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L'art prend le pouvoir sur les murs de Téhéran

Depuis quelques jours, les habitants de Téhéran ont la surprise de voir les affiches publicitaires de leur ville remplacées par des copies d'œuvres d'artistes iraniens ou étrangers, notamment Picasso, Matisse ou Van Gogh.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
A Téhéran, une reproduction d'oeuvre de David Hockney ("Winter Timber"), 9 mai 2015
 (Behrouz Mehri / AFP)

"C'est super de voir tous ces tableaux. Ca change des publicités pour telle ou telle marque", se réjouit Leyla Mohammadi, une étudiante de 24 ans.
              
Alors qu'embouteillages et pollution rendent la vie souvent  pénible à Téhéran, l'apparition de ces oeuvres d'art adoucit l'atmosphère dans l'immense agglomération qui compte plus de 12 millions d'habitants.
              
Les automobilistes peuvent ainsi patienter en voiture en admirant "Les Tournesols" de Vincent van Gogh, "Le Cri" d'Edvard Munch, "La Fenêtre Bleue" d'Henri Matisse ou de nombreux tableaux iraniens.              

Magritte exposé sur un panneau publicitaire de Téhéran (9 mai 2014)
 (Behrouz Mehri / AFP)


Des centaines d'œuvres remplacent des publicités 

Au total, 200 oeuvres d'artistes occidentaux ou asiatiques ont été reproduites aux côtés de celles de 500 artistes iraniens et s'affichent sur les murs durant dix jours. Pour  ne pas créer de controverse, aucun artiste vivant, en particulier iranien, n'a été sélectionné dans le cadre de cette opération baptisée "Une galerie de la taille d'une ville".
              
Après la Révolution islamique de 1979, le pouvoir avait commencé par interdire toute forme de publicité pour combattre la culture de consommation matérialiste. Les publicités ont timidement fait leur apparition au début des années 1990 sur les murs de Téhéran et à la télévision. Depuis, elles ont envahi le petit écran et les murs des villes.
              
"L'idée d'une telle opération a été évoquée pour la première fois il y a environ dix ans par le sculpteur Saïd Shahlapour, mais elle s'est concrétisée il y a un an ou deux", explique à l'AFP Hamed Rezaïe, de l'Organisation pour l'embellissement de la ville. L'initiative a été montée en moins d'un mois, en respectant bien sûr les restrictions imposées par le pouvoir islamique dans le choix des oeuvres.              
"La fenêtre bleue" de Matisse affichée au bord de l'autoroute à Téhéran (9 mai 2015)
 (Behrouz Mehri / AFP)


Les compagnies ont joué le jeu 

"Ce qu'ils ont fait est incroyable (...) c'est une action culturelle exemplaire", salue Lilie Gholestan, l'une des plus anciennes patronnes de galerie d'art à Téhéran dans un billet publié par le quotidien modéré Shargh.
              
"Mes clients sont tous contents. Faire connaître les artistes étrangers et iraniens, c'est très bien", témoigne pour sa part Mohsen Moslemi, un chauffeur de taxi collectif d'une soixantaine d'année.
 
"Les compagnies doivent réserver 10 à 15% de leurs contrats publicitaires avec la mairie à des actions culturelles sous forme de publicité (...) Celles qui avaient réservé les panneaux pour cette période ont financé l'impression des copies des oeuvres qui sont affichées", précise Hamed Rezaïe. "Elles ont parfaitement collaboré avec nous."              
Un "Arlequin" de Picasso à Téhéran
 (Behrouz Mehri / AFP)


Des conseils moraux sont souvent affichés aussi 

Les municipalités ont également l'habitude d'afficher des panneaux avec des conseils moraux ou des principes religieux. Ces derniers mois, on a également vu des posters anti-américains sur certains panneaux de la capitale.
 
"Contempler des oeuvres d'art dans un lieu calme et en silence a sans aucun doute plus d'effet, mais combien de personnes peuvent aller dans les galeries et les musées ? Nous voulions rappeler l'art aux gens", souligne le patron de l'Organisation de l'embellissement de la ville, Jamal Kamyab.
              
Les autorités municipales démentent en revanche toute visée politique. "Cela m'étonne vraiment" que certains pensent cela, "il n'y a rien de politique. C'est juste un projet pour améliorer le niveau culturel des citoyens", assure Hamed Rezaïe. "L'opération est un tel succès que nous allons la recommencer, une ou deux fois par an."              

Un maire qui multiplie les projets culturels 

Quoi qu'il en soit, cette opération devrait bénéficier au maire conservateur de Téhéran, Mohammad Bagher Ghalibaf, un conservateur de 54 ans élu en 2005. Certains experts estiment qu'il n'a pas perdu l'espoir de se présenter de nouveau à la présidentielle de 2017, après avoir été battu en 2005 et en 2013.
              
Ancien commandant de l'armée de l'air des Gardiens de la révolution et ancien chef de la police nationale, il est considéré comme un bon gestionnaire.
              
Ces dernières années, le maire a multiplié les projets culturels (transformation d'une prison en parc-musée, etc.), inauguré de vastes parcs ou des complexes sportifs, et fait construire des autoroutes et des ponts pour améliorer le quotidien des Téhéranais.

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