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Humour, trompe-l'œil, libertinage... Cinq raisons de découvrir le peintre du 18e siècle Boilly, au Musée Cognacq-Jay

Portraitiste et caricaturiste génial, illusionniste virtuose, le peintre Louis-Léopold Boilly fut un observateur minutieux de ses contemporains et de la vie parisienne des 18e et 19e siècles. Voici 5 bonnes raisons de découvrir cet artiste aux multiples facettes au Musée Cognacq-Jay à Paris jusqu'au 26 juin. 

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Louis-Léopold Boilly (1761-1845). A gauche: "Jean qui rit" (vers 1808-1810). Huile sur toile 21,5 x 17 cm, Collection particulière. A droite: "L'Entrée du théâtre de l'Ambigu-Comique à une représentation gratis", 1819. Huile sur toile, 65,5 x 81 cm. Paris, Musée du Louvre, Département des Peintures, Legs Mr George Heine. (COLLECTION PARTICULIERE / GUILLAUME BENOIT - RMN GRAND PALAIS (MUSEE DU LOUVRE) / PHILIPPE FUZEAU)

Il a représenté comme personne le Paris en mouvement de la fin 18e et du début du 19e. Avec affection et beaucoup d’humour, Louis-Léopold Boilly a chroniqué l’effervescence des boulevards de la capitale, l'animation de ses rues, de ses cafés, de ses salons, et il a même levé un voile sur l’intimité de ses boudoirs. Ce peintre au regard singulier, piquant et enjoué, a immortalisé les gens du peuple comme les bourgeois, et célébré la vie, la frénésie et la joie parisienne. Il a aussi promu le trompe-l’œil, dont il a initié le terme, avec une maestria qui reste bluffante deux siècles plus tard.

Louis-Léopold Boilly (1761-1845). "La Marche incroyable", vers 1797. Huile sur panneau, 39,3 x 51 cm. Collection particulière. (COLLECTION PARTICULIERE / GUILLAUME BENOIT)

Originaire d’un village près de Lille, Louis-Léopold Boilly part à la conquête de la capitale à l’âge de 24 ans, à la veille de la Révolution française, en 1785. Il ne la quittera plus. Il va en devenir le chroniqueur pendant une soixantaine d’années, jusqu’à sa mort en 1845. A voir certains de ses tableaux si bien exécutés, scènes fourmillant de détails ou portraits criants de vérité, difficile de croire que cet artiste minutieux et virtuose, admirateur des peintres flamands du 17e, puisse avoir été un autodidacte.

Outre l’aspect documentaire de son travail qui fait revivre le Paris de l'entre deux révolutions (celles de 1789 et 1848), voici cinq bonnes raisons de découvrir cet artiste injustement méconnu au Musée Cognacq Jay, dans le Marais, où 130 de ses oeuvres réjouissantes, certaines montrées en France pour la première fois, sont exposées jusqu’au 26 juin.

Pour son humour, sa malice et sa manie des autoportraits

Autodidacte virtuose, Louis-Léopold Boilly maîtrisait l’art de la mise en scène, y compris de lui-même. Dès la première salle, le voilà auto-portraituré en sans culotte (vers 1793), mais aussi en muscadin avec une large cravate blanche, ou en Jean qui rit, jovial et moqueur. Comme un jeu de cache-cache, le peintre glissait aussi régulièrement son visage ou sa silhouette parmi les personnages de ses représentations de groupe. Les visiteurs, en particulier les plus jeunes, sont d’ailleurs invités à retrouver ces clins d’œil malicieux cachés dans ses toiles.

Louis-Léopold Boilly (1761-1845). A gauche, "L'Ebahi", vers 1808-1810. pierre noire, estompe de pierre noire, rehauts de craie blanche sur papier brun clair, 23,2 x 18,4 cm. A droite, "Autoportrait en sans-culotte", vers 1793. Huile sur carton, 23 x 17 cm. (COLLECTION PARTICULIERE / GUILLAUME BENOIT)

A plus de 70 ans, Boilly était encore doté d’une bonne dose d’autodérision : un tableau le représente assoupi après le dîner devant une bouteille à moitié vide. Son sens de l’humour, qui fait aussi merveille dans sa série des Grimaces, irrigue toute son œuvre.

Pour ses scènes de la vie parisienne

Son humour, il l’exprime aussi dans ses tableaux de la vie parisienne. Dans la formidable toile Distribution de vin et de comestibles aux Champs Elysées de 1822 (une tradition à l’occasion de la fête du roi Saint-Louis le 25 août), qui montre par ailleurs les tensions sociales, on remarque une saynète : au centre d’une foule avide sur le point de devenir incontrôlable, un gamin du peuple est en train de chiper discrètement le vin du voisin en inclinant le seau contenant le breuvage de sorte qu’il s’écoule dans son sabot !

"Distribution de vin et comestibles aux Champs-Elysées, à l'occasion de la fête du roi". Huile sur toile, 1822. Par Louis-Léopold Boilly (1761-1845). (BOILLY, LOUIS LÉOPOLD / MUSEE CARNAVALET PARIS MUSÉES)

Boilly, qui réside dans le quartier des Grands Boulevards où se concentrent les divertissements de la capitale, témoigne de l’engouement pour Guignol et pour le théâtre, avec la cohue de gens modestes cherchant à toute force à entrer dans l’un d’eux, l’Ambigu-Comique, à l’occasion d’une représentation gratuite. La Scène du carnaval sur le boulevard Saint-Martin, vers lequel converge la foule en charrette, à pied ou en calèche, est une autre œuvre particulièrement jubilatoire. Il faut passer du temps à observer les tenues, les masques et les déguisements… jusqu’à tomber sur le masque que porte un chien sur son postérieur au premier plan.

