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Le jeune Derain au Centre Pompidou : dix ans de création radicale

En l'espace de dix ans, André Derain a contribué à deux mouvements qui ont révolutionné la peinture, le fauvisme et le cubisme, avant d'effectuer, dès avant 1914, un revirement tout aussi fulgurant et de revenir à des références anciennes. C'est à cette première "décennie radicale" (1904-1914) que le Centre Pompidou consacre une belle exposition (jusqu'au 29 janvier 2018).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
André Derain - A gauche, "Bateaux dans le port de Collioure", 1905, Collection Fondation Merzbacher - A droite "Les Deux soeurs", 1914, Statens Museum for Kunst, Copenhague. Don Johannes Rump 1928
 (A gauche © Adagp, Paris 2017 - A droite © Adagp, Paris 2017)

Alors que le Musée d'art moderne de la Ville de Paris présente le Derain plus tardif, plus classique et plus sombre (on peut encore voir l'exposition "Derain, Balthus, Giacometti" jusqu'au 29 octobre), c'est sur ses premières années de création que se penche le Centre Pompidou, essentiellement celles où il fait exploser la couleur et où il échange avec Picasso et Matisse, autour des baigneuses, autour du cubisme.
 
On connaît ses toiles de Collioure, on sait peut-être moins qu'il a beaucoup pratiqué la photographie, qu'il a été un des premiers artistes à se passionner pour l'art dit "primitif".

André Derain, "Le Pecq", hiver 1904-1905, Cincinatti Art Museum, Museum Purchase : Baquest of Mary E. Johnston, by exchange, ande The Edwin and Virginia Irwin Memorial
 (ADAGP, Paris 2017)

Chatou, dans le sillage des impressionnistes

André Derain (1880-1954) rencontre Maurice de Vlaminck en 1900 (année où il fait aussi la connaissance d'Henri Matisse). Les deux artistes vivent à Chatou et y louent un atelier ensemble, juste à côté de la maison Fournaise, un restaurant qui a été un lieu de rencontre de Monet, Sisley, Degas, Renoir.
 
Après son service militaire à Commercy, André Derain peint sur les bords de Seine des paysages vivants, pleins de personnages, en juxtaposant les touches à la façon de ses aînés impressionnistes, mais déjà, ses couleurs sont beaucoup plus vives. Les cadrages se rapprochent de ceux de ses photographies, avec des quais ou des routes qui fuient. Car l'exposition nous fait voir ces photographies de Derain, et si on ne découvre pas là l'œuvre d'un grand photographe, elles nous permettent d'apprécier son attachement au réel. Elles ont souvent servi de point de départ à ses compositions peintes.
André Derain, "Le séchage des voiles (Bateaux de pêche), 1905, Musée des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou
 (Adagp, Paris 2017)

A Collioure, l'explosion fauve

L'été 1905, Derain est avec Matisse à Collioure où les deux artistes vont inventer ce qu'on appellera le fauvisme. Derain y découvre la lumière de la Méditerranée, et sa peinture atteint toute sa radicalité. Les couleurs crient sur la toile comme dans cette sublime "Vue de Collioure" de la Scottish National Gallery d'Edimbourg où le bleu profond de la mer côtoie l'orange des toits. Parfois, les tableaux respirent : ils sont esquissés de quelques touches colorées laissant une partie de la toile en réserve. Derain peint frénétiquement. Il rapporte 30 toiles de Collioure dont certaines sont exposées au fameux Salon d'automne : c'est la première fois qu'on emploie le terme de "fauve".
 
Derain poursuit ses recherches radicales sur le paysage à l'Estaque et à Londres l'année suivante, avec des toiles étonnantes dans les pas de Monet et Turner : comme eux, il étudie la lumière sur la Tamise mais il la traduit dans ses couleurs à lui, il cadre les ponts à sa façon photographique, il peuple les quais de personnages populaires et de bateaux.
André Derain, "La Danse", 1906, Collection particulière
 (Adagp, Paris 2017)

"La Danse" et les grandes compositions

Il continuera en 1907 à Cassis. Mais entretemps, il a découvert, d'abord avec Vlaminck au Musée d'ethnographie du Trocadéro, puis au British Museum, la sculpture océanienne et africaine. C'est lui d'ailleurs qui va communiquer sa passion pour ces arts du bout du monde à Picasso et Matisse. Derain réalise des sculptures en pierre aux allures "primitives" dont deux beaux exemples se dressent dans une salle, à côté de gravures sur bois de nus aux volumes généreux et de pièces qu'il a vues à Londres.
 
