L'histoire fabuleuse du "Triomphe de la religion" d'Eugène Delacroix
La cathédrale d'Ajaccio conserve en ses murs une toile d'Eugène Delacroix datant de 1821. En deux siècles, "Le Triomphe de la Religion" ou "La Vierge du Sacré Cœur" a connu une véritable épopée. Cette peinture, un temps attribuée à Théodore Géricault, a finalement été identifiée comme une oeuvre de Delacroix.
Jean-Marc Idir, peintre et spécialiste de l'Histoire de l'art a consacré ses dernières recherches à cette oeuvre.
Passionné par l'histoire rocambolesque du tableau il dévoile aujourd'hui ses découvertes et son analyse dans un livre intitulé "Delacroix, genèse d'un génie".
Reportage : S. Agostini / S. Hasnaoui / M. Serkissian-Ceccarelli
Une commande adressée à Géricault
Le 31 décembre 1819, Géricault reçoit de la direction des musées la commande d’une peinture sur le thème de la Vierge du Sacré-Cœur. Probablement peu tenté par le sujet, le peintre confie clandestinement le travail à Delacroix, lui-même gardant le privilège de la signature."Il vient de m’arriver une commande [...] C’est un tableau pour un évêque de Nantes [...] il faut [...] en avoir fait des esquisses peintes et des ébauches pour les soumettre audit évêque", écrit Eugène Delacroix à sa sœur Henriette de Verninac le 28 juillet 1820.
A l’origine, le destinataire de cette commande, une grande toile représentant la Dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, est donc le peintre Géricault qui la cède, en secret, au jeune Delacroix agé de 22 ans à l'époque. Ce dernier exécute en 1821 une petite esquisse très proche de la composition définitive du tableau, finalement placée dans la cathédrale d’Ajaccio.
Le manque d'inspiration
Dès juillet 1820, Delacroix se met au travail et sa correspondance témoigne de ses difficultés d’inspiration et de composition. "L’idée de ce tableau que j’ai à faire me poursuit comme un spectre. [...] tout ce que j’ai voulu chercher n’a été que misérable" avoue-t-il à son ami Pierret, le 20 octobre 1820.C’est en définitive une composition proche du style monumental de Géricault que présente la petite esquisse du musée Delacroix, ne différant pas sensiblement du tableau de la cathédrale d’Ajaccio, excepté par ses dimensions.
A n’en pas douter, le peintre se devait d’imiter la manière de son ami, qu’évoquent aussi la palette des tons ocres et bruns, les bleus et les rouges foncés. Le tableau est achevé à la fin de l’année 1821.
Reportage : S. Agostini / C. Ferrer / A. Girardin
Le tableau envoyé à Ajaccio sous le nom de Géricault
La peinture exécutée par Delacroix était donc à la base destinée à la cathédrale de Nantes. Mais les autorités religieuses la rejettent. Elle est alors envoyée en 1827 avec un nouveau titre "LeTriomphe de la Religion" à la cathédrale d’Ajaccio sous le nom de Géricault. C'est en 1842, que Louis Batissier révèle dans un article la supercherie en donnant le nom du véritable auteur, mais on ne connaîtra la localisation exacte du tableau qu’en 1930.
Une préfiguration à "La liberté guidant le peuple"
Première œuvre de maître arrivée en Corse où elle devait amorcer la création du musée Fesch, La Vierge du Sacré-Cœur est également la première toile monumentale de Delacroix ; elle préfigure aussi "La Liberté guidant le peuple" : même archétype féminin pour les deux compositions allégoriques du plus grand peintre du XIXe siècle, même composition, même lumière...
Oeuvre charnière dans l'histoire de l'art
"La Vierge du Sacré-Cœur" marque le début d’une longue suite d’œuvres d’inspiration religieuse qui trouvent leur apothéose dans les magistrales peintures murales de l’église Saint-Sulpice."La Vierge du Sacré-Cœur" constitue surtout le chaînon manquant entre le néoclassicisme et le romantisme : l’œuvre montre d’où vient le peintre et, surtout, annonce où il va.
Jusqu’en 1930, seules les études préparatoires, qui ne laissaient guère pressentir l’ouvrage définitif, demeuraient connues des historiens ; une véritable mise en valeur restait donc à faire.
Cette étude inédite de La Vierge du Sacré-Cœur permet notamment de mesurer l’influence cruciale de la peinture britannique chez Delacroix.
Le Triomphe de la Religion restera dans la cathédrale d'Ajaccio
Aujourd'hui, la cathédrale d'Ajaccio conserve jalousement la toile de Delacroix. Il n'est pas question pour les conservateurs de la collectivité térritoriale Corse de déplacer l'oeuvre. Sophie Cueille le confirme "Un tableau religieux a toute sa place dans un édifice religieux, même si c'est un Delacroix"Source documentaire : Musée Delacroix de Paris et Jean-Marc Idir
>L'ouvrage "Delacroix, Genèse d'un génie" de Jean-Marc Idir vient de sortir chez Cohen&Cohen
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.