande lui inspire des Champs constitués de grands rectangles de couleurs différentes. Celles-ci sont de plus en plus éclatantes alors que, paradoxalement, elle vit des deuils successifs (on le verra dans la deuxième exposition, avec les hommages à sa sœur et à son amie Audrey) et le départ en 1979 de son compagnon, le peintre canadien Jean Paul Riopelle, avec qui elle a vécu près de 25 ans. "La peinture est ce qui me permet de survivre", dit-elle.
Des tourbillons jaunes ou orange qui évoquent les tournesols se répandent sur des toiles lumineuses, en écho aux tournesols de Van Gogh. A la fin de sa vie, Joan Mitchell est malade. En hommage au Champ de blé avec corbeaux, dont il a été dit qu'il était le dernier de Van Gogh, elle peint No Birds. Au-delà des touches sombres qui font penser aux corbeaux et au jaune du blé, elle nous plonge dans une atmosphère étonnamment proche.
Joan Mitchell a aussi dialogué avec Cézanne, qu'elle admirait, tout comme Matisse. Elle aimait beaucoup moins Claude Monet : "J'aime le dernier Monet mais pas celui des débuts", disait-elle. Elle se défendait de copier le père de l'impressionnisme, qui avait vécu lui-même à Vétheuil, avant de s'installer à Giverny, à quelques kilomètres de là.
"Le matin c'est violet"
La deuxième exposition de la Fondation Vuitton rapproche pourtant l'art de Joan Mitchell de ce dernier Monet, celui de son ultime sujet, les nymphéas qui flottent dans le bassin du jardin qu'il a créé lui-même et qu'il appelle son "plus beau chef-d'œuvre". Car, comme Mitchell, c'est la sensation ressentie devant la nature qu'il veut retranscrire sur la toile. A la fin de sa vie, sa touche se libère et devient presque abstraite.
Dans une lettre de 1912, il note : "Je sais seulement que je fais ce que je peux pour rendre ce que j’éprouve devant la nature et que le plus souvent, pour arriver à rendre ce que je ressens, j’en oublie totalement les règles les plus élémentaires de la peinture, s’il en existe toutefois. Bref, je laisse apparaître bien des fautes pour fixer mes sensations."
Entre les deux artistes, la proximité des couleurs est parfois saisissante. Au centre d'une salle sont accrochés un saule et un reflet de saule sur le bassin, de la main de Monet. Entre les deux, une ouverture laisse voir un quadriptyque de Mitchell, Quatuor II for Betsy Jolas (1976), dédié à une compositrice. On y trouve les mêmes bleus, les mêmes violets. "Le matin, surtout très tôt, c’est violet ; Monet a déjà montré cela… Moi, quand je sors le matin c’est violet, je ne copie pas Monet", se défendait pourtant la peintre américaine.
"Les Agapanthes" de Monet et "La Grande vallée" de Mitchell
Les couleurs vives de sublimes études de plantes (iris, hémérocalles) de Monet répondent à celles d'Un jardin pour Audrey de Mitchell. Two Pianos, une toile de Mitchell où les touches orange s'envolent comme des notes (elle s'est beaucoup inspirée de la poésie et de la musique) est accrochée entre des petits Monet automnaux des dernières années, quasi abstraits.
Pour finir, l'exposition réunit exceptionnellement Les Agapanthes, trois panneaux sur lesquels Monet a travaillé pendant dix ans, et dix des toiles du cycle de La Grande vallée (1983-1984) de Mitchell. Sur les premiers, dispersés entre trois musées américains, les nymphéas posés sur l'eau, tracés de quelques traits, semblent flotter dans les airs. Dans les seconds, Mitchell déploie des feux d'artifices de couleurs puissantes, jaunes, verts, bleus, parfois ponctués de rouge.
Claude Monet - Joan Mitchell
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75116 Paris
Tous les jours sauf le mardi. Lundi, mercredi et jeudi, 11h-20h. Vendredi 11h-21. Samedi et dimanche 10h-20h. Nocturne le 1er vendredi du mois jusqu'à 23h. Tous les jours de 10h à 20h pendant les vacances scolaires.
Tarifs : 16 € / 10 € / 5 €
5 octobre 2022 - 27 février 2023
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