A côté de ses paysages, André Derain travaille à de grandes compositions marquées par l'influence de Gauguin, Cézanne ou l'art "primitif". Comme "La Danse" (1906), une toile dense et puissante, issue d'une collection particulière. Trois figures féminines dansent entourées d'oiseaux et de serpents fantastiques dans cette peinture où on devine l'influence de Gauguin.
André Derain - A gauche, "Baigneuses", 1907, MoMA, New York, William S. Paley and Abby Aldrich Rockefeller Funds - A droite, "Baigneuses", 1908, Galerie nationale, Prague
 (A gauche et à droite © Adagp, Paris 2017)

Dialogue avec Matisse et Picasso autour des "Baigneuses"

En 1907, les "Grandes baigneuses" de Cézanne inspirent Matisse et Derain. C'est l'époque d'un dialogue intense avec Picasso, qui va créer les "Demoiselles d'Avignon". Deux toiles de Derain exposées au Centre Pompidou font voir une nouvelle évolution rapide. Les "Baigneuses" du Museum of Modern Art (MoMA) de New York, une toile de 1907, montre trois figures nues, isolées sur un fond bleu intense, deux de face, une de dos, à la chair rose, jaune, orange vif, brossés de traits verts. Le tableau fait sensation au Salon des indépendants où le critique Louis Vauxcelles parle de "marbrures cézaniennes" qui "verdoient sur le torse des baigneuses enfoncées dans une eau terriblement indigo".
 
Dans les "Baigneuses" de Prague, de 1908, les figures se sont allongées, les couleurs adoucies, les visages aux traits quasi byzantins semblent annoncer le virage que Derain va bientôt prendre.
André Derain, "Vue de Cagnes", 1910, Folkwang Museum, Essen, Legs Helen Cappell, 1926
 (Adagp, Paris 2017)

Au seuil du cubisme

Après le fauvisme, Derain a participé à la réflexion qui va donner naissance au cubisme. A Cassis et Martigues, il a peint de nouveaux paysages dont les formes se sont simplifiées et déformées, dans des couleurs plus sombres et denses que précédemment mais toujours vibrantes. Dans ses vues de Cadaqués, la stylisation géométrique des bâtiments va dans le sens du cubisme, mais Derain, attaché au réalisme, ne va pas s'engager dans la décomposition en facettes adoptée par Picasso et Braque. Il reste comme au seuil du cubisme, ce que la commissaire de l'exposition Cécile Debray appelle son "attachement à la cohésion du réel".
 
Et puis tout semble basculer : à partir de 1911, on dirait qu'on n'a plus affaire au même artiste. La palette s'assombrit, Derain peint des paysages à la Giotto et des portraits allongés et un peu figés. C'est la période peu connue que Cécile Debray qualifie de "réalisme magique" et qui annonce le retour au classicisme après la guerre de 1914-1918 où il sera mobilisé pendant plus de quatre ans.
André Derain, "Samedi", 1913, Musée des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou
 (Adagp, Paris 2017)


Le "Christophe Colomb de l'art moderne"

Derain a été un acteur majeur de l'art moderne au début du XXe siècle. Co-inventeur du fauvisme, il a joué un rôle clé dans la naissance du cubisme. Mais très curieux et cultivé, il se remettait constamment en question, et passait rapidement à autre chose.
 
"Derain ne sait pas, ne peut pas exploiter ce qu'il fait surgir, c'est un aventurier de l'art, le Christophe Colomb de l'art moderne, mais ce sont les autres qui profitent des nouveaux continents", dira de lui la collectionneuse et écrivaine Gertrude Stein à la fin des années 1930.

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