Pour ses trompe-l’œil stupéfiants

Boilly est un farceur invétéré, jamais à court d’inventivité. En 1800, il fait sensation au Salon libre du Louvre, vitrine cruciale pour les artistes où il a percé deux ans auparavant, en exposant un tableau dit Trompe-l’œil, un terme inventé par lui. Dans cette toile, il imite à la perfection un tas de paperasses, dessins et gravures mis sous verre, mais dont le verre est en partie brisé. Les visiteurs se pressent devant cette œuvre audacieuse si bien exécutée et le verre cassé est "d’une vérité si frappante" que tous ceux qui le voient "veulent toucher" pour s’assurer qu’il s’agit bien d’une illusion, écrit le chroniqueur du Courrier des spectacles. L’engouement du public est tel que le Salon fait installer un cordon de sécurité pour éviter que les visiteurs ne s’en approchent trop.

Louis-Léopold Boilly (1761-1845) "Un trompe-l’œil", vers 1800. Huile et traits de crayon gras sur toile, 56 × 70,5 cm.  (COLLECTION PARTICULIERE - DROITS RESERVES)

En 2022, ce trompe-l’œil reste saisissant de vérité, à tel point que le visiteur qui scrute l’œuvre de près doit lui aussi résister à l’envie de toucher. D’autres trompe-l’œil, tout aussi stupéfiants, comme le malicieux Chat gourmand crevant la toile pour manger des harengs, ou l'incroyable Trompe-l'oeil aux cartes et pièces de monnaie, sont montrés à l’exposition.

Pour scruter de près les visages de ses contemporains 

La même année que le fameux trompe-l’œil, Boilly expose au Salon deux portraits de petit format, "faits chacun en une séance de deux heures", précise l’artiste dans le catalogue du Salon, en ajoutant son adresse. On ne pouvait rêver meilleure réclame pour ce qu’il promeut comme un nouveau modèle standard de petit portrait très ressemblant réalisé à vitesse éclair et vendu à prix attractif. Aujourd’hui, la vérité psychologique de ces figures a quelque chose de bouleversant. Vous avez l’impression de connaître, ou de reconnaître, ces hommes et femmes d’un autre temps.

Louis-Léopold Boilly (1761-1845). Vue fragmentée de "Quarante portraits", vers 1798. Huile sur toile, 22 × 16 cm chacun. Collection particulière.  (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Toujours de même format (22 x 17 cm), exécutés à l’huile sur fond sombre, sans décor ni mise en scène, et vendus dans un cadre doré Empire, ces portraits ressemblent à nos photos d’identité. De fait, ils annoncent la photographie. Cette formule va séduire une nouvelle clientèle bourgeoise en plein essor – figures du spectacle, de l’armée, de l’industrie, de la politique ou de la finance - et deviendra la marque de fabrique de Boilly pendant 35 ans. Il aura immortalisé ainsi 5000 personnes au total. Il ne resterait aujourd’hui qu’un millier de ces portraits de poche. L’exposition en présente une quarantaine, captivants à observer tant ils en disent long sur leurs sujets et sur l’époque.

Pour ses scènes galantes

Avant de se pencher sur les scènes de rue qui visiblement le fascinent, Boilly a commencé par l’intimité du boudoir, comme on peut le voir à la toute fin de l'exposition. Comme Jean-Honoré Fragonard à la même époque, Boilly perpétue une tradition libertine pour une clientèle connaisseuse, un travail qui lui permet de vivre de ses pinceaux. Il a notamment peint Deux jeunes amies qui s’embrassent (1789-1793), qui montre un baiser passionné entre deux femmes vêtues, dans une chambre. Un tableau osé : un baiser saphique aussi explicite restait encore très rare à l’époque.

Louis-Léopold Boilly (1761-1845). A gauche: "Deux jeunes amies qui s'embrassent" vers 1789-1793 - Huile sur toile. A droite: "L'indiscret" vers 1789-1793 - Huile sur toile. (WILTSHIRE THE RAMSBURY MANOR FOUNDATION - PARIS MUSEE COGNACQ-JAY)

La lutte galante (ça ira) (vers 1789-93), dans lequel un homme insistant semble prendre une femme d’assaut contre son gré, est plus dérangeant. On lui préfère l’Indiscret (même époque), dans lequel une jeune femme barre la porte de sa chambre à un importun tout en lançant une oeillade coquine à l’observateur du tableau, qui, lui, voit bien le pot aux roses : une jeune femme dénudée étendue dans le lit que ne peut distinguer l’indiscret … Preuve qu’à ses débuts, Boilly savait déjà établir une complicité unique avec le regardeur.

"Boilly - Chroniques parisiennes"
Jusqu'au 26 juin 2022
Musée Cognacq-Jay, 8 rue Elzévir 75003
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Tel : 01 40 27 07 21
Plein tarif 8 euros, tarif réduit 6 euros

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